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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 5. Pér. 8.1923

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Nr. 1
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Brancour, Félix René: Chronique musicale
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https://doi.org/10.11588/diglit.24940#0130

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

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princesse et de sa mère. M. Albert est un magnifique Ulysse et M. Vieuille un roi
paternel et imposant. M. Albert Wolfî continue d’être l’excellent chef d’orchestre
que l’on sait, et la mise en scène fait, comme d’habitude, honneur à M. Albert Carré.

C’est un nom considérable dans l’école espagnole que celui d’Isaac Albeniz, et
peut-être son importance est-elle la cause innocente du désappointement relatif que
nous laissa Pépita Jimenez. Où sont les rythmes éperdus, la joie étincelante de
Cataluna et d'Iberia, et les chants nerveux où semble s’exaspérer l’âme musicale de
la péninsule Ibérique? On n’en retrouve que l’écho bien atténué en cette histoire
toute simple d’une Manon Lescaut et d’un Des Crieux espagnols. Ce n’est pas que
leur sincérité ne nous émeuve; elle est chaleureusement exprimée, et, cela va de soi,
sans la grâce prenante et parfois maniérée du chef-d’œuvre de Massenet. Mais enfin
nous n’y sentons point cette vigueur âpre et tourmentée que, peut-être à tort, nous
attendions de l’auteur de The magic opal — sans parler des coloris ruisselants de
lumière promis à nos souvenirs et à notre imagination.

Hormis les exceptions dont il sera parlé plus loin, la partition se compose d’une
série de petites phrases sautillantes, la plupart en rythmes ternaires, qui portent sur
leurs sommets perpétuellement trépidants la déclamation vocale. Or celle-ci ne pré-
sente que rarement un intérêt assez vif pour exciter la verve du compositeur. Don
Luis de A argas aime Pépita Jimenez et Pépita Jimenez aime Don Luis de Vargas ;
ils ne négligent aucune occasion de nous en informer. Quant aux scrupules du
séminariste, nous avons peine à les croire plus intenses que ceux du héros de l’abbé
Prévost. Joignez à ces soupirs et à ces plaintes le babillage incessant d’une nour-
rice agitée, et à qui l’on dirait volontiers, comme Géronte à Jacqueline dans le Médecin
malgré lui : « Peste ! madame la nourrice, comme vous dégoisez! Taisez-vous, je vous
prie; vous échauffez votre lait. » Mais il faut saluer avec joie, outre quelques pas-
sages où l’amoureuse passion s’exhale en de brûlants accents, un délicieux interlude
dans lequel les cors et les violoncelles semblent murmurer une incantation magique,
et que l’on voulut réentendre; c’est un véritable joyau sonore, une cancion instru-
mentale vibrante de tendresse éplorée et ravie. Et il y faut ajouter l’épisode de la fête
de nuit, avec son charmant Noël que chantent les enfants accompagnés par le chœur,
tandis que des fillettes esquissent un pas au rythme candide.

Pépita Jimenez est remarquablement interprétée, et je gage que ni Barcelone, qui
fut son berceau en iS90, ni Bruxelles, dix ans plus tard (après l’Allemagne, l’Angle-
terre et l’Italie), ne furent si bien pourvues. Mme Marguerite Carré représente
l’héroïne avec une finesse, une grâce, une passion qui devaient infailliblement
triompher des remords de Don Luis. Celui-ci apparaît d’ailleurs à son avantage,
sous les traits de M. Max Bussy; louons aussi M'le Estève etM. Dupré.

La mise en scène est — naturellement — tout à fait appropriée à l’action de ce
quasi drame, et les danses sont habilement réglées par Mlle Chasles. Enfin, M. Albert
WolfT, après avoir mené sans secousses la nef d’Ulysse de Corcyre à Ithaque, l’a
fait non moins heureusement aborder aux côtes d’Hesperia.

RENÉ BRANCOUR
 
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