GAZETTE DES BEAUX-ARTS
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sont d’une irréprochable façon. Quand ces minuscules et minutieux
chefs-d’œuvre, le matin d’un premier janvier, ont été donnés en
étrennes, l’enchantement a dù être profond, mais bref. « C’est trop
beau pour vous », ont dit les parents, en installant le tonl au plus
haut rayon d’une armoire bien close. Ils ont ajouté : « Vous l’aurez
quand vous serez grands. » Peul-ètre ne croyaient-ils pas si bien dire.
Admirez ce groupe de vieilles femmes causant entre elles : mains
croisées sous leur châle, tout à leur bavardage, elles penchent un peu
la lête comme pour en recueillir la moindre syllabe. Ces vieilles
femmes sont des pelotes à épingles. Nous parlons sans métaphore.
Admirez cette épicerie : hi maison au pignon pointu, aux murailles
blanchies à la chaux, aux poutrages apparents, laisse entrevoir dans
le détail ses comptoirs et ses tiroirs, ses poids et ses balances, tout
un assortiment de si bonne mine et de si bon aloi. Au-dessus de la
porte, on lit le nom de l’épicière, « Marie-Jeanne ». Document
significatif el de haut enseignement historique : à partir de la Révo-
lution de 178!), en Alsace, on a gravé sur les maisons rustiques le nom
de leur propriétaire; le plus humble agriculteur se sentait maître
chez lui. De distingués Alsaciens collectionnent les soldats de plomb
ou de carton. Récemment, h Strasbourg, dans une Exposition mili-
taire, a figuré toute une armée française. Rangée en bataille, elle
soulevait une acclamation universelle. Héros de Solférino ou de
Sébastopol aux képis surélevés, héros d’Afrique aux tuniques longues
et serrées, gardes nationaux de 1848 ou de 1830 aux shakos volumi-
neux, et vous, grognards de Napoléon Ier, comme vous manœuvriez
triomphalement! Maint collectionneur, de fortune modeste mais de
patience illimitée, consacre tout le budget de ses plaisirs et même
un peu davantage à augmenter l’effectif de son armée. Deux fois par
an, le 1er janvier et le 15 août, il la passe en revue. Ce sont ses deux
grands jours. Quel travail pour une telle mobilisation! L’apparte-
ment étant de médiocres dimensions, les bataillons et les escadrons
sortis de leurs boites exigent tonte la place. Les meubles sont donc
relégués au grenier. En bon ordre défilent les régiments de ligne,
l’artillerie roule au triple galop, la cavalerie charge. « Allons!
faites donner la Garde. La victoire est à nous. » Un peu de la joie
qu’il a connue après Magenta et Malakoff passe alors dans l’âme de
l’Alsacien.
Depuis le xvme siècle, l’industrie de la céramique s’est déve-
loppée en Alsace d’une façon prodigieuse. Aujourd’hui, grâce à la
faïencerie, le luxe est profondément démocratique. Sur la table du
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sont d’une irréprochable façon. Quand ces minuscules et minutieux
chefs-d’œuvre, le matin d’un premier janvier, ont été donnés en
étrennes, l’enchantement a dù être profond, mais bref. « C’est trop
beau pour vous », ont dit les parents, en installant le tonl au plus
haut rayon d’une armoire bien close. Ils ont ajouté : « Vous l’aurez
quand vous serez grands. » Peul-ètre ne croyaient-ils pas si bien dire.
Admirez ce groupe de vieilles femmes causant entre elles : mains
croisées sous leur châle, tout à leur bavardage, elles penchent un peu
la lête comme pour en recueillir la moindre syllabe. Ces vieilles
femmes sont des pelotes à épingles. Nous parlons sans métaphore.
Admirez cette épicerie : hi maison au pignon pointu, aux murailles
blanchies à la chaux, aux poutrages apparents, laisse entrevoir dans
le détail ses comptoirs et ses tiroirs, ses poids et ses balances, tout
un assortiment de si bonne mine et de si bon aloi. Au-dessus de la
porte, on lit le nom de l’épicière, « Marie-Jeanne ». Document
significatif el de haut enseignement historique : à partir de la Révo-
lution de 178!), en Alsace, on a gravé sur les maisons rustiques le nom
de leur propriétaire; le plus humble agriculteur se sentait maître
chez lui. De distingués Alsaciens collectionnent les soldats de plomb
ou de carton. Récemment, h Strasbourg, dans une Exposition mili-
taire, a figuré toute une armée française. Rangée en bataille, elle
soulevait une acclamation universelle. Héros de Solférino ou de
Sébastopol aux képis surélevés, héros d’Afrique aux tuniques longues
et serrées, gardes nationaux de 1848 ou de 1830 aux shakos volumi-
neux, et vous, grognards de Napoléon Ier, comme vous manœuvriez
triomphalement! Maint collectionneur, de fortune modeste mais de
patience illimitée, consacre tout le budget de ses plaisirs et même
un peu davantage à augmenter l’effectif de son armée. Deux fois par
an, le 1er janvier et le 15 août, il la passe en revue. Ce sont ses deux
grands jours. Quel travail pour une telle mobilisation! L’apparte-
ment étant de médiocres dimensions, les bataillons et les escadrons
sortis de leurs boites exigent tonte la place. Les meubles sont donc
relégués au grenier. En bon ordre défilent les régiments de ligne,
l’artillerie roule au triple galop, la cavalerie charge. « Allons!
faites donner la Garde. La victoire est à nous. » Un peu de la joie
qu’il a connue après Magenta et Malakoff passe alors dans l’âme de
l’Alsacien.
Depuis le xvme siècle, l’industrie de la céramique s’est déve-
loppée en Alsace d’une façon prodigieuse. Aujourd’hui, grâce à la
faïencerie, le luxe est profondément démocratique. Sur la table du