LA GENÈSE DU RÉALISME AYANT 1848
303.
L’éclectisme, nécessaire à l’historien, n’apaisait aucune des passions
auxquelles il renonçait et laissait la jeunesse désemparée devant le
conflit des doctrines.
Très différente est l’attitude des écrivains qui font œuvre véri-
table. D’accord avec les éclectiques, ils se désintéressent des querelles
techniques, mais s’ils pensent, ainsi que la plupart des contempo-
rains, et non sans exagération, que « T exécution fait des miracles1 »,
ils déplorent que tant de virtuosité soit mal appliquée ou plutôt ne
sache à quoi s’appliquer.
« Notre peinture a un corps », s’écrie Charles Blanc, « il faut lui
souffler une âme2. » Louis Peisse le reconnaît : « La peinture n’est
plus... un véritable besoin vital des peuples3. » « L’art se trouve
réduit à n’ètre plus qu’un amusement d’oisifs... Il perd toute sa
valeur sociale, il ne s’adresse plus aux masses4. » Pour le régénérer
il faut lui rendre le sens de sa mission. La doctrine de l’art pour
l’art, selon Alexandre Decamps, « n’est que l’expression d’une époque
transitoire, et de toutes ces nuances d’opinion, de principes, surgira
sans doute en son temps l’art vraiment national, véritablement
moderne, vers lequel l’impatiente pensée des artistes et des nations
s’élance aujourd’hui5 ».
Telle est la position prise par ceux que Charles Blanc- appelle « les
écrivains de l’école démocratique6 » : Alexandre Decamps, Thoré,
Charles Blanc lui-même, Victor Schœlcher, Félix Pyat, Auguste
Luchet, J. Robert, etc. Leurs déclamations, on le conçoit, ne sont
pas d’une parfaite clarté : ils écrivent parfois un peu au hasard; les
esprits les plus fermes parmi eux, tel Alexandre Decamps, restent
souvent dans le vague ou ne prennent pas parfaite conscience de
leur propre pensée. Il ne faut pas leur attribuer plus de clairvoyance
ou de prescience qu’ils n’en ont eue, ni prêter à leurs paroles un
sens qu’ils n’ont pu entendre leur donner. Toutefois, ces précautions
de bonne foi prises, leur action n’en demeure pas moins fort impor-
tante.
1. Charles Blanc, dans La Réforme, 18 avril 1844. —- « Supériorité incontes-
table d’exécution », lit-on dans VArtiste, 1836, p. 63. — « Le faire dans l’art est
arrivé en France à un degré incontestable de supériorité » (Revue indépendante,
23 mars 1843, p. 237). — « L’habileté matérielle devient plus générale de jour en
jour. » (G. Planche, Revue des Deux Mondes, 1er mai 1847).
2. Revue du Progrès, 1839, p. 349.
3. Louis Peisse (Revue des Deux Mondes, 1er avril 1841).
4. J. Robert [Challamel], dans Le National, 17 mars 1842.
5. Alexandre Decamps (Le National, 4 mars 1836).
6. La Réforme, 18 avril 1844, et Histoire des peintres français, 1845, p. 37, note 2.
303.
L’éclectisme, nécessaire à l’historien, n’apaisait aucune des passions
auxquelles il renonçait et laissait la jeunesse désemparée devant le
conflit des doctrines.
Très différente est l’attitude des écrivains qui font œuvre véri-
table. D’accord avec les éclectiques, ils se désintéressent des querelles
techniques, mais s’ils pensent, ainsi que la plupart des contempo-
rains, et non sans exagération, que « T exécution fait des miracles1 »,
ils déplorent que tant de virtuosité soit mal appliquée ou plutôt ne
sache à quoi s’appliquer.
« Notre peinture a un corps », s’écrie Charles Blanc, « il faut lui
souffler une âme2. » Louis Peisse le reconnaît : « La peinture n’est
plus... un véritable besoin vital des peuples3. » « L’art se trouve
réduit à n’ètre plus qu’un amusement d’oisifs... Il perd toute sa
valeur sociale, il ne s’adresse plus aux masses4. » Pour le régénérer
il faut lui rendre le sens de sa mission. La doctrine de l’art pour
l’art, selon Alexandre Decamps, « n’est que l’expression d’une époque
transitoire, et de toutes ces nuances d’opinion, de principes, surgira
sans doute en son temps l’art vraiment national, véritablement
moderne, vers lequel l’impatiente pensée des artistes et des nations
s’élance aujourd’hui5 ».
Telle est la position prise par ceux que Charles Blanc- appelle « les
écrivains de l’école démocratique6 » : Alexandre Decamps, Thoré,
Charles Blanc lui-même, Victor Schœlcher, Félix Pyat, Auguste
Luchet, J. Robert, etc. Leurs déclamations, on le conçoit, ne sont
pas d’une parfaite clarté : ils écrivent parfois un peu au hasard; les
esprits les plus fermes parmi eux, tel Alexandre Decamps, restent
souvent dans le vague ou ne prennent pas parfaite conscience de
leur propre pensée. Il ne faut pas leur attribuer plus de clairvoyance
ou de prescience qu’ils n’en ont eue, ni prêter à leurs paroles un
sens qu’ils n’ont pu entendre leur donner. Toutefois, ces précautions
de bonne foi prises, leur action n’en demeure pas moins fort impor-
tante.
1. Charles Blanc, dans La Réforme, 18 avril 1844. —- « Supériorité incontes-
table d’exécution », lit-on dans VArtiste, 1836, p. 63. — « Le faire dans l’art est
arrivé en France à un degré incontestable de supériorité » (Revue indépendante,
23 mars 1843, p. 237). — « L’habileté matérielle devient plus générale de jour en
jour. » (G. Planche, Revue des Deux Mondes, 1er mai 1847).
2. Revue du Progrès, 1839, p. 349.
3. Louis Peisse (Revue des Deux Mondes, 1er avril 1841).
4. J. Robert [Challamel], dans Le National, 17 mars 1842.
5. Alexandre Decamps (Le National, 4 mars 1836).
6. La Réforme, 18 avril 1844, et Histoire des peintres français, 1845, p. 37, note 2.