N° 12.
30 Juin 1880.
Vingt-deuxième Année.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE.
DIRECTEUR: M. Ad. SIRET. paraissant deux fois par mois. ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE
membre de l'academie roy. de belgique, etc. PRIX PAR AN : BELGIQUE : q FRANCS. a s'-nicolas (belgique).
étranger : 12 fr. _
SOMMAIRE. Belgique : Concours de gravure. —
Edouard Huberti. — L'andro mède de Jean Popels.
France : Le salon de Paris, artistes belges, etc.
— Revue des arts décoratifs. — Du bas-relief.
— Allemagne : Nouvelles publications de la
maison Seeman. — Chronique générale. — No-
tules bibliographiques.— Cabinet de la curiosité.
— Dictionnaire des peintres. — Annonces.
ne.
CONCOURS DE GRAVURE
a l'eau forte pour 1880.
résultats : Histoire. N° 1. Van Artevelde
haranguant le peuple, d'après Le Brun. —
Genre. N° 2. Le faucheur. — Paysages.
N° 3. Lisière de forêt. — N° 4. Le soir. —
N° 5. Paysage (intérieur de jardin). — Ma-
rines. N° 6. Souvenir d'Ostende. — Nature
morte. N° 7. Poissons, légumes, etc.
EDOUARD HUBERTI.
Edouard Huberti, le doux paysagiste, est
mort âgé de 62 ans. Ce fut d'abord un com-
positeur de musique dont les œuvres reflètent
absolument le caractère dont il imprima ses
paysages lorsqu'il abandonna la plume pour
le pinceau. Il y a de lui une douzaine de mélo-
dies imprimées(i) qui sontde petits chefs-d'œu-
vre de grâce et de mélancolie. Il n'a composé,
je crois, qu'une chose très énergique, c'est
le Fou du roi, paroles de Victor Corbisier.
C'est une scène poignante qui commence par
la douleur et finit par un magnifique largo
dans lequel le fou dépose sa vengeance et sa
vie. Quand Huberti nous chantait cela de sa
voix profonde et émue tout le monde pleurait.
Citons encore de lui le Mal du pays de Bé-
ranger qui, en 1843, retentit d'un bout delà
Belgique à l'autre ; puis un eharmant et dis-
cret murmure d'amour : Paroles du cœur,
puis la Grand"mère de Victor Hugo et tant
d'autres qui eurent leurs jours de succès. Au
jourd'hui ces choses sont oubliées comme les
mélodies de Jules de Glimes ce qui ne fait
certes pas honneur au goût contemporain.
Un jour quelque fureteur heureux trouvera
les chants d'Huberti et les remettant en lu-
mière, il étonnera et charmera ses contem-
porains. C'est la seule chance qu'aient les
œuvres musicales de notre ami de parvenir
à la postérité, car le public actuel, abasourdi
(1) Album d'Édouard Huberti. Bruxelles, Lahou,
1842.
par le tapage et aveuglé par la science, ne sait
plus guères ce que c'est que la pénétrante mé-
lodie, telle que la comprenait l'auteur du Mal
du pays.
Huberti, toujours timide et doutant de
lui-même, crut s'apercevoir que sa musique
ne réalisait point ce qu'il en attendait. Le dé-
couragement le prit et pendant un certain
temps il se traîna dans une indolence incon-
sciente se demandant ce qu'il allait faire. La
peinture le séduisit. Promeneur assidu dans
les jolis environs d'Ixelles, il alla demander
à la nature l'inspiration nécessaire; elle vint
et, chose naturelle, sa peinture fut exactement
ce qu'était sa musique. Je dis chose naturelle
parce que la même solitude, les mêmes éma-
nations du ciel et de la terre devaient amener
en lui les mêmes sensations, les mêmes résul-
tats. Sa peinture fut donc de la mélodie peinte.
Tous ceux qui ont goûté ses jolis motifs, où
il y avait parfois de la monotonie, seront de
mon avis.
Un groupe d'amis très maladroits, séduits
par l'adorable caractère de l'artiste plus que
par son talent, voulurent un jour en faire un
grand homme. Lui, l'humble, le craintif, lui
qui aimait l'obscurité et le calme, fut juché
comme un argument et montré comme une
protestation. Il y eut un certain jour une
manifestation contre le pouvoir; il y eut
même un banquet, on le couvrit de fleurs
comme une victime... hélas! ce jour-là fut le
jour réel de sa mort.
J'ai eu l'honneur de connaître intimement
ce noble caractère; pendant quarante ans nos
mains se sont cordialement serrées. Il me
racontait ses souffrances. Celle du fameux
banquet fut la plus grande, car bien que cette
manifestation eut chatouillé son amour pro-
pre, il sentait, lui, l'homme au jugement sim-
ple et droit, qu'il était devenu un prétexte à
tapage et à discussion. Il sentait bien aussi
qu'on l'avait, pour les besoins de la cause,
élevé trop haut et qu'il ne saurait se maintenir
à cette hauteur. C'est cette conviction qui
attrista ses pensées et qui abrégea sa vie. Quel-
que temps après le banquet il fut nommé
chevalier de l'ordre de Léopold... Trop tard
peut-être.
Comme peintre, il aura une place hono-
rable dans l'histoire de l'art contemporain.
On a essayé d'en faire un chef d'école, on l'a
comparé à Corot.,, sottise et bétise! Huberti
n'a imité personne : c'est de tous nos paysa-
gistes le plus original et le plus simple. Il ne
peint pas, il module ; il a la note mélanco-
lique plus que triste ; le ciel chez lui est tou-
jours fermé et gris ; son horizon manque de
gaité et pousse à la rêverie. Il donnait l'im-
pression mais n'achevait pas assez pour avoir
l'expression.
Comme homme je n'oublierai jamais cette
tête au profil fin et doux, ce sourire affectueux
et enchanteur qui était le sien, cette serviabi-
lité qui donnait des vibrations à sa voix et ce
cœur, ce cœur qui était si ardent, si bon, si
noble et si pur qu'il en est mort.
AD. S.
ANDROMEDE,
par Jean Popels.
M. le Dr Lohmeyer, de Gottingen, a bien
voulu nous adresser une photographie du
tableau de Jean Popels dont nous avons parlé
dans notre numéro du i5 mai dernier. Quoi-
que cette photographie soit mal venue, no-
tamment dans les ombres, elle permet de
juger de l'importance de l'œuvre et de ses
principales qualités.
Andromède est nue, attachée au rocher par
le poignet gauche, Persée détache les liens
qui retiennent la belle captive au-dessus de
laquelle plane un amour qui va poser une
couronne sur sa tête. Pégase se trouve à
gauche, debout sur le dragon tué près duquel
sont épars des ossements. Au fond la mer
et deux tritons dont l'un sonne de sa conque.
Près de cet endroit se trouve l'inscription
suivante : joan popels a0 16".
Ce tableau rubénien paraît peint avec
force. Andromède est grasse, potelée, de
formes harmonieusement proportionnées.
Une draperie légère et de plis corrects, lui
couvre une faible partie du corps. Sa figure
est jolie et n'a rien de conventionnel; cela
pourrait être un portrait. Persée est bien
posé, son casque magique, celui de Pluton
qui rendait invisible, est d'un dessin net et
ferme de même que celui de toute son ar-
mure. Le reste est peu appréciable sur notre
photographie.
Quoiqu'il en soit voici enfin une œuvre
authentique d'un peintre flamand dont on ne
connaissait rien. La grandeur du tableau
(1 m. 12 c. de hauteur sur 88 cent, de lar-
geur), son aspect flamand, la finesse et Télé-
30 Juin 1880.
Vingt-deuxième Année.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE.
DIRECTEUR: M. Ad. SIRET. paraissant deux fois par mois. ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE
membre de l'academie roy. de belgique, etc. PRIX PAR AN : BELGIQUE : q FRANCS. a s'-nicolas (belgique).
étranger : 12 fr. _
SOMMAIRE. Belgique : Concours de gravure. —
Edouard Huberti. — L'andro mède de Jean Popels.
France : Le salon de Paris, artistes belges, etc.
— Revue des arts décoratifs. — Du bas-relief.
— Allemagne : Nouvelles publications de la
maison Seeman. — Chronique générale. — No-
tules bibliographiques.— Cabinet de la curiosité.
— Dictionnaire des peintres. — Annonces.
ne.
CONCOURS DE GRAVURE
a l'eau forte pour 1880.
résultats : Histoire. N° 1. Van Artevelde
haranguant le peuple, d'après Le Brun. —
Genre. N° 2. Le faucheur. — Paysages.
N° 3. Lisière de forêt. — N° 4. Le soir. —
N° 5. Paysage (intérieur de jardin). — Ma-
rines. N° 6. Souvenir d'Ostende. — Nature
morte. N° 7. Poissons, légumes, etc.
EDOUARD HUBERTI.
Edouard Huberti, le doux paysagiste, est
mort âgé de 62 ans. Ce fut d'abord un com-
positeur de musique dont les œuvres reflètent
absolument le caractère dont il imprima ses
paysages lorsqu'il abandonna la plume pour
le pinceau. Il y a de lui une douzaine de mélo-
dies imprimées(i) qui sontde petits chefs-d'œu-
vre de grâce et de mélancolie. Il n'a composé,
je crois, qu'une chose très énergique, c'est
le Fou du roi, paroles de Victor Corbisier.
C'est une scène poignante qui commence par
la douleur et finit par un magnifique largo
dans lequel le fou dépose sa vengeance et sa
vie. Quand Huberti nous chantait cela de sa
voix profonde et émue tout le monde pleurait.
Citons encore de lui le Mal du pays de Bé-
ranger qui, en 1843, retentit d'un bout delà
Belgique à l'autre ; puis un eharmant et dis-
cret murmure d'amour : Paroles du cœur,
puis la Grand"mère de Victor Hugo et tant
d'autres qui eurent leurs jours de succès. Au
jourd'hui ces choses sont oubliées comme les
mélodies de Jules de Glimes ce qui ne fait
certes pas honneur au goût contemporain.
Un jour quelque fureteur heureux trouvera
les chants d'Huberti et les remettant en lu-
mière, il étonnera et charmera ses contem-
porains. C'est la seule chance qu'aient les
œuvres musicales de notre ami de parvenir
à la postérité, car le public actuel, abasourdi
(1) Album d'Édouard Huberti. Bruxelles, Lahou,
1842.
par le tapage et aveuglé par la science, ne sait
plus guères ce que c'est que la pénétrante mé-
lodie, telle que la comprenait l'auteur du Mal
du pays.
Huberti, toujours timide et doutant de
lui-même, crut s'apercevoir que sa musique
ne réalisait point ce qu'il en attendait. Le dé-
couragement le prit et pendant un certain
temps il se traîna dans une indolence incon-
sciente se demandant ce qu'il allait faire. La
peinture le séduisit. Promeneur assidu dans
les jolis environs d'Ixelles, il alla demander
à la nature l'inspiration nécessaire; elle vint
et, chose naturelle, sa peinture fut exactement
ce qu'était sa musique. Je dis chose naturelle
parce que la même solitude, les mêmes éma-
nations du ciel et de la terre devaient amener
en lui les mêmes sensations, les mêmes résul-
tats. Sa peinture fut donc de la mélodie peinte.
Tous ceux qui ont goûté ses jolis motifs, où
il y avait parfois de la monotonie, seront de
mon avis.
Un groupe d'amis très maladroits, séduits
par l'adorable caractère de l'artiste plus que
par son talent, voulurent un jour en faire un
grand homme. Lui, l'humble, le craintif, lui
qui aimait l'obscurité et le calme, fut juché
comme un argument et montré comme une
protestation. Il y eut un certain jour une
manifestation contre le pouvoir; il y eut
même un banquet, on le couvrit de fleurs
comme une victime... hélas! ce jour-là fut le
jour réel de sa mort.
J'ai eu l'honneur de connaître intimement
ce noble caractère; pendant quarante ans nos
mains se sont cordialement serrées. Il me
racontait ses souffrances. Celle du fameux
banquet fut la plus grande, car bien que cette
manifestation eut chatouillé son amour pro-
pre, il sentait, lui, l'homme au jugement sim-
ple et droit, qu'il était devenu un prétexte à
tapage et à discussion. Il sentait bien aussi
qu'on l'avait, pour les besoins de la cause,
élevé trop haut et qu'il ne saurait se maintenir
à cette hauteur. C'est cette conviction qui
attrista ses pensées et qui abrégea sa vie. Quel-
que temps après le banquet il fut nommé
chevalier de l'ordre de Léopold... Trop tard
peut-être.
Comme peintre, il aura une place hono-
rable dans l'histoire de l'art contemporain.
On a essayé d'en faire un chef d'école, on l'a
comparé à Corot.,, sottise et bétise! Huberti
n'a imité personne : c'est de tous nos paysa-
gistes le plus original et le plus simple. Il ne
peint pas, il module ; il a la note mélanco-
lique plus que triste ; le ciel chez lui est tou-
jours fermé et gris ; son horizon manque de
gaité et pousse à la rêverie. Il donnait l'im-
pression mais n'achevait pas assez pour avoir
l'expression.
Comme homme je n'oublierai jamais cette
tête au profil fin et doux, ce sourire affectueux
et enchanteur qui était le sien, cette serviabi-
lité qui donnait des vibrations à sa voix et ce
cœur, ce cœur qui était si ardent, si bon, si
noble et si pur qu'il en est mort.
AD. S.
ANDROMEDE,
par Jean Popels.
M. le Dr Lohmeyer, de Gottingen, a bien
voulu nous adresser une photographie du
tableau de Jean Popels dont nous avons parlé
dans notre numéro du i5 mai dernier. Quoi-
que cette photographie soit mal venue, no-
tamment dans les ombres, elle permet de
juger de l'importance de l'œuvre et de ses
principales qualités.
Andromède est nue, attachée au rocher par
le poignet gauche, Persée détache les liens
qui retiennent la belle captive au-dessus de
laquelle plane un amour qui va poser une
couronne sur sa tête. Pégase se trouve à
gauche, debout sur le dragon tué près duquel
sont épars des ossements. Au fond la mer
et deux tritons dont l'un sonne de sa conque.
Près de cet endroit se trouve l'inscription
suivante : joan popels a0 16".
Ce tableau rubénien paraît peint avec
force. Andromède est grasse, potelée, de
formes harmonieusement proportionnées.
Une draperie légère et de plis corrects, lui
couvre une faible partie du corps. Sa figure
est jolie et n'a rien de conventionnel; cela
pourrait être un portrait. Persée est bien
posé, son casque magique, celui de Pluton
qui rendait invisible, est d'un dessin net et
ferme de même que celui de toute son ar-
mure. Le reste est peu appréciable sur notre
photographie.
Quoiqu'il en soit voici enfin une œuvre
authentique d'un peintre flamand dont on ne
connaissait rien. La grandeur du tableau
(1 m. 12 c. de hauteur sur 88 cent, de lar-
geur), son aspect flamand, la finesse et Télé-