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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
ont tenu à honneur de conserver le cadre où s’est déroulée la vie des
ancêtres; elles ont, dans leurs anciens hôtels, laissé en place les
meubles fabriqués à l’occasion du mariage des aïeux, même celles
qui ne jouissent plus de l’opulence d’autrefois. Les Provençaux
cultivés ont aussi facilement l’amour du beau et le sens de ce qui
convient à leur climat. Il est très commun de voir même des per-
sonnes de condition modeste préférer les bons vieux meubles du
pays aux plus brillantes productions de l’art moderne. Peut-être
leur choix est-il entraîné actuellement par une influence littéraire
non contestable; toujours est-il que le fait existe. A plus forte raison
les collectionneurs sont-ils en Provence très avisés ; aussi, a Mar-
seille, Aix, Avignon et ailleurs, ont-ils rassemblé des merveilles.
Jusqu’ici cependant, si le public ne restait pas insensible au
charme des anciens meubles provençaux, il n’y avait guère que les
amateurs d’art vivant dans le pays qui se rendissent un compte
exact de toute leur valeur, bien que certains modèles trop courants
fassent tort par leur banalité aux oeuvres plus discrètes et plus
raffinées. Mais ils ne possédaient sur leur histoire que des données
fort incomplètes et souvent inexactes. Plusieurs publications récentes
sont venues dissiper beaucoup d’obscurités. Entre toutes, celle de
M. l’abl )é Arnaud d’Agnel est, sans comparaison, la plus documentée
et la plus importante.
A vrai dire, la Provence fut toujours admirablement placée pour
profiter des progrès de la civilisation et s’avancer dans la voie des
arts. Elle reçut sans discontinuer l’afflux des populations du Nord,
attirées par les richesses qu’on y accumulait, par la douceur du
climat et les facilités de l’existence. Au xne siècle, la Catalogne et
l’Aragon lui fournissaient des comtes, des fonctionnaires, des
évêques, tandis que les marchands italiens créaient des comptoirs
dans les principales villes de la région, pendant que les républiques
de Gênes, Pise, Florence traitaient avec les communes provençales
et influençaient le développement de leurs institutions. Pendant le
même temps, les navires provençaux visitaient tous les ports de la
Méditerranée, des colonies marseillaises essaimaient en Orient et
commençaient l’expédition dans leur pays d’origine des objets
manufacturés par les ouvriers du Levant.
Cette empreinte cosmopolite, reçue par la Provence, s’accentua
de plus en plus dans le cours des âges. Le séjour des papes en la
ville d’Avignon multiplia dans d’énormes proportions le mouve-
ment des étrangers, qui, du nord et du midi, de l’est et de l’ouest,
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
ont tenu à honneur de conserver le cadre où s’est déroulée la vie des
ancêtres; elles ont, dans leurs anciens hôtels, laissé en place les
meubles fabriqués à l’occasion du mariage des aïeux, même celles
qui ne jouissent plus de l’opulence d’autrefois. Les Provençaux
cultivés ont aussi facilement l’amour du beau et le sens de ce qui
convient à leur climat. Il est très commun de voir même des per-
sonnes de condition modeste préférer les bons vieux meubles du
pays aux plus brillantes productions de l’art moderne. Peut-être
leur choix est-il entraîné actuellement par une influence littéraire
non contestable; toujours est-il que le fait existe. A plus forte raison
les collectionneurs sont-ils en Provence très avisés ; aussi, a Mar-
seille, Aix, Avignon et ailleurs, ont-ils rassemblé des merveilles.
Jusqu’ici cependant, si le public ne restait pas insensible au
charme des anciens meubles provençaux, il n’y avait guère que les
amateurs d’art vivant dans le pays qui se rendissent un compte
exact de toute leur valeur, bien que certains modèles trop courants
fassent tort par leur banalité aux oeuvres plus discrètes et plus
raffinées. Mais ils ne possédaient sur leur histoire que des données
fort incomplètes et souvent inexactes. Plusieurs publications récentes
sont venues dissiper beaucoup d’obscurités. Entre toutes, celle de
M. l’abl )é Arnaud d’Agnel est, sans comparaison, la plus documentée
et la plus importante.
A vrai dire, la Provence fut toujours admirablement placée pour
profiter des progrès de la civilisation et s’avancer dans la voie des
arts. Elle reçut sans discontinuer l’afflux des populations du Nord,
attirées par les richesses qu’on y accumulait, par la douceur du
climat et les facilités de l’existence. Au xne siècle, la Catalogne et
l’Aragon lui fournissaient des comtes, des fonctionnaires, des
évêques, tandis que les marchands italiens créaient des comptoirs
dans les principales villes de la région, pendant que les républiques
de Gênes, Pise, Florence traitaient avec les communes provençales
et influençaient le développement de leurs institutions. Pendant le
même temps, les navires provençaux visitaient tous les ports de la
Méditerranée, des colonies marseillaises essaimaient en Orient et
commençaient l’expédition dans leur pays d’origine des objets
manufacturés par les ouvriers du Levant.
Cette empreinte cosmopolite, reçue par la Provence, s’accentua
de plus en plus dans le cours des âges. Le séjour des papes en la
ville d’Avignon multiplia dans d’énormes proportions le mouve-
ment des étrangers, qui, du nord et du midi, de l’est et de l’ouest,