GAZETTE DES BEAUX-ARTS
t 2
l’Extrême-Orient au musée de Boston, me dit que d’après lui, ce fragment
est plutôt une page d’album. (Ou bien faisait-il partie d’une collection de
morceaux analogues montés en makimono et sans doute séparés par des
textes explicatifs ?) Mais voici qui importe infiniment plus : M. Lodge me
déclare qu’il a trouvé dans la collection Freer de Washington1, une copie
de cette peinture et cinq autres tableaux de la même série, le tout datant
des Ming ou des Ch’ing. 11 vaudra la peine de revenir là-dessus un peu
plus tard.
Depuis que le Palais Ghiu cheng est à Boston, je l’ai souvent examiné
avec beaucoup d attention. La perspective qui y est mise en œuvre est d’une
science consommée. Les rochers du premier plan, à droite et à gauche, sont
vert pale ; les taches noires de la reproduction sont d’un vert de mala-
chite foncé dans l'original. Les parois du palais sont d’un rouge garance,
sauf la base qui est blanche, comme aussi le pont ; les corniches et les faîtes
sont bleus. Les montagnes rocheuses du fond sont brunâtres, sauf celles du
milieu, qui sont vertes. Les quelques figures éparpillées aux bords et à l’in-
térieur du palais sont dessinées ou indiquées avec verve. A l’exception de
quelques craquelures sans importance et de la perte de détails dans le paysage
rocheux, l’œuvre est remarquablement conservée, ce qui, bien entendu,
augmente nos doutes relatifs à son ancienneté. Les couleurs sont en général
d’une grande fraîcheur ; elles sont brillantes et variées, mais il n'y a rien de
violent ; l’harmonie des nuances est exquise.
Je parlerai moins longuement d’une autre œuvre, attribuée à Li Chao-tao,
acquise à Shanghai, en 1918, par le Musée métropolitain, car elle est moins
importante et d’une tradition douteuse2. D’après M. S. G. Bosch Reitz, ce
serait une copie de l’époque des Cinq Dynasties ou des Sung.
L’œuvre a moins de grandeur que celle de Boston, mais elle est tout à fait
charmante. Je propose de l’intituler : Les Deux philosophes dans un paysage
neigeux. A vrai dire les deux philosophes ne se trouvent pas en plein air : ils
sont assis dans un chalet ouvert, et un domestique se tient auprès d’eux pour
les servir; mais le chalet est si minuscule et si humilie dans le paysage gigan-
tesque, qu’on l’oublie ; on ne voit que les deux hommes, vêtus de soie et
pleins de dignité, et derrière eux les montagnes couvertes de neige. La
composition est fort originale : au premier plan, le petit mur qui enclôt la
propriété attenante au chalet ; au milieu de ce mur, une porte précédée de
trois marches ; auprès du mur, un bananier dont les larges feuilles sont
1. La réorganisation de cette merveilleuse collection lui a été confiée.
2. Peinture sur soie montée en kakémono; numéro d’entrée: 18.124.9; dimensions:
1,23 X o,48 (on voit que ce tableau est beaucoup plus grand que celui de Boston).
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l’Extrême-Orient au musée de Boston, me dit que d’après lui, ce fragment
est plutôt une page d’album. (Ou bien faisait-il partie d’une collection de
morceaux analogues montés en makimono et sans doute séparés par des
textes explicatifs ?) Mais voici qui importe infiniment plus : M. Lodge me
déclare qu’il a trouvé dans la collection Freer de Washington1, une copie
de cette peinture et cinq autres tableaux de la même série, le tout datant
des Ming ou des Ch’ing. 11 vaudra la peine de revenir là-dessus un peu
plus tard.
Depuis que le Palais Ghiu cheng est à Boston, je l’ai souvent examiné
avec beaucoup d attention. La perspective qui y est mise en œuvre est d’une
science consommée. Les rochers du premier plan, à droite et à gauche, sont
vert pale ; les taches noires de la reproduction sont d’un vert de mala-
chite foncé dans l'original. Les parois du palais sont d’un rouge garance,
sauf la base qui est blanche, comme aussi le pont ; les corniches et les faîtes
sont bleus. Les montagnes rocheuses du fond sont brunâtres, sauf celles du
milieu, qui sont vertes. Les quelques figures éparpillées aux bords et à l’in-
térieur du palais sont dessinées ou indiquées avec verve. A l’exception de
quelques craquelures sans importance et de la perte de détails dans le paysage
rocheux, l’œuvre est remarquablement conservée, ce qui, bien entendu,
augmente nos doutes relatifs à son ancienneté. Les couleurs sont en général
d’une grande fraîcheur ; elles sont brillantes et variées, mais il n'y a rien de
violent ; l’harmonie des nuances est exquise.
Je parlerai moins longuement d’une autre œuvre, attribuée à Li Chao-tao,
acquise à Shanghai, en 1918, par le Musée métropolitain, car elle est moins
importante et d’une tradition douteuse2. D’après M. S. G. Bosch Reitz, ce
serait une copie de l’époque des Cinq Dynasties ou des Sung.
L’œuvre a moins de grandeur que celle de Boston, mais elle est tout à fait
charmante. Je propose de l’intituler : Les Deux philosophes dans un paysage
neigeux. A vrai dire les deux philosophes ne se trouvent pas en plein air : ils
sont assis dans un chalet ouvert, et un domestique se tient auprès d’eux pour
les servir; mais le chalet est si minuscule et si humilie dans le paysage gigan-
tesque, qu’on l’oublie ; on ne voit que les deux hommes, vêtus de soie et
pleins de dignité, et derrière eux les montagnes couvertes de neige. La
composition est fort originale : au premier plan, le petit mur qui enclôt la
propriété attenante au chalet ; au milieu de ce mur, une porte précédée de
trois marches ; auprès du mur, un bananier dont les larges feuilles sont
1. La réorganisation de cette merveilleuse collection lui a été confiée.
2. Peinture sur soie montée en kakémono; numéro d’entrée: 18.124.9; dimensions:
1,23 X o,48 (on voit que ce tableau est beaucoup plus grand que celui de Boston).