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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 4. Pér. 12.1914-1916

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Nr. 1
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Jamot, Paul: La collection Camondo au Musée du Louvre, 3: les peintres et les dessins
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https://doi.org/10.11588/diglit.24914#0075

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LA COLLECTION CAMONDO AU MUSÉE DU LOUVRE 63

Labié, têtes des gens qui consentent à venir poser chez lui. Il est pos-
sible que, dans sa jeunesse, entraîné par Pissarro et par ses autres
camarades, il ait accepté l’habitude de peindre ses paysages en
plein air comme une obligation de la doctrine réaliste et de ce natu-
ralisme que lui vantait son ami Zola. A vrai dire, il ne s’intéresse
ni à l’heure ni à la saison, ni à la lumière, ni à aucun de ces
accidents fugitifs qui font palpiter devant nous la face de la terre,
ni à cet accompagnement mystérieux que l’univers prête à nos
tristesses et à nos joies.

On a comparé les natures mortes de Cézanne à celles de Chardin,
et, en effet, si l’on considère seulement la plénitude et la richesse
de la peinture, la comparaison n’est pas illégitime. Mais qu’on ne
leur demande pas ce qui fait la poésie d’un tableau de Chardin, cet
amour des humbles choses qui aident les hommes à vivre! Lorsque
Cézanne dispose pour la centième fois une serviette épaisse, un bol
de faïence commune, une bouteille à demi pleine, des pommes
rouges ou jaunes sur une table de cuisine, comme lorsque pour la
centième fois il installe son chevalet devant un mur blanc et
quelques arbres verts que domine la montagne Sainte-Victoire, il
ne voit, suivant l’expression d’un de ses biographes1, que des objets
qui sont là pour être peints.

Ses intentions ne sont pas différentes en présence de la figure
humaine. 11 a peint des portraits; quand les amis ou les serviteurs
se dérobent, il prend sa femme pour modèle; le plus souvent c’est
sa propre tête qu’il peint, avec ou sans chapeau : il n’y met aucune
complaisance et ne pense pas qu’il fait pour la postérité le portrait
du peintre par lui-même. Sa tête, c’est un objet à peindre, un
« motif )> qu’il a toujours, peut-on dire, sous la main, et il s’en sert
pour les expériences sans cesse renouvelées qu’il médite. Les
Joueurs de cartes de la collection Camondo, qui datent de sa pleine
maturité (vers 1885), sont un des meilleurs tableaux de figures
qu’il nous ait laissés. On n’y sent aucune curiosité psychologique,
ni même pittoresque. Cézanne a peint ces deux paysans, leur cha-
peaux de feutre gauchis, leurs vestons terreux, leurs figures rou-
geaudes, avec la même indifférence pour leurs personnes et pour
leur action, avec la même passion pour les combinaisons des plans
et les modulations des couleurs, que s’il avait eu devant les yeux
ses habituels tas de pommes.

I. Th. Duret, Les Peintres impressionnistes, p. 173.
 
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