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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Elle a, en même temps, singulièrement favorisé l’évolution du
dessin. Elle l'a rendu plus souple, elle a encouragé la recherche d’une
traduction sommaire, elliptique, synthétique. Les griffonnages grêles
d’Henri Monnier, les indications amples, grandiloquentes, un peu
lâches de Gharlet, la précision nerveuse de Raffet, la vivacité spiri-
tuelle d’Eugène Lami, la verve désinvolte deGavarni, sont les aspects
multiples d’un même travail de libération. Leur apport le cède à
celui de Daumier. Chaud, coloré, puissant, riche de signification, le
dessin de Daumier a cette force unique qui confère l’autorité. De
tels efforts n’ont pas seulement servi à l’initiation du public; ils ont
été connus et médités par les peintres, dont plusieurs, d’ailleurs,
furent à leurs heures des lithographes. On ne saurait en exagérer
l’importance.
L’action de la lithographie est plus évidente encore lorsque l’on
envisage les sujets auxquels elle s’est complu. Scènes de la vie
journalière, épisodes des campagnes de la Révolution et de l’Empire,
attaques politiques, comédie humaine, il n’est rien sans doute que
la lithographie ait suscité, mais elle a fourni à tous ces thèmes un
admirable support. Elle a suggéré, nous venons de le voir, les
méthodes les plus aptes à les traduire. Elle a permis de multiplier
sans mesure les dessins et les épreuves de chaque dessin. Certains
artistes ont été rompus à une gymnastique journalière. Le public
s’est habitué à les examiner et ils lui sont devenus nécessaires. La
répétition, l’obsession même, ont imposé des sujets auxquels on
n’accordait naguère qu’une faible attention. Leur intérêt est apparu
et, peu à peu, leur véritable grandeur. De tant de pages impro-
visées, le plus grand nombre n’avait que le mérite convenable à des
images sur lesquelles se jettent, en passant, des regards distraits.
Dans quelques autres, un œil exercé pouvait deviner une velléité,
une intention, qui auraient valu d’être mieux développées. Il en était
d’heureuses, bien venues, spirituellement touchées, dignes de rete-
nir l’attention parce qu’elles disaient parfaitement ce qu’elles avaient
à dire ou même qu’elles étaient, en leur rang modeste, de véritables
joyaux. Enfin, quelques morceaux exceptionnels faisaient oublier
soudain les dimensions restreintes de la feuille de papier sur
laquelle ils étaient tracés. D’un coup d’aile, Raffet, Charlet ou Dau-
mier s’étaient élevés vers les régions sublimes. Comment douter, de-
vant une telle envergure, de la puissance inspiratrice de la vie con-
temporaine? Etait-il une peinture tracée sur la toile ou même sur la
muraille qui dépassât l’horreur tragique de la Rue Transnunaiu? Les
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Elle a, en même temps, singulièrement favorisé l’évolution du
dessin. Elle l'a rendu plus souple, elle a encouragé la recherche d’une
traduction sommaire, elliptique, synthétique. Les griffonnages grêles
d’Henri Monnier, les indications amples, grandiloquentes, un peu
lâches de Gharlet, la précision nerveuse de Raffet, la vivacité spiri-
tuelle d’Eugène Lami, la verve désinvolte deGavarni, sont les aspects
multiples d’un même travail de libération. Leur apport le cède à
celui de Daumier. Chaud, coloré, puissant, riche de signification, le
dessin de Daumier a cette force unique qui confère l’autorité. De
tels efforts n’ont pas seulement servi à l’initiation du public; ils ont
été connus et médités par les peintres, dont plusieurs, d’ailleurs,
furent à leurs heures des lithographes. On ne saurait en exagérer
l’importance.
L’action de la lithographie est plus évidente encore lorsque l’on
envisage les sujets auxquels elle s’est complu. Scènes de la vie
journalière, épisodes des campagnes de la Révolution et de l’Empire,
attaques politiques, comédie humaine, il n’est rien sans doute que
la lithographie ait suscité, mais elle a fourni à tous ces thèmes un
admirable support. Elle a suggéré, nous venons de le voir, les
méthodes les plus aptes à les traduire. Elle a permis de multiplier
sans mesure les dessins et les épreuves de chaque dessin. Certains
artistes ont été rompus à une gymnastique journalière. Le public
s’est habitué à les examiner et ils lui sont devenus nécessaires. La
répétition, l’obsession même, ont imposé des sujets auxquels on
n’accordait naguère qu’une faible attention. Leur intérêt est apparu
et, peu à peu, leur véritable grandeur. De tant de pages impro-
visées, le plus grand nombre n’avait que le mérite convenable à des
images sur lesquelles se jettent, en passant, des regards distraits.
Dans quelques autres, un œil exercé pouvait deviner une velléité,
une intention, qui auraient valu d’être mieux développées. Il en était
d’heureuses, bien venues, spirituellement touchées, dignes de rete-
nir l’attention parce qu’elles disaient parfaitement ce qu’elles avaient
à dire ou même qu’elles étaient, en leur rang modeste, de véritables
joyaux. Enfin, quelques morceaux exceptionnels faisaient oublier
soudain les dimensions restreintes de la feuille de papier sur
laquelle ils étaient tracés. D’un coup d’aile, Raffet, Charlet ou Dau-
mier s’étaient élevés vers les régions sublimes. Comment douter, de-
vant une telle envergure, de la puissance inspiratrice de la vie con-
temporaine? Etait-il une peinture tracée sur la toile ou même sur la
muraille qui dépassât l’horreur tragique de la Rue Transnunaiu? Les