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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Concert, croit cependant que ce tableau, plutôt que d’être de Giorgione, serait
d’un maître un peu plus tardif et il l’attribue à Sébastien de! Piombo, à
l’artiste qui fut le meilleur élève de Giorgione, celui qui s’inspira le plus étroi-
tement de son art.
Aujourd’hui M. Lionello Venturi reprend l’opinion de son père, la développe
avec plus d’ampleur, et il semble que, pour les historiens de l’art, et surtout
pour nous Français qui avons la gloire de posséder un tel chef-d’œuvre, ce soit
là le point capital de son livre.
Avant de discuter la thèse de M. L. Venturi, je ferai connaître toute son argu-
mentation. Elle consiste en deux parties : l’une dans laquelle il dit que le tableau
a des traits qui ne sont pas ceux de Giorgione, et l’autre dans laquelle il
montre par quels traits il se rattache à l’art de Sébastien de! Piombo. Après
avoir décrit le tableau M. L. Venturi dit : « Musiciens, femmes nues en pleine
campagne, coucher de soleil; Giorgione est présent. Pourtant, comme dans
l’exécution de ce tableau, conçu dans un parfait esprit giorgionesque, on
remarque une ampleur (grandiosita) de formes, des négligences de trait (tras-
curatezze di segno), une préférence pour les tons chauds, une superficielle
expression psychologique, nous ne croyons pas que l’œuvre soit de Giorgione.
Et par certains points de ressemblance avec les tableaux du Saint Jean-Chry-
sostome, de la. Femme adultère et du Jugement de Salomon de Sébastien del Piombo,
nous préférons attribuer à ce maître cette œuvre dans laquelle ce merveilleux
assimilateur a le plus profondément compris et assimilé l’art de Giorgione. »
Et, pour ne pas rester dans l’imprécision, M. Lionello Venturi indique les
points de ressemblance qui existeraient entre le Concert et ces trois œuvres de
Sébastien del Piombo: «On remarquera», dit-il, « comme l’ajustement du vête-
ment sur les jambes et la position de ces jambes dans la « vraie mère » du
Jugement de Salomon correspondent avec la femme à la fontaine du Concert,
comme la violence de la lumière dans le jeune homme placé à gauche de Salo-
mon et dans le Christ de la Femme adultère se retrouvent dans Je second musi-
cien du Concert, comme le type de la femme à la fontaine est identique à celui
de Catherine, la sainte placée le plus à gauche dans le tableau de Saint Jcan-Chry-
sostome, comme la petitesse de la tête de la musicienne nue participe du
modèle typique déjà décrit de la « vraie mère », et des filles de Cécrops et de
Sciila, et surtout on remarquera comme la violence de l’effet lumineux dans
les vêtements et l’atmosphère se retrouve dans la Femme adultère et le Concert.
Tout cela rend probable l’attribution à Sébastien, la plus probable parmi les
attributions possibles. »
Voici au complet toute l’argumentation. M’est-il permis de dire qu’elle ne m’a
pas convaincu? Je n’ai pas la compétence qu’il faudrait pour traiter un tel sujet,
ni la connaissance si complète que M. L. Venturi possède de toutes les œuvres de
l’école vénitienne. Si je parle ici, c’est en simple amateur, comme quelqu’un
dont le Concert champêtre n’a cessé d’être une des plus grandes joies de la vie,
et je le fais pour soumettre mes doutes, qui sont ceux de tous les artistes, à
M. L. Venturi, afin qu’il réponde à nos objections et qu’il traite encore plus
complètement un sujet si capital.
En abordant cette discussion je voudrais d’abord dire, plus que ne 1 a lait
M. L. Venturi, l’exceptionnelle beauté du Concert, œuvre pour ainsi dire unique
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Concert, croit cependant que ce tableau, plutôt que d’être de Giorgione, serait
d’un maître un peu plus tardif et il l’attribue à Sébastien de! Piombo, à
l’artiste qui fut le meilleur élève de Giorgione, celui qui s’inspira le plus étroi-
tement de son art.
Aujourd’hui M. Lionello Venturi reprend l’opinion de son père, la développe
avec plus d’ampleur, et il semble que, pour les historiens de l’art, et surtout
pour nous Français qui avons la gloire de posséder un tel chef-d’œuvre, ce soit
là le point capital de son livre.
Avant de discuter la thèse de M. L. Venturi, je ferai connaître toute son argu-
mentation. Elle consiste en deux parties : l’une dans laquelle il dit que le tableau
a des traits qui ne sont pas ceux de Giorgione, et l’autre dans laquelle il
montre par quels traits il se rattache à l’art de Sébastien de! Piombo. Après
avoir décrit le tableau M. L. Venturi dit : « Musiciens, femmes nues en pleine
campagne, coucher de soleil; Giorgione est présent. Pourtant, comme dans
l’exécution de ce tableau, conçu dans un parfait esprit giorgionesque, on
remarque une ampleur (grandiosita) de formes, des négligences de trait (tras-
curatezze di segno), une préférence pour les tons chauds, une superficielle
expression psychologique, nous ne croyons pas que l’œuvre soit de Giorgione.
Et par certains points de ressemblance avec les tableaux du Saint Jean-Chry-
sostome, de la. Femme adultère et du Jugement de Salomon de Sébastien del Piombo,
nous préférons attribuer à ce maître cette œuvre dans laquelle ce merveilleux
assimilateur a le plus profondément compris et assimilé l’art de Giorgione. »
Et, pour ne pas rester dans l’imprécision, M. Lionello Venturi indique les
points de ressemblance qui existeraient entre le Concert et ces trois œuvres de
Sébastien del Piombo: «On remarquera», dit-il, « comme l’ajustement du vête-
ment sur les jambes et la position de ces jambes dans la « vraie mère » du
Jugement de Salomon correspondent avec la femme à la fontaine du Concert,
comme la violence de la lumière dans le jeune homme placé à gauche de Salo-
mon et dans le Christ de la Femme adultère se retrouvent dans Je second musi-
cien du Concert, comme le type de la femme à la fontaine est identique à celui
de Catherine, la sainte placée le plus à gauche dans le tableau de Saint Jcan-Chry-
sostome, comme la petitesse de la tête de la musicienne nue participe du
modèle typique déjà décrit de la « vraie mère », et des filles de Cécrops et de
Sciila, et surtout on remarquera comme la violence de l’effet lumineux dans
les vêtements et l’atmosphère se retrouve dans la Femme adultère et le Concert.
Tout cela rend probable l’attribution à Sébastien, la plus probable parmi les
attributions possibles. »
Voici au complet toute l’argumentation. M’est-il permis de dire qu’elle ne m’a
pas convaincu? Je n’ai pas la compétence qu’il faudrait pour traiter un tel sujet,
ni la connaissance si complète que M. L. Venturi possède de toutes les œuvres de
l’école vénitienne. Si je parle ici, c’est en simple amateur, comme quelqu’un
dont le Concert champêtre n’a cessé d’être une des plus grandes joies de la vie,
et je le fais pour soumettre mes doutes, qui sont ceux de tous les artistes, à
M. L. Venturi, afin qu’il réponde à nos objections et qu’il traite encore plus
complètement un sujet si capital.
En abordant cette discussion je voudrais d’abord dire, plus que ne 1 a lait
M. L. Venturi, l’exceptionnelle beauté du Concert, œuvre pour ainsi dire unique