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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 40.1908

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Nr. 2
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Bénédite, Léonce: J.-J. Henner, [7]: artistes contemporains
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https://doi.org/10.11588/diglit.24867#0157

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J -J. HENNER

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moins, ne nous laisse-t-il pas deviner ses sentiments devant les
chefs-d’œuvre illustres de la Leçon d'anatomie, de la Ronde de nuit
ou des Syndics des drapiers. Son vieux fonds réaliste le conduisait
vers ce Frans Hais inconnu, vaguement pressenti, qu’il goûte et
qu’il admire pour tout ce qu’il sent en lui de choses qu’il aime. Il le
trouve « transparent », il apprécie ses chairs « claires, nacrées »,
ses « noirs charmants, transparents », ses « écharpes bleues, d’une
douceur exquise, bleu de ciel tendre » avec « quelques jaunes ». II
insiste sur « ces beaux chapeaux noirs, avec les collerettes blanches
et les ceintures bleu tendre, par-dessus les épaules », tout cela,
ajoute-t-il, « admirablement éclairé. » 11 s’arrête avec plaisir sur tel
« fond d’arbres sombres avec un coin de ciel bleu gris verdâtre »
conçu comme par quelque Idenner d’autrefois.

« En somme », conclut-il devant le maître de Haarlem, en ou-
bliant tout ce qu’il a pu voir à Amsterdam, à La Haye ou à Bruxel-
les, « en somme peut-être la plus belle chose du voyage ! » Et il
reprend : « ce doit être comme du Velâzquez ! »

Velâzquez! ce nom aussi garde pour lui son ancien prestige. Il
demeure pour lui ce qui reste encore d’inexpliqué dans le domaine
des arts, de mystérieux dans l’Olympe des maîtres. Aussi, sans
tarder, la même année, le mois suivant, malgré les chaleurs exces-
sives d’août, il se bâte d’aller à Madrid, plus heureux que Whistler,
qui ne put accomplir ce pèlerinage qu’à la veille de sa mort, et que
Fantin, qui ne l’accomplit jamais.

11 semble qu’en Espagne il n’ait bien vu que Velâzquez. Dans son
album de voyage, d’ailleurs peu couvert, il ne note guère que quel-
ques arrangements de mantilles, dont il se servira plus tard pour
ses têtes de fantaisie et que lesebefs-d’œuvre principaux du maître,
qu’il croque en quelques traits sans laisser, du reste, l’expression de
son sentiment.

On le voit, il ne s’attache plus à considérer chez les autres que
ce qu’il possède en lui. 11 n’a plus rien à acquérir du dehors. Désor-
mais il va vivre entièrement sur lui-même. 11 a exploré dans le
royaume du rêve et dans le monde de la réalité les régions qui
étaient de nature à l’attirer ; il y a recueilli les sensations, les
idées, les formes qu’il était susceptible de s’assimiler pour créer et
définir son idéal de beauté et de vérité. 11 a, consciencieusement,
limité son univers et il s’y cantonne, avec la certitude paisible qu’une
existence d’homme suffit à peine pour essayerde dire mieux chaque
jour ce qu’il lui importe de dire.
 
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