LE « MARAT EXPIRANT » DE LOUIS DAVID
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nous envoya, Maure et moi, nous informer de ses nouvelles. Je le
trouvai dans une attitude qui me frappa. Il avait auprès de lui un
billot de bois sur lequel étaient placés de l’encre et du papier, et sa
main, sortie de la baignoire, écrivait ses dernières pensées sur le
salut du peuple... J'ai pensé qu’il serait intéressant de Voffrir dans
l'attitude où je l’ai trouvé, écrivant pour le bonheur du peuple. » On
discutait à ce moment la célébration de ses obsèques et ces der-
niers mots de David, ordonnateur de la cérémonie, concernent la
présentation publique du cadavre. Mais, comme ils étaient l’expres-
sion de son émotion passée, de la vision tragique cristallisée en son
esprit, ils s’appliquèrent parallèlement à l’œuvre qu’il s’apprêtait à
exécuter. Peut-être, durant les rares heures disponibles que lui
avaient laissées, pendant ces journées troublées, ses devoirs de conven-
tionnel et sa mission d’ordonnateur des funérailles, avait-il déjà
tracé sur une feuille, un carton, la toile même, les grandes lignes
du spectacle qui l’avait si vivement frappé lors de sa dernière
visite à Marat. Il n’avait plus eu, cela fait, qu’à adapter,à la figure
tragiquement indiquée, la physionomie précise de l’Ami du Peuple
telle qu’il l’avait saisie après la mort dans le dessin à la plume qui
est reproduit en tête de cet article.
On le voit, les paroles prononcées par David à la Convention, le
15 juillet 1793, s’adaptent complètement à l’œuvre dont il annonça
l’achèvement au cours de la séance du 23 vendémiaire an II
(14 octobre 1793) et qu’il remit à la Convention, après exposition
dans son atelier, le 25 brumaire suivant. Il avait donc conçu et achevé
le Marat expirant en trois mois, et cela malgré ses obligations
absorbantes de conventionnel, de jacobin et de membre des Comités.
Jamais il n’avait travaillé et ne devait travailler si vite et si bien.
L’œuvre figura dans la salle des séances, conjointement avec
le Le Peletier de Saint-Far g eau du même David, jusqu’au 20 plu-
viôse an III (8 février 1795), date à laquelle l’assemblée décréta que
le buste ou le portrait d’aucun citoyen ne pourrait être placé dans
la salle de la Convention nationale ou dans les lieux publics que
dix ans après sa mort. C’était pour nombre de représentants la seule
façon de se séparer, sans avoir l’air de se déjuger, des effigies de
Marat, de Le Peletier, de Ghâlier et autres martyrs de la liberté qui
avaient cessé de plaire.
Cette décision succédait à un enthousiasme encore récent. C’est
ainsi que, le 21 floréal an II, les artistes des Gobelins avaient, par
l’organe de Thibaudeau, rapporteur du Comité d’instruction Pu-
X. — 4e PÉRIODE. 4
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nous envoya, Maure et moi, nous informer de ses nouvelles. Je le
trouvai dans une attitude qui me frappa. Il avait auprès de lui un
billot de bois sur lequel étaient placés de l’encre et du papier, et sa
main, sortie de la baignoire, écrivait ses dernières pensées sur le
salut du peuple... J'ai pensé qu’il serait intéressant de Voffrir dans
l'attitude où je l’ai trouvé, écrivant pour le bonheur du peuple. » On
discutait à ce moment la célébration de ses obsèques et ces der-
niers mots de David, ordonnateur de la cérémonie, concernent la
présentation publique du cadavre. Mais, comme ils étaient l’expres-
sion de son émotion passée, de la vision tragique cristallisée en son
esprit, ils s’appliquèrent parallèlement à l’œuvre qu’il s’apprêtait à
exécuter. Peut-être, durant les rares heures disponibles que lui
avaient laissées, pendant ces journées troublées, ses devoirs de conven-
tionnel et sa mission d’ordonnateur des funérailles, avait-il déjà
tracé sur une feuille, un carton, la toile même, les grandes lignes
du spectacle qui l’avait si vivement frappé lors de sa dernière
visite à Marat. Il n’avait plus eu, cela fait, qu’à adapter,à la figure
tragiquement indiquée, la physionomie précise de l’Ami du Peuple
telle qu’il l’avait saisie après la mort dans le dessin à la plume qui
est reproduit en tête de cet article.
On le voit, les paroles prononcées par David à la Convention, le
15 juillet 1793, s’adaptent complètement à l’œuvre dont il annonça
l’achèvement au cours de la séance du 23 vendémiaire an II
(14 octobre 1793) et qu’il remit à la Convention, après exposition
dans son atelier, le 25 brumaire suivant. Il avait donc conçu et achevé
le Marat expirant en trois mois, et cela malgré ses obligations
absorbantes de conventionnel, de jacobin et de membre des Comités.
Jamais il n’avait travaillé et ne devait travailler si vite et si bien.
L’œuvre figura dans la salle des séances, conjointement avec
le Le Peletier de Saint-Far g eau du même David, jusqu’au 20 plu-
viôse an III (8 février 1795), date à laquelle l’assemblée décréta que
le buste ou le portrait d’aucun citoyen ne pourrait être placé dans
la salle de la Convention nationale ou dans les lieux publics que
dix ans après sa mort. C’était pour nombre de représentants la seule
façon de se séparer, sans avoir l’air de se déjuger, des effigies de
Marat, de Le Peletier, de Ghâlier et autres martyrs de la liberté qui
avaient cessé de plaire.
Cette décision succédait à un enthousiasme encore récent. C’est
ainsi que, le 21 floréal an II, les artistes des Gobelins avaient, par
l’organe de Thibaudeau, rapporteur du Comité d’instruction Pu-
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