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songé non plus, si au commencement du dix-
huitième siècle le hasard n’était venu en aide.
Un certain capitaine anglais, dans son voyage
aux Indes en 1760, avait cherché un port de
refuge sur la côte de Honduras pour y réparer
son navire qui avait reçu des avaries pendant
la tempête. Le maître charpentier alla à terre
avec quelques hommes pour chercher les bois
nécessaires et y trouva un superbe mahagoni.
Avec beaucoup de peine, cet arbre fut abattu,
scié en planches et transporté à bord du navire
en détresse. Après les réparations il en resta
quelques pièces qu’on garda en réserve. On
retourna en Angleterre, où le frère du capi-
taine, un médecin, était en train de bâtir une
maison.
Le marin lui fit cadeau de ces bois; mais les
ouvriers déclarèrent que ces matériaux étaient
trop durs et les mirent de côté. Le méde-
cin, qui était très économe et ne voulait rien
laisser perdre, chargea son menuisier de con-
fectionner avec ce bois une table. L’artisan se
plaignit également de la dureté de ces plan-
ches, mais, enthousiasmé du beau poli qu’elles
pouvaient prendre, acheva la table.
Le docteur invita ses clients et ses connais-
sances à visiter son meuble fabriqué avec un
bois inconnu; on en parla dans toute la ville
et les ébénistes de la cité voulurent s’en pro-
curer. La duchesse de Buckingham acheta la
table à un prix très-élevé; elle fit bientôt
fureur dans la haute nobility et pour s’en pro-
curer de semblables, les amateurs envoyèrent
u la hâte des vaisseaux dans le Honduras pour
y chercher ces bois précieux dont la consom
uiation n’a cessé d’augmenter depuis cette
époque.
A part le bois de chêne, nulle essence li-
gneuse n’a joui d’une vogue aussi universelle
et aussi constante que le bois d’Acajou du
Mahagoni. Son adoption nécessita un travail
spécial et par là même changea la forme né-
cessaire des objets d’ameublement. Les meu-
bles en accajou amenèrent un nouveau style
,l>ais nous avons déjà dit que malgré l’appoint
du talent et des prédilections d’artistes de la
Valeur de MM. Fontaine et Percier, il ne donna
fiaissance qu’à des formes hybrides ou à des
Postiches étrusco-romaiu sans originalité et
sans grâce. A.
France.
LA GALERIE RELIGIEUSE DU MUSÉE
DU LOUVRE.
Notre lecteur, en face d’un pareil titre
s imaginera peut-être qu’il est question di
remanier les galeries du Louvre. U y a quel
fiues semaines, nous parlions à cette placi
des modifications heureuses apportées dan;
l’aménagement des salles de sculpture. Ni
s’agirait-il point aujourd’hui de procède
daprès un plan nouveau? Faut-il craindn
9ue la classification des toiles par école
s°it abandonnée au profit d’une important!
galerie dans laquelle se trouveraient groupés
les chefs-d’œuvre de l’art chrétien? Que notre
lecteur se rassure. Nous n’avons pas à l’en-
tretenir de changements de cet ordre dans
notre Louvre. Les toiles y demeurent à leur
place, et le visiteur qui aime à se retrouver
de temps à autre en tête à tête avec quelque
chef-d’œuvre préféré n’aura point à le cher-
cher vainement dans le palais 11 le reverra
demain où il s’est plu à le contempler hier.
Qu’est-ce donc que la Galerie Religieuse du
Musée du Louvre?
— Un livre.
Mais que ce simple mot ne vous laisse pas
en défiance. Ee livre dont nous parlons dé-
passe par son format, sa richesse, son éten-
due les conditions ordinaires d’un ouvrage
tel qu’on l’entend de nos jours. C’est moins
un livre qu’un monument.
Les habitués du Louvre ne trouveront pas
étonnant qu’il en soit ainsi. La mine est iné-
puisable, et des pierres qu’on peut emporter
d’un tel lieu, rien n’est moins difficile que
de construire un monument durable.
Ainsi l’a pensé M. Félix Hermet (1) un édi-
teur courageux et plein de goût, qui après
avoir entrepris de mettre au jour toutes les
merveilles du Louvre, habilement gravées,
publie parallèlement à son œuvre gigantesque
une Galerie Religieuse du Musée du Louvre.
L’homme a deux mains. M. Hermet le
prouve. Tandis qu’avec l’une il dispose les
colonnades et les frontons de l’édifice auquel
son nom restera comme celui des Laurent
demeure attaché aux deux éditions du Musée
Royal, de l’autre, il façonne avec non moins
de tact que d’adresse une sorte de musée
réduit, quelque chose qui rappelle un sanc-
tuaire et ce sont les planches les plus rares
de son immense collection qu’il y dépose à
dessein pour le plaisir des yeux et l’enchan-
tement de la pensée.
Cent planches, il faudrait dire cent œu-
vres sans rivales, formeront ce livre sé-
rieux et suave que M. Hermet place à la
portée de toutes les mains.
Un texte imprimé dans le format des plan -
elles, avec de grandes marges appelle l’es-
prit le plus indolent à se pénétrer de la vie
du peintre, de l’idée première qui a présidé
à la conception du chef-d'œuvre que le
burin à pieusement traduit. Mais qu’est-il
besoin de parler du texte et des esprits in-
dolents? 11 s’en trouvera bien peu, j’en suis
sûr, si même il s’en rencontre jamais, de-
vant ces belles pages largement traitées qui
s’imposent à tous les regards.
Ouvrons le livre, je me trompe, entrons
dans le temple.
Voici l'Assomption de la Vierge de Poussin,
le Christ à la colonne de Le Sueur, la sainte
Famille de Bourdon, le Denier de César par
Valentin, l'Extrême-Onction par Jouvenet,
sainte Cécile par Mignard, la Chananéenne
(1) Paris 7 passage Dauphine.
par Drouais, saint Paul à Ephèse, saint Paul
guérissant des malades et la messe de saint
Martin par Le Sueur.
Je me suis dirigé d’abord vers les maîtres
de l’Ecole française. Ils sont les moins nom-
breux dans ce Sénat où Raphaël tient la pre-
mière place avec douze de ses compositions.
Ce sont la Visiond'Ezechiël, la sainte Famille,
la Vierge au donataire, la Relie Jardinière, le
Silence de la sainte Vierge, YEnfant Jésus ca-
ressant saint Jean, les Cinq Saints, la Trans-
figuration de saint Michel, la Vierge de la mai-
son d'Orléans et Léon X, et cette œuvre ex-
quise dont le poète a si bien dit en parlant
de la pensée de l’artiste ;
• Sur sa toile, en mourant, Raphaël l’a laissée ;
» Et pour que le néant ne touche point à lui,
• C’est assez d’un enfant sur sa mère endormi. «
A la suite de Raphaël « le divin » se pres-
sent Fra Rartolomeo avec le Sauveur du
monde, Titien l’auteur du Couronnement d'é-
pines, le Caravage et la Mort de la Vierge,
Squazella et Jésus-Christ déposé de la Croix,
leParmesan avec sainte Marguerite, Veronèse,
Annibal, Carrache, Schidone, le Dominiquin
représentés par une Sainte Famille, le Christ
mort sur les genoux de la Vierge, le Christ au
tombeau, le Ravissement de saint Paul. Nous
allons oublier la Madeleine du Guide, la
Naissance de la Vierge d’Albani, le Mariage
de sainte Catherine de Carlo Maratti, le Rêve
de saint Jérôme du Guerchin, l’Annonciation
de la Vierge par Selimena, etc., mais nous ne
pouvons tout citer.
L’Ecole flamande n’est pas oubliée dans la
Galerie du musée du Louvre. Rubens et la
Descente de Croix, Philippe de Champaigne
et sainte Marie Pénitente, la Cène, les Reli-
gieuses, ont près d’eux Jordaens et Van Dyck,
celui-là représenté par ses Quatre Evangé-
listes, celui-ci par une Vierge, mais Rubens
paraît et fait oublier ses émules lorsqu’on
analyse le Christ au Sépulcre et VIncrédulité
de saint Thomas.
Nous ne pouvons plus parler d’Elzeihmer,
de l’école allemande, des espagnols Ribera
et Murillo, des hollandais Rembrandt, Stein-
vvick, Vander Werff, etc. Aussi bien l’im-
puissance de la plume n’est jamais plus sen-
sible que lorsqu’il faut écrire sur les arts du
dessin. La ligne, la couleur, un peu d’ombre
ou de lumière parlent à l’âme avec une élo-
quence que n’a pas la critique. Cette lettre
n’est guère autre chose qu’un catalogue, une
nomenclature sans chaleur. Dieu sait pour-
tant combien de compositions heureuses,
graves ou riantes, douloureuses ou éclatan-
tes de joie ont passé tout à l’heure sous mes
yeux. Et je n’ai rien dit, je ne vous ai rien
communiqué de la vie et de la lumière qui
sont ici-bas comme la respiration du génie
sous quelque forme qu’il se présente. Plai-
gnez-moi, ou plutôt suivez mon exemple,
contemplez vous-même à loisir ce qu’on ne
raconte pas, voyez et voyez encore.
Henry Jouin.
songé non plus, si au commencement du dix-
huitième siècle le hasard n’était venu en aide.
Un certain capitaine anglais, dans son voyage
aux Indes en 1760, avait cherché un port de
refuge sur la côte de Honduras pour y réparer
son navire qui avait reçu des avaries pendant
la tempête. Le maître charpentier alla à terre
avec quelques hommes pour chercher les bois
nécessaires et y trouva un superbe mahagoni.
Avec beaucoup de peine, cet arbre fut abattu,
scié en planches et transporté à bord du navire
en détresse. Après les réparations il en resta
quelques pièces qu’on garda en réserve. On
retourna en Angleterre, où le frère du capi-
taine, un médecin, était en train de bâtir une
maison.
Le marin lui fit cadeau de ces bois; mais les
ouvriers déclarèrent que ces matériaux étaient
trop durs et les mirent de côté. Le méde-
cin, qui était très économe et ne voulait rien
laisser perdre, chargea son menuisier de con-
fectionner avec ce bois une table. L’artisan se
plaignit également de la dureté de ces plan-
ches, mais, enthousiasmé du beau poli qu’elles
pouvaient prendre, acheva la table.
Le docteur invita ses clients et ses connais-
sances à visiter son meuble fabriqué avec un
bois inconnu; on en parla dans toute la ville
et les ébénistes de la cité voulurent s’en pro-
curer. La duchesse de Buckingham acheta la
table à un prix très-élevé; elle fit bientôt
fureur dans la haute nobility et pour s’en pro-
curer de semblables, les amateurs envoyèrent
u la hâte des vaisseaux dans le Honduras pour
y chercher ces bois précieux dont la consom
uiation n’a cessé d’augmenter depuis cette
époque.
A part le bois de chêne, nulle essence li-
gneuse n’a joui d’une vogue aussi universelle
et aussi constante que le bois d’Acajou du
Mahagoni. Son adoption nécessita un travail
spécial et par là même changea la forme né-
cessaire des objets d’ameublement. Les meu-
bles en accajou amenèrent un nouveau style
,l>ais nous avons déjà dit que malgré l’appoint
du talent et des prédilections d’artistes de la
Valeur de MM. Fontaine et Percier, il ne donna
fiaissance qu’à des formes hybrides ou à des
Postiches étrusco-romaiu sans originalité et
sans grâce. A.
France.
LA GALERIE RELIGIEUSE DU MUSÉE
DU LOUVRE.
Notre lecteur, en face d’un pareil titre
s imaginera peut-être qu’il est question di
remanier les galeries du Louvre. U y a quel
fiues semaines, nous parlions à cette placi
des modifications heureuses apportées dan;
l’aménagement des salles de sculpture. Ni
s’agirait-il point aujourd’hui de procède
daprès un plan nouveau? Faut-il craindn
9ue la classification des toiles par école
s°it abandonnée au profit d’une important!
galerie dans laquelle se trouveraient groupés
les chefs-d’œuvre de l’art chrétien? Que notre
lecteur se rassure. Nous n’avons pas à l’en-
tretenir de changements de cet ordre dans
notre Louvre. Les toiles y demeurent à leur
place, et le visiteur qui aime à se retrouver
de temps à autre en tête à tête avec quelque
chef-d’œuvre préféré n’aura point à le cher-
cher vainement dans le palais 11 le reverra
demain où il s’est plu à le contempler hier.
Qu’est-ce donc que la Galerie Religieuse du
Musée du Louvre?
— Un livre.
Mais que ce simple mot ne vous laisse pas
en défiance. Ee livre dont nous parlons dé-
passe par son format, sa richesse, son éten-
due les conditions ordinaires d’un ouvrage
tel qu’on l’entend de nos jours. C’est moins
un livre qu’un monument.
Les habitués du Louvre ne trouveront pas
étonnant qu’il en soit ainsi. La mine est iné-
puisable, et des pierres qu’on peut emporter
d’un tel lieu, rien n’est moins difficile que
de construire un monument durable.
Ainsi l’a pensé M. Félix Hermet (1) un édi-
teur courageux et plein de goût, qui après
avoir entrepris de mettre au jour toutes les
merveilles du Louvre, habilement gravées,
publie parallèlement à son œuvre gigantesque
une Galerie Religieuse du Musée du Louvre.
L’homme a deux mains. M. Hermet le
prouve. Tandis qu’avec l’une il dispose les
colonnades et les frontons de l’édifice auquel
son nom restera comme celui des Laurent
demeure attaché aux deux éditions du Musée
Royal, de l’autre, il façonne avec non moins
de tact que d’adresse une sorte de musée
réduit, quelque chose qui rappelle un sanc-
tuaire et ce sont les planches les plus rares
de son immense collection qu’il y dépose à
dessein pour le plaisir des yeux et l’enchan-
tement de la pensée.
Cent planches, il faudrait dire cent œu-
vres sans rivales, formeront ce livre sé-
rieux et suave que M. Hermet place à la
portée de toutes les mains.
Un texte imprimé dans le format des plan -
elles, avec de grandes marges appelle l’es-
prit le plus indolent à se pénétrer de la vie
du peintre, de l’idée première qui a présidé
à la conception du chef-d'œuvre que le
burin à pieusement traduit. Mais qu’est-il
besoin de parler du texte et des esprits in-
dolents? 11 s’en trouvera bien peu, j’en suis
sûr, si même il s’en rencontre jamais, de-
vant ces belles pages largement traitées qui
s’imposent à tous les regards.
Ouvrons le livre, je me trompe, entrons
dans le temple.
Voici l'Assomption de la Vierge de Poussin,
le Christ à la colonne de Le Sueur, la sainte
Famille de Bourdon, le Denier de César par
Valentin, l'Extrême-Onction par Jouvenet,
sainte Cécile par Mignard, la Chananéenne
(1) Paris 7 passage Dauphine.
par Drouais, saint Paul à Ephèse, saint Paul
guérissant des malades et la messe de saint
Martin par Le Sueur.
Je me suis dirigé d’abord vers les maîtres
de l’Ecole française. Ils sont les moins nom-
breux dans ce Sénat où Raphaël tient la pre-
mière place avec douze de ses compositions.
Ce sont la Visiond'Ezechiël, la sainte Famille,
la Vierge au donataire, la Relie Jardinière, le
Silence de la sainte Vierge, YEnfant Jésus ca-
ressant saint Jean, les Cinq Saints, la Trans-
figuration de saint Michel, la Vierge de la mai-
son d'Orléans et Léon X, et cette œuvre ex-
quise dont le poète a si bien dit en parlant
de la pensée de l’artiste ;
• Sur sa toile, en mourant, Raphaël l’a laissée ;
» Et pour que le néant ne touche point à lui,
• C’est assez d’un enfant sur sa mère endormi. «
A la suite de Raphaël « le divin » se pres-
sent Fra Rartolomeo avec le Sauveur du
monde, Titien l’auteur du Couronnement d'é-
pines, le Caravage et la Mort de la Vierge,
Squazella et Jésus-Christ déposé de la Croix,
leParmesan avec sainte Marguerite, Veronèse,
Annibal, Carrache, Schidone, le Dominiquin
représentés par une Sainte Famille, le Christ
mort sur les genoux de la Vierge, le Christ au
tombeau, le Ravissement de saint Paul. Nous
allons oublier la Madeleine du Guide, la
Naissance de la Vierge d’Albani, le Mariage
de sainte Catherine de Carlo Maratti, le Rêve
de saint Jérôme du Guerchin, l’Annonciation
de la Vierge par Selimena, etc., mais nous ne
pouvons tout citer.
L’Ecole flamande n’est pas oubliée dans la
Galerie du musée du Louvre. Rubens et la
Descente de Croix, Philippe de Champaigne
et sainte Marie Pénitente, la Cène, les Reli-
gieuses, ont près d’eux Jordaens et Van Dyck,
celui-là représenté par ses Quatre Evangé-
listes, celui-ci par une Vierge, mais Rubens
paraît et fait oublier ses émules lorsqu’on
analyse le Christ au Sépulcre et VIncrédulité
de saint Thomas.
Nous ne pouvons plus parler d’Elzeihmer,
de l’école allemande, des espagnols Ribera
et Murillo, des hollandais Rembrandt, Stein-
vvick, Vander Werff, etc. Aussi bien l’im-
puissance de la plume n’est jamais plus sen-
sible que lorsqu’il faut écrire sur les arts du
dessin. La ligne, la couleur, un peu d’ombre
ou de lumière parlent à l’âme avec une élo-
quence que n’a pas la critique. Cette lettre
n’est guère autre chose qu’un catalogue, une
nomenclature sans chaleur. Dieu sait pour-
tant combien de compositions heureuses,
graves ou riantes, douloureuses ou éclatan-
tes de joie ont passé tout à l’heure sous mes
yeux. Et je n’ai rien dit, je ne vous ai rien
communiqué de la vie et de la lumière qui
sont ici-bas comme la respiration du génie
sous quelque forme qu’il se présente. Plai-
gnez-moi, ou plutôt suivez mon exemple,
contemplez vous-même à loisir ce qu’on ne
raconte pas, voyez et voyez encore.
Henry Jouin.