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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Les sceaux sont donc utiles; mais, si nous les aimons, disons-le franchement,
c’est moins parce qu’ils sont utiles que parce qu’ils sont charmants. Ils nous
séduisent parce qu’ils enferment de poésie et de beauté. Quand je vis pour la
première fois, il y a longtemps déjà, le sceau de Raymond de Toulouse chevau-
chant sur son cheval à grande housse, entre le lever du soleil et le lever de la
lune, puis, au revers, fièrement assis, son épée nue sur les genoux, et le Château
Narbonnais dans sa main, — je crus avoir la révélation du Moyen âge. Les
sceaux nous font entrer dans le monde merveilleux des chevaliers et des
moines, des blasons et des symboles. C’est une forêt de Brocéliande où l’on
demeure enchanté. Tout y séduit l’imagination. Les légendes d’abord, dont quel-
ques-unes sont du latin le plus fier :
Urbs arelatensis est hostibus hostis et ensis,
dit le sceau d’Arles;
Actibus immensis urbs fulget Massiliensis,
SCEAU DE LA GRUERIE
(xve siècle)
dit le sceau de Marseille.
Puis ce sont les images des villes
ramassées autour de leur église, et qui
souvent se réduisent à quelques tours
que domine une église, comme si l’église
était toute la ville.
Ce sont les blasons dessinés avec
un goût exquis : des anges les sup-
portent, ou des lions ou les hommes
velus des contes, ou bien l’écu est
suspendu aux arbres de la forêt.
Enfin, ce sont les héros eux-mêmes. C’est le roi assis, élevé jusqu’au type, et
qui devient la royauté. C’est le chevalier, armé de toutes pièces, qui lance son
cheval au galop : la housse flotte au vent de la course, et l’épée nue, attachée par
une chaînette à l’armure, bondit derrière le cavalier. C’est le baron à genoux,
les mains dans les mains de la noble dame, à laquelle il prête hommage. C’est
la noble dame elle-même, souvent à cheval et le faucon sur le poing, mais bien
plus gracieuse encore quand elle est debout, longue, svelte, élégante, abritée
parfois sous un léger portique comme une sainte.
Tel est le monde poétique où nous introduisent les sceaux, et peut-être,
après l’art religieux, n’est-il rien qui nous donne une idée plus séduisante du
Moyen âge et nous attire plus doucement vers lui. C’est pour cela que des
recueils comme celui que publie M. Coulon ne sauraient être accueillis avec trop
de reconnaissance.
ÉMILE MALE
Le Gérant : P. Girardot.
PARIS.
TYP. PHILIPPE RENOUARD.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Les sceaux sont donc utiles; mais, si nous les aimons, disons-le franchement,
c’est moins parce qu’ils sont utiles que parce qu’ils sont charmants. Ils nous
séduisent parce qu’ils enferment de poésie et de beauté. Quand je vis pour la
première fois, il y a longtemps déjà, le sceau de Raymond de Toulouse chevau-
chant sur son cheval à grande housse, entre le lever du soleil et le lever de la
lune, puis, au revers, fièrement assis, son épée nue sur les genoux, et le Château
Narbonnais dans sa main, — je crus avoir la révélation du Moyen âge. Les
sceaux nous font entrer dans le monde merveilleux des chevaliers et des
moines, des blasons et des symboles. C’est une forêt de Brocéliande où l’on
demeure enchanté. Tout y séduit l’imagination. Les légendes d’abord, dont quel-
ques-unes sont du latin le plus fier :
Urbs arelatensis est hostibus hostis et ensis,
dit le sceau d’Arles;
Actibus immensis urbs fulget Massiliensis,
SCEAU DE LA GRUERIE
(xve siècle)
dit le sceau de Marseille.
Puis ce sont les images des villes
ramassées autour de leur église, et qui
souvent se réduisent à quelques tours
que domine une église, comme si l’église
était toute la ville.
Ce sont les blasons dessinés avec
un goût exquis : des anges les sup-
portent, ou des lions ou les hommes
velus des contes, ou bien l’écu est
suspendu aux arbres de la forêt.
Enfin, ce sont les héros eux-mêmes. C’est le roi assis, élevé jusqu’au type, et
qui devient la royauté. C’est le chevalier, armé de toutes pièces, qui lance son
cheval au galop : la housse flotte au vent de la course, et l’épée nue, attachée par
une chaînette à l’armure, bondit derrière le cavalier. C’est le baron à genoux,
les mains dans les mains de la noble dame, à laquelle il prête hommage. C’est
la noble dame elle-même, souvent à cheval et le faucon sur le poing, mais bien
plus gracieuse encore quand elle est debout, longue, svelte, élégante, abritée
parfois sous un léger portique comme une sainte.
Tel est le monde poétique où nous introduisent les sceaux, et peut-être,
après l’art religieux, n’est-il rien qui nous donne une idée plus séduisante du
Moyen âge et nous attire plus doucement vers lui. C’est pour cela que des
recueils comme celui que publie M. Coulon ne sauraient être accueillis avec trop
de reconnaissance.
ÉMILE MALE
Le Gérant : P. Girardot.
PARIS.
TYP. PHILIPPE RENOUARD.