N° 10. 29 Mai 1880. Vingt-deuxième Année.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE.
DIRECTEUR: M. Ad. SIRET. paraissant deux fois par mois. ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE
membre de l'académie roy. de Belgique, etc. PRIX PAR AN : BELGIQUE : 9 FRANCS. a s'-nicolas (Belgique).
étranger : 12 fr. _
SOMMAIRE. France : Le salon de Paris. — Du
Bas-relief. — L'année artistique de Victor Cham-
pier. — Les grandes publications modernes.
Belgique : Flamands et Wallons. — Chronique
générale. — Dictionnaire des peintres. — An-
nonces.
CONCOURS DE GRAVURE.
Nous rappelons aux intéressés que le délai
fatal de notre septième concours de gravure
expire le i5 juin prochain.
Le programme a été inséré dans notre nu-
méro du i5 février dernier.
F
rance.
LE SALON DE PARIS.
SCULPTURE. — PEINTURE. - MINIATURES.
Deuxième article.
Cette année, le nombre des ouvrages plasti-
ques modelés par des femmes est plus grand
que les années précédentes. Propertia de
Rossi, Mrlle Collot, la princesse Marie d'Or-
léans, comptent aujourd'hui des descendantes
dont il convient de faire ressortir le talent.
La sculpture religieuse, le portrait, l'allégorie,
la sculpture d'histoire ont tenté plus d'une
main féminine, et certaines œuvres exposées
au Salon ne sont pas exemptes de cette touche
sobre et sévère, qui sied à la virilité de l'art
de Phidias.
Sainte Geneviève, par Mademoiselle Adam,
est une page intime, imprégnée d'un parfum
rustique et qui est un hommage rendu à
l'illustre patronne de Paris. Toutefois, ce n'est
pas l'héroïne, ce n'est pas la sainte que l'artiste
a voulu célébrer. C'est la bergère de quinze
ans, assise dans les blés, tenant un mouton
sur ses genoux qui a préoccupé l'esprit du
sculpteur. Mais le thème une fois admis,
Mel,e Adam a tiré de son sujet un excellent
parti. Les pieds et les mains sont traités avec
non moins de goût que de savoir; la tête
légèrement portée en avant fixe et retient le
regard. Un sculpteur moins habile n'eût pas
manqué de viser aux détails dans une œuvre
de cette nature La Sainte Geneviève qui nous
occupe, simplement drapée séduit, par l'en-
semble. C'est une page sérieuse, bien conçue,
élégamment écrite, que nous souhaitons de
revoir un jour traduite en marbre.
Madame Halévy a le culte du compositeur
dont elle porte le nom. Nous ne pouvons que
l'en féliciter. Déjà nous avons eu l'occasion
de remarquer un buste de Fromental Halévy
sculpté par sa femme. Cette fois, c'est une
statue en pierre, mesurant plus de deux
mètres, destinée à la façade du nouvel Hôtel
de Ville qu'expose Madame Halévy. 11 y a lieu
de lui tenir compte du travail considérable
qu'elle s'est imposée pour achever cette œuvre
importante. Nous ne trouvons pas sans défauts
la pose quelque peu guindée du modèle ; les
épaules sont anguleuses et ne tombent pas
avec assez de naturel. En revanche, la tête vit,
et les détails du costume académique que
porte le compositeur sont rendus avec un
soin patient.
Le buste de Philippe de Girard, inventeur
de la machine à filer le lin, est une terre cuite
qui fait honneur à Madame la baronne de
Pages. Un front haut et vaste, des lèvres fines
caractérisent ce portrait idéalisé. Philippe de
Girard n'est pas encore l'homme usé par le
travail et les contradictions que maintes fois
nous avons vu représentés sur la toile ou dans
le marbre. Ici, l'homme est jeune, résolu ; il
a l'œil plein de pensées et l'expression
générale parle de joie, de hautes conceptions
et d'espérance. On devine au soin jaloux avec
lequel a été caressé ce buste intime, qui n'a
rien de décoratif et qui prendra place dans
quelque appartement préféré, que l'auteur
n'est pas sans parenté avec son modèle,
Madame de Pages figure au livret comme
ayant reçu les leçons de Madame Léon Ber-
taux. Ayant parlé de l'élève, parlons du maître.
Le buste de l'écrivain d'art si bienveillant,
M. Emile Cardon, a été traité par Madame
Bertaux avec une grande sûreté de modelé.
Les joues mobiles, l'arcade sourcillière nette-
ment arrêtée, les dessous de chair du front et
de la partie inférieure du visage sont écrits
avec ce laconisme élégant et sans sécheresse
qui est dans un buste d'homme le signe
distinctif de la science du statuaire. Mais
Madame Bertaux n'a pas omis de répandre
sur le bronze sorti de ses mains une lumière
égale, tranquille, qui est comme le refiet
extérieur de l'âme. C'est, à l'aide de méplats
savamment gradués que l'artiste a su obtenir
cet aspect. Tous nos compliments à l'éminent
critique pour le portrait qui nous est offert
par Madame Bertaux.
En vérité, mademoiselle Sarah Bernhardt
ne doit pas être en bonne intelligence avec le
sergent Hoff dont elle a sculpté le buste. Est-
il suffisamment heurté, ce portrait du soldat
à la valeur presque légendaire? Des pommet-
tes et des moustaches, voilà ce qui de loin
vous attire vers cette tête ravagée. La teinte
fauve du bronze est du moins en harmonie
avec le masque étrange et ramassé du sergent
Hoff. On le dirait desséché par le soleil d'Afri-
que. Si mademoiselle Sarah Bernhardt a cher-
ché cet effet demi sauvage pour mieux pein-
dre le soldat français, il faut avouer qu'elle a
réussi, mais elle s'est trompée de langue.
C'est avec des couleurs et un pinceau que
pouvaient être exprimés de pareils accents.
La sculpture a ses franchises, mais on lui con-
naît aussi des frontières.
Je me trompe peut-être en reprochant à
mademoiselle Bernhardt de ne pas avoir choisi
le pinceau plutôt que l'ébauchoir pour faire
le portrait du sergent Hoff. Il y a ceci de sur-
prenant chez l'artiste dont nous parlons que
sa couleur manque de vie lorsque ses œuvres
modelées manquent de mesure. Nous en avons
la preuve dans le tableau la Jeune fille et la
mort exposée cette année par l'ex-sociétaire
du théâtre français.
n La mort glisse en son rêve, et tous bas : Viens dit-elle,
» L'amour c'est l'éphémère et je suis l'immortelle.
Telle est la pensée d'ailleurs très-élevée,
très-philosophique sur laquelle repose la com-
position de mademoiselle Bernhardt, mais la
gamme des couleurs adoptées par l'artiste
n'est pas heureuse. Drapée de violet et se déta-
chant sur un fond rose sans que le corps ait
une suffisante consistance, sa jeune fille est
moins qu'une ombre, c'est un souvenir éva-
noui. Pourquoi mademoiselle Sarah Bern-
hardt ne se contente-t-elle pas de jouer Phè-
dre, Andromaque, Agrippine en artiste hors
de pair? C'est toujours l'histoire du violon de
Ingres, mais Ingres ne jouait pas en public de
son instrument : il se bornait à peindre.
Mademoiselle Gérardin, élève de madame
Chéron et de M. Camino n'a plus rien à envier
à ses maîtres. Elle peint la miniature en artiste
consommée. Son portrait de Mademoiselle G. J.
en toilette de bal, est composé avec goût et
traité avec une légèreté de touche, une tona-
lité où le blond et le rose se confondent sans
éclat, sans oppositions dans une parfaite har-
monie. Tout est suave, jeune, reposé dans
cette effigie de bon aloi. Non loin de cette pre-
mière œuvre une miniature de mademoiselle
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE.
DIRECTEUR: M. Ad. SIRET. paraissant deux fois par mois. ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE
membre de l'académie roy. de Belgique, etc. PRIX PAR AN : BELGIQUE : 9 FRANCS. a s'-nicolas (Belgique).
étranger : 12 fr. _
SOMMAIRE. France : Le salon de Paris. — Du
Bas-relief. — L'année artistique de Victor Cham-
pier. — Les grandes publications modernes.
Belgique : Flamands et Wallons. — Chronique
générale. — Dictionnaire des peintres. — An-
nonces.
CONCOURS DE GRAVURE.
Nous rappelons aux intéressés que le délai
fatal de notre septième concours de gravure
expire le i5 juin prochain.
Le programme a été inséré dans notre nu-
méro du i5 février dernier.
F
rance.
LE SALON DE PARIS.
SCULPTURE. — PEINTURE. - MINIATURES.
Deuxième article.
Cette année, le nombre des ouvrages plasti-
ques modelés par des femmes est plus grand
que les années précédentes. Propertia de
Rossi, Mrlle Collot, la princesse Marie d'Or-
léans, comptent aujourd'hui des descendantes
dont il convient de faire ressortir le talent.
La sculpture religieuse, le portrait, l'allégorie,
la sculpture d'histoire ont tenté plus d'une
main féminine, et certaines œuvres exposées
au Salon ne sont pas exemptes de cette touche
sobre et sévère, qui sied à la virilité de l'art
de Phidias.
Sainte Geneviève, par Mademoiselle Adam,
est une page intime, imprégnée d'un parfum
rustique et qui est un hommage rendu à
l'illustre patronne de Paris. Toutefois, ce n'est
pas l'héroïne, ce n'est pas la sainte que l'artiste
a voulu célébrer. C'est la bergère de quinze
ans, assise dans les blés, tenant un mouton
sur ses genoux qui a préoccupé l'esprit du
sculpteur. Mais le thème une fois admis,
Mel,e Adam a tiré de son sujet un excellent
parti. Les pieds et les mains sont traités avec
non moins de goût que de savoir; la tête
légèrement portée en avant fixe et retient le
regard. Un sculpteur moins habile n'eût pas
manqué de viser aux détails dans une œuvre
de cette nature La Sainte Geneviève qui nous
occupe, simplement drapée séduit, par l'en-
semble. C'est une page sérieuse, bien conçue,
élégamment écrite, que nous souhaitons de
revoir un jour traduite en marbre.
Madame Halévy a le culte du compositeur
dont elle porte le nom. Nous ne pouvons que
l'en féliciter. Déjà nous avons eu l'occasion
de remarquer un buste de Fromental Halévy
sculpté par sa femme. Cette fois, c'est une
statue en pierre, mesurant plus de deux
mètres, destinée à la façade du nouvel Hôtel
de Ville qu'expose Madame Halévy. 11 y a lieu
de lui tenir compte du travail considérable
qu'elle s'est imposée pour achever cette œuvre
importante. Nous ne trouvons pas sans défauts
la pose quelque peu guindée du modèle ; les
épaules sont anguleuses et ne tombent pas
avec assez de naturel. En revanche, la tête vit,
et les détails du costume académique que
porte le compositeur sont rendus avec un
soin patient.
Le buste de Philippe de Girard, inventeur
de la machine à filer le lin, est une terre cuite
qui fait honneur à Madame la baronne de
Pages. Un front haut et vaste, des lèvres fines
caractérisent ce portrait idéalisé. Philippe de
Girard n'est pas encore l'homme usé par le
travail et les contradictions que maintes fois
nous avons vu représentés sur la toile ou dans
le marbre. Ici, l'homme est jeune, résolu ; il
a l'œil plein de pensées et l'expression
générale parle de joie, de hautes conceptions
et d'espérance. On devine au soin jaloux avec
lequel a été caressé ce buste intime, qui n'a
rien de décoratif et qui prendra place dans
quelque appartement préféré, que l'auteur
n'est pas sans parenté avec son modèle,
Madame de Pages figure au livret comme
ayant reçu les leçons de Madame Léon Ber-
taux. Ayant parlé de l'élève, parlons du maître.
Le buste de l'écrivain d'art si bienveillant,
M. Emile Cardon, a été traité par Madame
Bertaux avec une grande sûreté de modelé.
Les joues mobiles, l'arcade sourcillière nette-
ment arrêtée, les dessous de chair du front et
de la partie inférieure du visage sont écrits
avec ce laconisme élégant et sans sécheresse
qui est dans un buste d'homme le signe
distinctif de la science du statuaire. Mais
Madame Bertaux n'a pas omis de répandre
sur le bronze sorti de ses mains une lumière
égale, tranquille, qui est comme le refiet
extérieur de l'âme. C'est, à l'aide de méplats
savamment gradués que l'artiste a su obtenir
cet aspect. Tous nos compliments à l'éminent
critique pour le portrait qui nous est offert
par Madame Bertaux.
En vérité, mademoiselle Sarah Bernhardt
ne doit pas être en bonne intelligence avec le
sergent Hoff dont elle a sculpté le buste. Est-
il suffisamment heurté, ce portrait du soldat
à la valeur presque légendaire? Des pommet-
tes et des moustaches, voilà ce qui de loin
vous attire vers cette tête ravagée. La teinte
fauve du bronze est du moins en harmonie
avec le masque étrange et ramassé du sergent
Hoff. On le dirait desséché par le soleil d'Afri-
que. Si mademoiselle Sarah Bernhardt a cher-
ché cet effet demi sauvage pour mieux pein-
dre le soldat français, il faut avouer qu'elle a
réussi, mais elle s'est trompée de langue.
C'est avec des couleurs et un pinceau que
pouvaient être exprimés de pareils accents.
La sculpture a ses franchises, mais on lui con-
naît aussi des frontières.
Je me trompe peut-être en reprochant à
mademoiselle Bernhardt de ne pas avoir choisi
le pinceau plutôt que l'ébauchoir pour faire
le portrait du sergent Hoff. Il y a ceci de sur-
prenant chez l'artiste dont nous parlons que
sa couleur manque de vie lorsque ses œuvres
modelées manquent de mesure. Nous en avons
la preuve dans le tableau la Jeune fille et la
mort exposée cette année par l'ex-sociétaire
du théâtre français.
n La mort glisse en son rêve, et tous bas : Viens dit-elle,
» L'amour c'est l'éphémère et je suis l'immortelle.
Telle est la pensée d'ailleurs très-élevée,
très-philosophique sur laquelle repose la com-
position de mademoiselle Bernhardt, mais la
gamme des couleurs adoptées par l'artiste
n'est pas heureuse. Drapée de violet et se déta-
chant sur un fond rose sans que le corps ait
une suffisante consistance, sa jeune fille est
moins qu'une ombre, c'est un souvenir éva-
noui. Pourquoi mademoiselle Sarah Bern-
hardt ne se contente-t-elle pas de jouer Phè-
dre, Andromaque, Agrippine en artiste hors
de pair? C'est toujours l'histoire du violon de
Ingres, mais Ingres ne jouait pas en public de
son instrument : il se bornait à peindre.
Mademoiselle Gérardin, élève de madame
Chéron et de M. Camino n'a plus rien à envier
à ses maîtres. Elle peint la miniature en artiste
consommée. Son portrait de Mademoiselle G. J.
en toilette de bal, est composé avec goût et
traité avec une légèreté de touche, une tona-
lité où le blond et le rose se confondent sans
éclat, sans oppositions dans une parfaite har-
monie. Tout est suave, jeune, reposé dans
cette effigie de bon aloi. Non loin de cette pre-
mière œuvre une miniature de mademoiselle