74 —
Gérardin, portrait de M. le docteur N. A. G.
représenté de face, tête nue, en costume mi-
litaire, nous a permis d'apprécier la flexibilité
du talent de l'artiste. Ici la tète est jeune,
mais la résolution du regard et des lèvres, le
ton sévère du vêtement, contrastent avec le
portrait de jeune fille dont nous venons de
parler,
Henry Jouin.
DU BAS-RELIEF(i).
i.
Je ne sais rien de plus étrange en sculpture
que le bas relief.
Il ne fait pas appel, comme la ronde bosse,
à la beauté totale de la forme. Un contour
lui suffit. Mais, pour être plus voisin de la
peinture que ne l'est la statue, le bas-relief
reste monochrome. Curieuse page, n'est-il
pas vrai? que celle d'où la couleur et la saillie
seront à peu près absentes.
II.
Genre mixte, œuvre toute de fiction, ainsi
peut être défini le bas-relief.
III.
A Fart plastique, il emprunte la matière et
le procédé; à l'art pittoresque, le mode; à
l'art architectural, le caractère et l'emplace-
ment.
Vous souvient-il de ces strophes à un
Voyageur, les plus achevées peut-être des
Feuilles cTautomne ?...
Et vos pieds ont mêlé la poudre de trois mondes.
Aux cendres de mon feu.
Trois mondes doivent être abordés aussi
par l'artiste qui médite de sculpter un bas-
relief. Une triple initiation lui devient né
cessaire. En revanche, son œuvre s'illumi-
nera du rayon distinctif de la statuaire, de la
peinture et de l'architecture.
Le bas-relief est le trait d'union des arts
du dessin.
IV.
L'ébauchoir et le ciseau tiennent lieu de
brosse aux mains du maître d'œuvre ; mais ne
dirait-on pas qu'il prépare un tableau ? Re-
gardez, Il fait mouvoir des groupes. On
discerne des foules dans son esquisse; les
armées s'entre-choquent sous son outil. En-
core une fois ces merveilles échappent d'or-
dinaire au sculpteur. C'est au peintre qu'il
appartient de dire le cliquetis des batailles,
le bruit sourd du forum, la majesté grandiose
d'un cortège, le tumulte d'une assemblée.
Le statuaire qui sculpte un bas-relief use
donc en apparence des mêmes franchises que
le peintre.
(i) Cette belle étude de notre correspondant fait
suite à celles que nous avons déjà publiées : Le mar-
bre; le procédé; la. statue; le groupe; le buste. (Voir
les années précédentes). N. d. 1. R.
La science des masses, leur équilibre,
leur gradation, doivent être pour lui des no-
tions familières.
Il y a plus. Un buste se déplace ; une
toile de chevalet peut être transportée. Il n'en
est pas de même du bas-relief.
Cette page sévère que le sculpteur écrit
sur le granit a sa place désignée. Elle est
inséparable d'un monument.
Est-ce un signe de dépendance ou de su-
périorité?
Il y a profit, n'en doutez pas, pour l'œu-
vre modelée dans l'alliance dont je parle.
Le bas-relief sur le parois de l'édifice n'est-il
pas toujours à une place d'honneur? La
frise du temple d'Apollon à Delphes, le
fronton du temple de Minerve à Athènes,
les tympans de l'arc de Constantin à Rome
furent des bas-reliefs.
C'est donc en pleine lumière que se pose
pour les siècles l'œuvre sculptée. Elle est l'or-
nement. On dirait volontiers que seule elle
doit être vue. Tout concourt à son éclat.
Les murs font silence autour d'elle. Mono-
chrome, elle saillit sur une paroi sans cou-
leur, impuissante à troubler le regard.
La hardiesse de la voûte, l'élégance des
contre forts, la symétrie des voussures, tous
ces témoins de l'étude, de la science, de
l'originalité, du goût de l'architecte, demeu-
rent souvent éclipsés par le bas relief du
sculpteur qui décore l'entablement. Que
dis-je? l'architecture parfois disparaît, et les
scènes millitaires de la colonne Trajane en-
veloppent de leurs spirales modelées le fût
tout entier de l'édifice.
V.
Si la statue n'était pas l'œuvre exquise
dont se sert le sculpteur pour reproduire la
forme dans son intégrité séductrice, il fau-
drait proclamer la prééminence du bas-relief.
Mais n'oublions pas ce qu'il y a de fiction
dans sa beauté. Mensonge ingénieux dont
notre œil est le complice, il n'a rien de réel.
Ce n'est pas lui qui parle, c'est notre esprit.
Il est le verbe à peine balbutié dans l'argile,
dont l'harmonie confuse ne peut être saisie
que par notre pensée. Alors que les propor-
tions tangibles de la statue s'imposent au
regard et rappellent la nature, le bas-relief
n'a qu'une apparence de proportions. L'image
conventionnelle, mutilée, qui se meut dans
son cadre est presque impalpable. Elle n'est
guère moins distante de la ronde bosse que
le rêve ne l'est de la réalité.
VI.
Quelles sont les lois qui régissent le bas-
relief !
Les philosophes nous apprennent que
l'homme est substance et action. Pour le
sculpteur, l'homme est forme et mouvement.
Nous avons dit, en traitant de la Statue,
combien le mouvement dans l'œuvré plasti-
que exige de retenue. Ce n'est pas assez.
Rompre le mouvement sans le détruire est
la loi première du sculpteur lorsqu'il prépare
une figure de ronde bosse. Les plus beaux
restes de l'art grec nous l'enseignent : l'élan
d'une statue doit être incertain, et comme
suspendu. C'est l'intermittence dans la fou-
gue, la respiration dans la colère, que peut
exprimer la ronde bosse. Sans entraves pour
traiter la forme, sa puissance, au point de
vue du mouvement, est limitée.
Plus libre est le bas-relief sous le rapport
de l'action. Ce qu'il perd du côté de la forme
il le reconquiert d'autre part. Plus de bar-
rières, plus de réticences. La marche, la co-
lère ou l'amour peuvent être rendus avec
l'intensité du geste et de l'attitude que donne
la nature exaltée. Je demeure rassuré sur
l'équilibre ou la solidité de l'image. A peine
dégagée de sa gangue de pierre, aperçue
plutôt que vue, elle reste attachée à la mu-
raille dont elle est la parure. Qu'elle s'agite
et que ses mouvements se multiplient, que la
personne cède la place au nombre, que le
soldat se transforme en légion, que le passant
devienne peuple, ce qui serait monstrueux
en ronde bosse est autorisé dans un bas-relief.
Le mouvement est action.
Un effort d'intelligence ou de volonté est
à l'origine de tout acte humain. Vous n'es-
pérez pas qu'un artiste digne de ce nom im-
prime à la glaise une attitude indéterminée,
banale, et s'il était possible, purement mé-
canique.
Au contraire, il voudra que la personne
qui se meut sache où elle tend. Une action
morale susceptible de captiver l'esprit sera
l'aimant de sa propre pensée.
Mais ne voit-on pas dans l'objet ordinaire
du bas-relief, qui a pour terme le fait, une
infériorité vis-à-vis de la statue? Celle-ci en
effet est l'image de la personne humaine, et
cela lui suffit. Elle est reine par son génie à
traduire la forme, et peu nous importe d'ap-
prendre un jour que telle figure d'Ephèbe ou
de Vénus a fait partie d'un groupe où l'artiste
lui avait marqué son rôle agissant ; telle que
nous l'a rendue le sol de quelque rivage, iso-
lée, demi-brisée, elle nous plaît encore par
la souveraine beauté de sa forme.
La statue est l'épopée de l'art plastique.
Le bas-relief en est le drame.
Après tout, Œdipe est-il moins entraînant
que VIliade? Sophocle n'a-t-il pas sa place
auprès d'Homère?
C'est un drame que l'artiste va modeler.
Drame illustre, sans aucun doute, car l'éter-
nité du marbre le veut ainsi. Drame terrible
ou suave avec son dialogue, son intrigue,
son dénoûment, ses anthitèses et ses répéti-
tions, toutes ces forces réunies et disposées
sur une même page; car, ne l'oublions pas,
le drame plastique n'a qu'une scène.
Gérardin, portrait de M. le docteur N. A. G.
représenté de face, tête nue, en costume mi-
litaire, nous a permis d'apprécier la flexibilité
du talent de l'artiste. Ici la tète est jeune,
mais la résolution du regard et des lèvres, le
ton sévère du vêtement, contrastent avec le
portrait de jeune fille dont nous venons de
parler,
Henry Jouin.
DU BAS-RELIEF(i).
i.
Je ne sais rien de plus étrange en sculpture
que le bas relief.
Il ne fait pas appel, comme la ronde bosse,
à la beauté totale de la forme. Un contour
lui suffit. Mais, pour être plus voisin de la
peinture que ne l'est la statue, le bas-relief
reste monochrome. Curieuse page, n'est-il
pas vrai? que celle d'où la couleur et la saillie
seront à peu près absentes.
II.
Genre mixte, œuvre toute de fiction, ainsi
peut être défini le bas-relief.
III.
A Fart plastique, il emprunte la matière et
le procédé; à l'art pittoresque, le mode; à
l'art architectural, le caractère et l'emplace-
ment.
Vous souvient-il de ces strophes à un
Voyageur, les plus achevées peut-être des
Feuilles cTautomne ?...
Et vos pieds ont mêlé la poudre de trois mondes.
Aux cendres de mon feu.
Trois mondes doivent être abordés aussi
par l'artiste qui médite de sculpter un bas-
relief. Une triple initiation lui devient né
cessaire. En revanche, son œuvre s'illumi-
nera du rayon distinctif de la statuaire, de la
peinture et de l'architecture.
Le bas-relief est le trait d'union des arts
du dessin.
IV.
L'ébauchoir et le ciseau tiennent lieu de
brosse aux mains du maître d'œuvre ; mais ne
dirait-on pas qu'il prépare un tableau ? Re-
gardez, Il fait mouvoir des groupes. On
discerne des foules dans son esquisse; les
armées s'entre-choquent sous son outil. En-
core une fois ces merveilles échappent d'or-
dinaire au sculpteur. C'est au peintre qu'il
appartient de dire le cliquetis des batailles,
le bruit sourd du forum, la majesté grandiose
d'un cortège, le tumulte d'une assemblée.
Le statuaire qui sculpte un bas-relief use
donc en apparence des mêmes franchises que
le peintre.
(i) Cette belle étude de notre correspondant fait
suite à celles que nous avons déjà publiées : Le mar-
bre; le procédé; la. statue; le groupe; le buste. (Voir
les années précédentes). N. d. 1. R.
La science des masses, leur équilibre,
leur gradation, doivent être pour lui des no-
tions familières.
Il y a plus. Un buste se déplace ; une
toile de chevalet peut être transportée. Il n'en
est pas de même du bas-relief.
Cette page sévère que le sculpteur écrit
sur le granit a sa place désignée. Elle est
inséparable d'un monument.
Est-ce un signe de dépendance ou de su-
périorité?
Il y a profit, n'en doutez pas, pour l'œu-
vre modelée dans l'alliance dont je parle.
Le bas-relief sur le parois de l'édifice n'est-il
pas toujours à une place d'honneur? La
frise du temple d'Apollon à Delphes, le
fronton du temple de Minerve à Athènes,
les tympans de l'arc de Constantin à Rome
furent des bas-reliefs.
C'est donc en pleine lumière que se pose
pour les siècles l'œuvre sculptée. Elle est l'or-
nement. On dirait volontiers que seule elle
doit être vue. Tout concourt à son éclat.
Les murs font silence autour d'elle. Mono-
chrome, elle saillit sur une paroi sans cou-
leur, impuissante à troubler le regard.
La hardiesse de la voûte, l'élégance des
contre forts, la symétrie des voussures, tous
ces témoins de l'étude, de la science, de
l'originalité, du goût de l'architecte, demeu-
rent souvent éclipsés par le bas relief du
sculpteur qui décore l'entablement. Que
dis-je? l'architecture parfois disparaît, et les
scènes millitaires de la colonne Trajane en-
veloppent de leurs spirales modelées le fût
tout entier de l'édifice.
V.
Si la statue n'était pas l'œuvre exquise
dont se sert le sculpteur pour reproduire la
forme dans son intégrité séductrice, il fau-
drait proclamer la prééminence du bas-relief.
Mais n'oublions pas ce qu'il y a de fiction
dans sa beauté. Mensonge ingénieux dont
notre œil est le complice, il n'a rien de réel.
Ce n'est pas lui qui parle, c'est notre esprit.
Il est le verbe à peine balbutié dans l'argile,
dont l'harmonie confuse ne peut être saisie
que par notre pensée. Alors que les propor-
tions tangibles de la statue s'imposent au
regard et rappellent la nature, le bas-relief
n'a qu'une apparence de proportions. L'image
conventionnelle, mutilée, qui se meut dans
son cadre est presque impalpable. Elle n'est
guère moins distante de la ronde bosse que
le rêve ne l'est de la réalité.
VI.
Quelles sont les lois qui régissent le bas-
relief !
Les philosophes nous apprennent que
l'homme est substance et action. Pour le
sculpteur, l'homme est forme et mouvement.
Nous avons dit, en traitant de la Statue,
combien le mouvement dans l'œuvré plasti-
que exige de retenue. Ce n'est pas assez.
Rompre le mouvement sans le détruire est
la loi première du sculpteur lorsqu'il prépare
une figure de ronde bosse. Les plus beaux
restes de l'art grec nous l'enseignent : l'élan
d'une statue doit être incertain, et comme
suspendu. C'est l'intermittence dans la fou-
gue, la respiration dans la colère, que peut
exprimer la ronde bosse. Sans entraves pour
traiter la forme, sa puissance, au point de
vue du mouvement, est limitée.
Plus libre est le bas-relief sous le rapport
de l'action. Ce qu'il perd du côté de la forme
il le reconquiert d'autre part. Plus de bar-
rières, plus de réticences. La marche, la co-
lère ou l'amour peuvent être rendus avec
l'intensité du geste et de l'attitude que donne
la nature exaltée. Je demeure rassuré sur
l'équilibre ou la solidité de l'image. A peine
dégagée de sa gangue de pierre, aperçue
plutôt que vue, elle reste attachée à la mu-
raille dont elle est la parure. Qu'elle s'agite
et que ses mouvements se multiplient, que la
personne cède la place au nombre, que le
soldat se transforme en légion, que le passant
devienne peuple, ce qui serait monstrueux
en ronde bosse est autorisé dans un bas-relief.
Le mouvement est action.
Un effort d'intelligence ou de volonté est
à l'origine de tout acte humain. Vous n'es-
pérez pas qu'un artiste digne de ce nom im-
prime à la glaise une attitude indéterminée,
banale, et s'il était possible, purement mé-
canique.
Au contraire, il voudra que la personne
qui se meut sache où elle tend. Une action
morale susceptible de captiver l'esprit sera
l'aimant de sa propre pensée.
Mais ne voit-on pas dans l'objet ordinaire
du bas-relief, qui a pour terme le fait, une
infériorité vis-à-vis de la statue? Celle-ci en
effet est l'image de la personne humaine, et
cela lui suffit. Elle est reine par son génie à
traduire la forme, et peu nous importe d'ap-
prendre un jour que telle figure d'Ephèbe ou
de Vénus a fait partie d'un groupe où l'artiste
lui avait marqué son rôle agissant ; telle que
nous l'a rendue le sol de quelque rivage, iso-
lée, demi-brisée, elle nous plaît encore par
la souveraine beauté de sa forme.
La statue est l'épopée de l'art plastique.
Le bas-relief en est le drame.
Après tout, Œdipe est-il moins entraînant
que VIliade? Sophocle n'a-t-il pas sa place
auprès d'Homère?
C'est un drame que l'artiste va modeler.
Drame illustre, sans aucun doute, car l'éter-
nité du marbre le veut ainsi. Drame terrible
ou suave avec son dialogue, son intrigue,
son dénoûment, ses anthitèses et ses répéti-
tions, toutes ces forces réunies et disposées
sur une même page; car, ne l'oublions pas,
le drame plastique n'a qu'une scène.