N° 17.
15 Septembre 1880.
Vingt-deuxième Année.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE.
DIRECTEUR : m. Ad. SIRET.
membre de l'académie roy. de belgique, etc.
SOMMAIRE. Belgique : Exposition historique
belge. — Arc de triomphe. — Exposition Verlat.
— Eglise de N.-D. du Sablon. — Chronique
générale. — Annonces.
Belgique.
EXPOSITION
DU PALAIS DES BEAUX-ARTS.
(Suite).
* *
+
C'est dans les catacombes du Palais que
l'on a dédaigneusement fourré les tableaux
qui devaient constituer la partie vraiment
historique de l'exposition. On y a également
remisé des toiles de Geets que leur étran-
geté devait au moins sauver de cet enfouis
sèment.
Si l'on avait agi avec plus de discernement
le public aurait pu se livrer à des études
excessivement intéressantes. Il en est qui
viennent nous affirmer qu'on a voulu éviter
les rapprochements. Ce serait ma foi bien
possible. Quant à nous, faisons ces rappro-
chements sans nous soucier du qu'en dira-
t-on.
Dans les catacombes susdites vous trou-
verez de De Braekeleer, le vieux, de véri-
tables perles qui feraient faire de sérieuses
réflexions a bien des gens au sujet des pré-
tentions d'aucuns de nos jours.
Ignace van Regemorter aussi y brille d'un
éclat très doux et très harmonieux. Si on avait
produit dans les grands salons du premier
étage les paysages de Van Assche, lumineux
comme des J. Both, on aurait pu se convain-
cre combien Kindermans, à une certaine
distance, et Van Luppen, en ont tenu ; si Hel-
lemans était monté au premier on aurait pu
s'assurer combien cet admirable maître a
été suivi, pour l'étude des arbres, par notre
Lamorinière, sans le savoir peut-être, mais
le rapprochement n'en eut pas été moins
intéressant pour tous et pour ce dernier.
Franchement, les impressionistes auraient
pu recevoir une petite leçon qu'ils n'auraient
pas volée. Et le beau portrait de Verdussen
par Cels, l'ami de David et de Navez, ne mé-
ritait-il pas à tous les titres (Verdussen n'est-
il pas le fondateur de la société des Beaux-
Arts d'Anvers?) les honneurs du premier
étage?
Ne continuons pas sur ce ton ; nous
remplirions un volume. Seulement conseil-
lons à ceux qui seraient tentés de faire une
histoire des Beaux-Arts de 1830 à 1880, de
passer quelques jours dans h s caves du
palais, munis des provisions nécessaires et
d'une chandelle allumée. C'est là, et là seu-
lement,qu'ils trouveront des documents de la
plus parfaite authenticité et qui jettent sur
paraissant deux fois par mois.
PRIX PAR AN : BELGIQUE : g FRANCS.
étranger : 12 fr.
notre passé artistique de lumineux reflets. Si
quelque jour nous remettons à flot le concours
non réussi ouvert par nous sur la question,
les notes prises ou à prendre, pourront ser-
vir. D'autant plus que dans les mêmes pro-
fondeurs on découvrira certaines horreurs
picturales destinées à compléter l'histoire
dont nous parlons. Il y a là pas mal de sujets
ingrats dont la présence nous étonne,el nous
nous demandons par quel artifice ou par
quel miracle ces objets informes et difformes
ont pu dégringoler dans ce lieu officiel, tan-
dis que d'autres sont restés à la porte.
Les portraits de Navez, malgré une facture
un peu petite, sont admirables et resteront.
Le public sérieux ne se fait pas faute de les
remarquer et de les comparer à la manière
moderne de reproduire la face humaine,
manière évidemment plus tapageuse que
celle de Navez, mais évidemment aussi tout
à fait incomplète quant à la peinture de l'âme
du modèle. On fait bon marché de celle-ci
par le temps qui court; il suffit qu'on fasse
grand, fort et bizarre, un cadre riche complète
la chose et le tour est fait. La plupart des
portraits modernes ne nous disent rien qui
soit de nature à nous éclairer sur la valeur
morale du modèle ; la femme est belle,
l'homme fait bien, puis c'est tout. Il est im-
possible de regarder un portrait de Navez
sans éprouver comme une sorte de secousse
intérieure qui vous dit que cette personne
morte vous parle par son portrait. Les mains
vivent et même dans les accessoires règne
une sorte d'air ambiant qui vous préoccupe.
Le cadre est simple, la toile est petite, le mo-
dèle est impérissable. De nos jours tout est
changé ; ie portrait photographié plus que
peint, périt avec le modèle; la toile sert à
autre chose et le cadre se remploie. Il en
est qui échappent à cette destinée, mais ils
sont rares.
Les tableaux de Navez sont généralement
composés avec une certaine maigreur, mais
toujours avec beaucoup de soin. Un de ses
meilleurs représente les Fileuses de Fundi.
Chose singulière, son portrait à lui est un
de ses derniers, si je ne me trompe, or, c'est
celui où son pinceau gagne le plus de li-
berté. Est-ce donc que la vieillesse lui avait
ouvert d'autres horizons?
L'influence de Navez a été réelle comme
dessinateur. Comme peintre elle s'est exercée
dans les trente premières années de ce
siècle et s'est évanouie à peu près complète-
tement, à la renaissance de notre école. Il
a dirigé plus que formé de nombreux élèves,
lesquels à l'heure actuelle sont encore tri-
butaires de ses conseils, mais les tendances
modernes ne feront bientôt plus des œuvres
de Navez que des documents historiques.
ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE
a s*-nic0las (belgique).
J'en excepte les portraits où beaucoup de
peintres présents et futurs pourront aller se
renseigner sur ce qui leur manque.
*
Gustave Wappers est un des fondateurs
de notre école moderne, mais depuis VEpi-
sode de la Révolution jusqu'au CharlesIer mar-
chant à l'échafaud, on peut apprécier le
triste changement survenu dans la manière
du maître. Au début, Wappers était un colo-
riste brillant et énergique; lentement il s'est
refroidi pour se métamorphoser complète-
ment dans le fatal milieu de Paris, qui ne
convenait aucunement à sa nature. S'il était
resté à Anvers, nul doute qu'il se fut per-
fectionné et qu'au dessin exact et moelleux
que lui enseigna Van Brée il eut joint sa
lougue naturelle et se fut ainsi constitué un
talent puissant et primesautier. Au lieu de
cela, il s'est jeté sur la scène de l'école
française qui n'en a fait aucun cas et il est
mort ne nous léguant que quelques œuvres
de sa brillante et généreuse jeunesse. Il a
formé de bons élèves ; il a laissé d'excel-
lentes traditions, mais les uns comme les
autres n'ont pas tenu devant les exigences
de l'époque et l'on peut dire que le passage
de Gustave Wappers dans notre école n'aura
laissé qu'une trace lumineuse fugitive.
+ *
Autre maître est cet Henri Leys, qui eut
le sage esprit de ne point quitter YAlma
Mater de la peinture flamande. Plus coloriste
que dessinateur, il eut, comme élève de
De Braekeleer, une jeunesse assez indécise
quand tout à coup sa peinture, empruntant,
sans le vouloir peut-être quelque chose du
piquant de Pierre de Hoogh,iI eut de ronflants
succès avec des tableaux très insignifiants
d'ailleurs et représentant des cours d'au-
berge. Peu à peu sa facture s'élargit et un
beau jour, il produisit le Rétablissement du
culte dans l'église de N.-D. à Anvers si in-
tense d'ombre et de lumière, mais d'un des-
sin maigre et indécis. Ce tableau est un des
meilleurs de sa première manière. Leys qui
se connaissait et s'appréciait admirablement
s'attacha»! petto à dessiner sans désemparer,
et bientôt il acquit dans cette importante
branche de son art une facilité relative.
En même temps, il acquérait sa deuxième
manière, celle qu'il préferait et à laquelle
nous devons l'Atelier de Rembrandt, entre
autres. Souvent le maitre nous disait avec
mélancolie quand nous lui reprochions res-
pectueusement de trop sacrifier à ces rémi-
niscences gothiques outrées qui constituent
sa troisième manière à laquelle nous devons
les peintures de l'hôtel de ville d'Anvers,
souvent il disait : « Que voulez-vous? Si je
le pouvais je ne peindrais que des Ateliers de
15 Septembre 1880.
Vingt-deuxième Année.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE.
DIRECTEUR : m. Ad. SIRET.
membre de l'académie roy. de belgique, etc.
SOMMAIRE. Belgique : Exposition historique
belge. — Arc de triomphe. — Exposition Verlat.
— Eglise de N.-D. du Sablon. — Chronique
générale. — Annonces.
Belgique.
EXPOSITION
DU PALAIS DES BEAUX-ARTS.
(Suite).
* *
+
C'est dans les catacombes du Palais que
l'on a dédaigneusement fourré les tableaux
qui devaient constituer la partie vraiment
historique de l'exposition. On y a également
remisé des toiles de Geets que leur étran-
geté devait au moins sauver de cet enfouis
sèment.
Si l'on avait agi avec plus de discernement
le public aurait pu se livrer à des études
excessivement intéressantes. Il en est qui
viennent nous affirmer qu'on a voulu éviter
les rapprochements. Ce serait ma foi bien
possible. Quant à nous, faisons ces rappro-
chements sans nous soucier du qu'en dira-
t-on.
Dans les catacombes susdites vous trou-
verez de De Braekeleer, le vieux, de véri-
tables perles qui feraient faire de sérieuses
réflexions a bien des gens au sujet des pré-
tentions d'aucuns de nos jours.
Ignace van Regemorter aussi y brille d'un
éclat très doux et très harmonieux. Si on avait
produit dans les grands salons du premier
étage les paysages de Van Assche, lumineux
comme des J. Both, on aurait pu se convain-
cre combien Kindermans, à une certaine
distance, et Van Luppen, en ont tenu ; si Hel-
lemans était monté au premier on aurait pu
s'assurer combien cet admirable maître a
été suivi, pour l'étude des arbres, par notre
Lamorinière, sans le savoir peut-être, mais
le rapprochement n'en eut pas été moins
intéressant pour tous et pour ce dernier.
Franchement, les impressionistes auraient
pu recevoir une petite leçon qu'ils n'auraient
pas volée. Et le beau portrait de Verdussen
par Cels, l'ami de David et de Navez, ne mé-
ritait-il pas à tous les titres (Verdussen n'est-
il pas le fondateur de la société des Beaux-
Arts d'Anvers?) les honneurs du premier
étage?
Ne continuons pas sur ce ton ; nous
remplirions un volume. Seulement conseil-
lons à ceux qui seraient tentés de faire une
histoire des Beaux-Arts de 1830 à 1880, de
passer quelques jours dans h s caves du
palais, munis des provisions nécessaires et
d'une chandelle allumée. C'est là, et là seu-
lement,qu'ils trouveront des documents de la
plus parfaite authenticité et qui jettent sur
paraissant deux fois par mois.
PRIX PAR AN : BELGIQUE : g FRANCS.
étranger : 12 fr.
notre passé artistique de lumineux reflets. Si
quelque jour nous remettons à flot le concours
non réussi ouvert par nous sur la question,
les notes prises ou à prendre, pourront ser-
vir. D'autant plus que dans les mêmes pro-
fondeurs on découvrira certaines horreurs
picturales destinées à compléter l'histoire
dont nous parlons. Il y a là pas mal de sujets
ingrats dont la présence nous étonne,el nous
nous demandons par quel artifice ou par
quel miracle ces objets informes et difformes
ont pu dégringoler dans ce lieu officiel, tan-
dis que d'autres sont restés à la porte.
Les portraits de Navez, malgré une facture
un peu petite, sont admirables et resteront.
Le public sérieux ne se fait pas faute de les
remarquer et de les comparer à la manière
moderne de reproduire la face humaine,
manière évidemment plus tapageuse que
celle de Navez, mais évidemment aussi tout
à fait incomplète quant à la peinture de l'âme
du modèle. On fait bon marché de celle-ci
par le temps qui court; il suffit qu'on fasse
grand, fort et bizarre, un cadre riche complète
la chose et le tour est fait. La plupart des
portraits modernes ne nous disent rien qui
soit de nature à nous éclairer sur la valeur
morale du modèle ; la femme est belle,
l'homme fait bien, puis c'est tout. Il est im-
possible de regarder un portrait de Navez
sans éprouver comme une sorte de secousse
intérieure qui vous dit que cette personne
morte vous parle par son portrait. Les mains
vivent et même dans les accessoires règne
une sorte d'air ambiant qui vous préoccupe.
Le cadre est simple, la toile est petite, le mo-
dèle est impérissable. De nos jours tout est
changé ; ie portrait photographié plus que
peint, périt avec le modèle; la toile sert à
autre chose et le cadre se remploie. Il en
est qui échappent à cette destinée, mais ils
sont rares.
Les tableaux de Navez sont généralement
composés avec une certaine maigreur, mais
toujours avec beaucoup de soin. Un de ses
meilleurs représente les Fileuses de Fundi.
Chose singulière, son portrait à lui est un
de ses derniers, si je ne me trompe, or, c'est
celui où son pinceau gagne le plus de li-
berté. Est-ce donc que la vieillesse lui avait
ouvert d'autres horizons?
L'influence de Navez a été réelle comme
dessinateur. Comme peintre elle s'est exercée
dans les trente premières années de ce
siècle et s'est évanouie à peu près complète-
tement, à la renaissance de notre école. Il
a dirigé plus que formé de nombreux élèves,
lesquels à l'heure actuelle sont encore tri-
butaires de ses conseils, mais les tendances
modernes ne feront bientôt plus des œuvres
de Navez que des documents historiques.
ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE
a s*-nic0las (belgique).
J'en excepte les portraits où beaucoup de
peintres présents et futurs pourront aller se
renseigner sur ce qui leur manque.
*
Gustave Wappers est un des fondateurs
de notre école moderne, mais depuis VEpi-
sode de la Révolution jusqu'au CharlesIer mar-
chant à l'échafaud, on peut apprécier le
triste changement survenu dans la manière
du maître. Au début, Wappers était un colo-
riste brillant et énergique; lentement il s'est
refroidi pour se métamorphoser complète-
ment dans le fatal milieu de Paris, qui ne
convenait aucunement à sa nature. S'il était
resté à Anvers, nul doute qu'il se fut per-
fectionné et qu'au dessin exact et moelleux
que lui enseigna Van Brée il eut joint sa
lougue naturelle et se fut ainsi constitué un
talent puissant et primesautier. Au lieu de
cela, il s'est jeté sur la scène de l'école
française qui n'en a fait aucun cas et il est
mort ne nous léguant que quelques œuvres
de sa brillante et généreuse jeunesse. Il a
formé de bons élèves ; il a laissé d'excel-
lentes traditions, mais les uns comme les
autres n'ont pas tenu devant les exigences
de l'époque et l'on peut dire que le passage
de Gustave Wappers dans notre école n'aura
laissé qu'une trace lumineuse fugitive.
+ *
Autre maître est cet Henri Leys, qui eut
le sage esprit de ne point quitter YAlma
Mater de la peinture flamande. Plus coloriste
que dessinateur, il eut, comme élève de
De Braekeleer, une jeunesse assez indécise
quand tout à coup sa peinture, empruntant,
sans le vouloir peut-être quelque chose du
piquant de Pierre de Hoogh,iI eut de ronflants
succès avec des tableaux très insignifiants
d'ailleurs et représentant des cours d'au-
berge. Peu à peu sa facture s'élargit et un
beau jour, il produisit le Rétablissement du
culte dans l'église de N.-D. à Anvers si in-
tense d'ombre et de lumière, mais d'un des-
sin maigre et indécis. Ce tableau est un des
meilleurs de sa première manière. Leys qui
se connaissait et s'appréciait admirablement
s'attacha»! petto à dessiner sans désemparer,
et bientôt il acquit dans cette importante
branche de son art une facilité relative.
En même temps, il acquérait sa deuxième
manière, celle qu'il préferait et à laquelle
nous devons l'Atelier de Rembrandt, entre
autres. Souvent le maitre nous disait avec
mélancolie quand nous lui reprochions res-
pectueusement de trop sacrifier à ces rémi-
niscences gothiques outrées qui constituent
sa troisième manière à laquelle nous devons
les peintures de l'hôtel de ville d'Anvers,
souvent il disait : « Que voulez-vous? Si je
le pouvais je ne peindrais que des Ateliers de