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— 60

Arts recevront cette chronique, trente mille
spectateurs auront pris part à la fête d’ouver-
ture de l’Exposition et le public parcourra
les galeries des nouveaux palais.

Je vous entretenais dans ma dernière lettre
du palais du Trocadéro. Je viens de visiter à
votre intention le palais du Champ-de-Mars.
Avec un peu d’imagination c’est à croire qu’on
descend aux Enfers. L’antre des Cyclopes, les
forges de Vulcain sont dépassées par ce vaste
chantier où chariots, wagons, ouvriers, expo-
sants, flâneurs et policemen se croisent au
milieu d’un bruit formidable. Là, c’est un gé-
nérateur qu’on essaie et le sifflement de la
vapeur donne Yut dièze, tandis qu’un lourd
camion chargé de fonte fait entendre son mur-
mure continu, semblable aux notes de poitrine
de quelque géant. Ici, le sol est défoncé ; je
me penche sur la tranchée ; des hommes sont
au fond occupés à souder un tube colossal.
Au-dessus de ma tête les coups de maillet sur
la tôle m’avertissent qu’on pose les laitages.

En somme, c’est moins une promenade
qu’un voyage pénible qu’on peut effectuer en
ce moment au palais du Ghamp-de Mars. La
main des fées va changer tout cela dans quel-
ques jours, ne soyez donc pas inquiet ; et
puisque de mon excursion laborieuse j’ai pu
rapporter les notes dont j’avais besoin pour
vous renseigner, oublions le passé pour ne
plus songer qu’au présent.

Vous vous souvenez du Palais de 1867. Il
affectait une forme ovoïde ; chaque nationalité
disposait d’un secteur, chaque nature de pro-
duits, d’anneau ovoïdal. Deux motifs ont amené
les organisateurs de l’Exposition présente à
renoncer à ce mode de construction. La forme
curviligne a rendu en 1867 la transmission des
mouvements extrêmement difficile et compli-
quée, notamment dans la galerie des machi-
nes. En second lieu, les fers courbés, employés
dans la construction du palais ne purent être
utilisés après la clôture de l’Exposition et il
fallut s’en défaire à vil prix. Il y aura donc
économie, à double titre, cette année, car on a
substitué des galeries rectilignes au palais
ovoïdal d’il y a onze ans, et déjà des compa-
gnies de chemins de fer, des villes et des
manufacturiers ont acheté les armatures des
grandes nefs du monument provisoire qui
couvre le Champ-de-Mars. Les profits de
cette vente viendront utilement diminuer les
charges énormes que s’est imposées l’État
pour l’Exposition Universelle.

Le palais du Champ-de-Mars couvre une
surface de 240,530 mètres carrés. Il a la
forme d’un rectangle dont les côtés alternés
sont égaux. Les deux façades regardent le
Trocadéro et l’école militaire. La porte d’hon-
neur, richement décorée ouvre du côté du
Trocadéro ; elle est surmontée d’un dôme posé
avec non moins d’élégance que de hardiesse.
Un large perron flanqué de fontaines monu-
mentales y donne accès.

Entrons. Voici que le regard se perd dans

une suite de galeries longitudinales coupées
de galeries transversales. Des caisses entrou-
vertes, des étalages ébauchés, des appariteurs
de tout costume et de toute nationalité en-
combrent à l’envi les pas du chroniqueur.
Je me replie, sur la galerie médiane établie
dans l’axe du Pont d’Iéna qui sera celle des
beaux-arts. Là je puis circuler à loisir, non
que l’activité soit moins grande qu’ailleurs,
mais parce qu’on y travaille avec méthode,
avec goût et dans une sorte de recueillement
de bon augure.

La galerie des beaux-arts est isolée du
reste de l’édifice par deux promenoirs à dé-
couvert qui la mettront à l’abri de la pous-
sière et du bruit. « En outre, dit une intéres-
sante notice qui m’est offerte sur cette partie
du palais, à la différence des autres galeries
qui sont tout en fer, sa couverture seule est
métallique, et le reste est en maçonnerie. »
Nous nous faisons volontiers l’écho de cette
nouvelle dont nous avons pu constater l’exac-
litude, et nous nous plaisons à penser que les
artistes et les propriétaires d’œuvres d’art
auxquels il a été fait appel se trouveront ras-
surés par les mesures de prudence dont le
gouvernement français a voulu entourer les
toiles de prix qui arrivent à chaque heure au
Champ de Mars. La galerie des beaux-arts
est à la place d’honneur dans le palais : nous
ne pensons pas qu’il soit téméraire d’avancer
qu’elle gardera le premier rang. Ce que nous
avons pu voir dans les salles réservées aux
portraits historiques, aux tapisseries des
Gobelins, à la manufacture de Sèvres, pour ne
parler que des expositions qui relèvent de
l’État, nous permet d’affirmer que le succès
réel remporté par les beaux-arts en 1867 sera
certainement éclipsé dans quelques jours.

Et maintenant, ami lecteur, que je vous ai
fait pénétrer dans le temple, entrez-y souvent,
car je me sens incapable à dénombrer sans
rien omettre les trésors qu’il abrite. Toutefois
j’essaierai dans mes prochaines lettres de
faire avec vous quelques haltes en face des
grandes œuvres qu’on y admire.

Henry Jouin.

DU GROUPE (î).

I.

Dans notre précédent travail, nous avons
traité de la statue. Nous nous proposons de
parler du groupe.

Qu’est-ce que le groupe ?

Le groupe est l’expression totale de l’art du
sculpteur.

Nous avons dit de la statue qu’elle résume
l’art plastique. Le groupe et l’épanouissement
de cct art. Il est le terme dernier de toute
création pour l’artiste. Le statuaire ne saurait

(IJ Cette étude fait suite à celles que nous avons
déjà publiées : elles formeront dans leur ensemble
l’esthétique la plus remarquable qui aura été for-
mulée de nos jours sur la statuaire. N. d. 1, H.

éprouver d’impulsion qui le porte au delà du
groupe. Si nous observons le sculpteur dans
sa formation intellectuelle, l’objet de son étude
doit être la statue ; mais si nous l’accompa-
gnons plus tard dans la vie, s’il nous interroge
sur l’œuvre maîtresse vers laquelle doivent
converger son intelligence, sa volonté, l’effort
de sa main, c’est un groupe que nous lui de-
manderons de produire.

Pourquoi ? Quelle peut être la raison philo-
sophique de cette loi ?

Nous allons le dire.

II.

L’homme est un être essentiellement socia-
ble qui ne conçoit rien sans relation. Ce qu’il
voit dans sa propre mémoire, il le compare et
le rapproche. C’est à l’état de groupe que les
idées se meuvent dans dans son esprit.

L’isolement n’existe pas dans nos facultés.

Un enchaînement continu caractérise le jeu
de la pensée, de même que la succession des
heures, les battements interrompus des artères,
constituent la vie.

Ainsi des individus. Quels groupes multi-
ples et changeants ne forment-ils pas depuis le
foyer domestique jusqu’au forum où se tien-
nent les assém Idées ?

Qu’est-ce qu’un peuple, qu’est-ce qu’une
patrie !

III.

Lorsque l’artiste se prend à chercher un
sujet, quoi qu’il fasse, l’individualité qui s’im-
pose à lui n’est pas seule. Elle lui apparaît
dans son cadre, dans son milieu.

S’il veut honorer un soldat, il le compare à
Miltiade ou à Napoléon. Est-ce un orateur qui
se réclame de lui ? Démosthènes ou Berryer
s’impose à sa pensée. Si c’est une page allégo-
rique que l’artiste se propose de modeler, il ne
s’arrêtera pas au symbole du Patriotisme sans
avoir pesé malgré lui ce que vaudrait l’image
du Dévouement ou celle de la Liberté qui se
dressent instantanément sous son regard.

Et l’artiste, qui n’a dans ses mains qu’un
pouvoir limité, voudrait être libre d’écrire les
nuances de la passion sur les fronts divers et
sans nombre, afin de laisser à chacun le signe
distinctd’une pensée toujours saisissable.sans
rien sacrifier de la vision qui l’enivre.

Mais c’est une statue, c’est un buste qu’on
exige du sculpteur. Que va-t-il faire ? Il va
plier sous le joug, et demander au marbre
l’image isolée d’un grand homme ; toutefois,
il ne détourne pas le regard des figures idéa-
les qui font cortège à son modèle, et si vous
l’approchez pendant son travail, vous l’enten-
drez dire :

« Cet homme dont j’honore la mémoire, ce
citoyen, ce magistrat, ce poète, qui va revivre
dans un marbre, ne suffit pas à l’expression
du courage, de l’intégrité, du génie d’un
grand peuple. Je lui destine un frère. Je dres-
serai quelque jour l’image parallèle de ses
 
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