N° 16. 31 Août 1880. Vingt-deuxième Année.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE,
DIRECTEUR: M. Ad. SIRET.
MEMBRE de l'aCADÉMIE ROY. DE belgique, ETC.
SOMMAIRE. Belgique ; Exposition au palais des
Beaux-Arts. — Entrefilet sur Frédéric Van de
Kerkhove. — La cavalcade du 16 août 1880. —
Société d'aquafortistes, à Anvers. — Lettre d'un
belge dans Le ftigaro. — L'arc de triomphe de
la porte de Schaerbeek. — Chronique générale.
— Cabinet de la curiosité. — Dictionnaire des
peintres. — Annonces.
B ehjique.
Concours de gravure a l'eau-forte.
L'auteur de la planche représentant Van
Artevelde haranguant le peuple, d'après
Lebrun, qui a mérité un prix d'encourage-
ment, est M. Jules Dieudonné, à Bruxelles,
déjà lauréat pour la section de la nature
morte et pour un deuxième prix de paysage.
EXPOSITION DE 1880
au palais des beaux-arts.
Nous commençons aujourd'hui notrecompte
rendu de l'exposition du palais des Beaux-
Arts. Nous le commençons sans avoir pré-
paré de plan et en l'écrivant sous l'impression
reçue à l'heure de notre visite. Nous serons
historique dans un certain sens, c'est à dire
que nous résumerons, quand l'occasion s'en
présentera, la vie esthétique des peintres pas-
sés en revue. La carrière déjà longue que
nous avons parcourue, l'amour que nous
portons à l'art, la part que nous avons prise
de cœur et d'action au mouvement, nous
donne aujourd'hui le droit d'accentuer notre
langage et de l'élever, dans la mesure de
nos forces, à la hauteur de la situation.
Le système de placement qui sépare les unes
des autres, les œuvres d'un seul et même
peintre, nous obligera souvent à revenir ail-
leurs sur un artiste dont nous aurons déjà
parlé. Ce n'est pas notre faute ; l'inconvénient
du mode usité n'en est que plus saillant à nos
yeux.
L'œuvre maîtresse de l'exposition du palais
des Beaux-Arts est, dans son genre, l'éton-
nante toile de J. Verhas : la Revue des écoles
de filles. L'artiste a vaincu tout un monde de
difficultés de la façon la plus heureuse et la
plus originale. Sa première rangée de petites
filles me semble un tour de force prodigieux
réussi. Les physionomies des petites élèves
ont une variété d'expressions et de types
tout à fait dans la donnée. Le modelé de
tous ces frais et gracieux visages ressort avec
d'autant plus de force que la tonalité générale
de l'œuvre est travaillée dans une gamme
paraissant deux fois par mois.
prix par an : belgique : g francs.
étranger : 12 fr.
blanche et grise d'un effet osé et obtenu. Les
fonds sont aussi très-magistralement traités
et l'on ne sait ce qui frappe le plus ou des
personnages, ou de la vue de ville si exacte,
si aérée, si lumineusement baignée dans l'at-
mosphère. L'institutrice très simplement élé-
gante n'est pas une des choses les moins
dignes de louange. J'admire franchement
cette vaste et piquante composition qui place
son auteur à la tête de nos artistes. Il n'y a
pas à dire, cette Revue est un véritable événe-
ment et je cherche en vain parmi nos meil-
leurs vieux maîtres d'ommegancs et de pro-
cessions quelque chose qui puisse lui être
comparé. L'esprit, le sens moderne s'y reflète
avec une entente merveilleuse. Cette œuvre
historique à tous égards, échappera par sa
perfection au caractère d'actualité que le su-
jet imposait à l'artiste et vivra comme une
victoire.
De Keyser, qui apporte dans sa peinture
quelque chose de la distinction de son ca-
ractère et de sa nature élevée, a envoyé à l'ex-
position un Souvenir d'une course de tau-
reaux qui est pour nous un sujet d'éton-
nement. Est-ce une nouvelle manière qui
se révèle? Est-ce un accident fortuit? On
ne sait, mais jamais le maître anversois n'a-
vait témoigné d'une énergie semblable. De-
puis la Bataille des éperons d'or que la
noblesse de sa composition sauvera de l'ou-
bli, jusqu'à sa dernière œuvre exclusive-
ment, De Keyser s'était toujours beaucoup
plus préoccupé de l'esprit et de la forme
de ses compositions que de la technique à y
mettre. Peu enclin à céder aux séductions de
la couleur auxquelles les Belges n'ont que
trop de penchant à céder, il a compris l'art
d'une façon plus philosophique que réelle.
Sans le savoir,comme Cartsens, comme Fu-
rich, comme l'école allemande en un mot du
premier quart de ce siècle, son tempérament
s'est accommodé de ce milieu dont il n'est
guère sorti que pour exécuter les peintures
du musée d'Anvers. Le rêve de sa vie s'est
trouvé réalisé dans ce vaste travail qui est son
œuvre de prédilection et qui est aussi son
chef d'oeuvre. (Disons en passant qu'il est
tout à fait incompréhensible que jusqu'à pré-
sent la gravure n'ait pas encore popularisé
cette création si homogène et si vibrante au
point de vue historique). Les portraits du
maître sont assez connus, ils ont un air de
majesté et de grâce qui pour beaucoup rem-
place avec succès l'effet pictural qu'on semble
seul rechercher aujourd'hui. Ses tableaux
d'histoire dont quelquefois il a exagéré la
tenue et la propreté académiques, sont em-
preints de ce caractère romantique qui fut la
bannière glorieuse de notre école à l'époque
de notre renaissance nationale. Quelques-uns
ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE
a s'-nicolas (Belgique).
comme son Massacre des innocents, sa
Sainte Elisabeth, son Charles-Quint, sont
supérieurs à ces grandes toiles qui ont eu
cependant un succès européen et que de très
belles gravures en manière noire dues à des
Français, ont répandu dans le monde entier:
Le Départ de Van Dyck, Y Atelier de Ru-
bens, le Dante, Raphaël et d'autres dont la
Belgique a le tort de ne pas se souvenir
assez. Magnifique et abondant est l'œuvre
du maître ; il semblerait qu'il eût dû succom-
ber sous ce noble fardeau, mais voilà qu'au
contraire le dernier quart de son existence
révèle une vitalité extraordinaire. On nous
avait parlé de peintures très hardies qu'il
a exécutées dans une villa à Nice, peintures
perdues pour nous, et aujourd'hui il nous
arrive avec ce Souvenir, sorte de grand ta-
bleau de genre d'une gamme puissante et
sombre, où l'on aurait du mal à reconnaître
le De Keyser d'autrefois n'étaient l'élégance
et la finesse du trait qui est comme sa signa-
ture indélébile.
Deux grands sujets empruntés au vestibule
du Musée d'Anvers figurent au Palais des
Beaux-Arts. Je ne les trouve pas à leur place,
il faut de l'air et de l'étendue à ces person-
nages colossaux qui demandent en outre à ne
pas être séparés de ceux de leur espèce. Quoi-
qu'il en soit, il appartient au public loyal
pour les juger de les rapprocher par la pensée,
du milieu dont ils ont été momentanément
d istraits.
Le beau tableau de M. Slingeneyer est un
peu gêné dans cet ensemble papillotant pour
lequel il n'a pas été fait. Sa destination est,
comme on le sait, le fond de la grande salle
des Académies illustrée déjà par les peintures
de l'artiste. Sa tonalité générale, tranquille
et harmonieuse, repose l'œil et prédispose à
l'analyse historique de l'œuvre dans laquelle
l'artiste a groupé adroitement les principales
figures de la patrie. La question de ressem-
blance n'est pas absolument requise ici ; il
suffit de quelques lignes caractéristiques que
la tradition nous a transmises pour que l'on
se montre satisfait. C'est ainsi que Marnix de
Ste Aldegonde, supérieurement posé, isolé,
un peu boudeur comme ce fut du reste dans
sa destinée, ne me paraît pas conforme au
portrait que l'on possède^ de lui. Plusieurs
grands hommes sont très-reconnaissables,
d'autres ont la ressemblance que la légende
leur attribue, mais enfin ils y sont tous. Les
groupes de droite et de gauche ont grand
air, il semble que leur conversation soit toute
naturelle comme il semble aussi que le génie
de chaque individualité travaille sous l'en-
veloppe crânienne dans la sphère de son ima-
gination. Ce côté de l'œuvre est très-saillant
et l'on retrouve là la très-rare propriété du
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE,
DIRECTEUR: M. Ad. SIRET.
MEMBRE de l'aCADÉMIE ROY. DE belgique, ETC.
SOMMAIRE. Belgique ; Exposition au palais des
Beaux-Arts. — Entrefilet sur Frédéric Van de
Kerkhove. — La cavalcade du 16 août 1880. —
Société d'aquafortistes, à Anvers. — Lettre d'un
belge dans Le ftigaro. — L'arc de triomphe de
la porte de Schaerbeek. — Chronique générale.
— Cabinet de la curiosité. — Dictionnaire des
peintres. — Annonces.
B ehjique.
Concours de gravure a l'eau-forte.
L'auteur de la planche représentant Van
Artevelde haranguant le peuple, d'après
Lebrun, qui a mérité un prix d'encourage-
ment, est M. Jules Dieudonné, à Bruxelles,
déjà lauréat pour la section de la nature
morte et pour un deuxième prix de paysage.
EXPOSITION DE 1880
au palais des beaux-arts.
Nous commençons aujourd'hui notrecompte
rendu de l'exposition du palais des Beaux-
Arts. Nous le commençons sans avoir pré-
paré de plan et en l'écrivant sous l'impression
reçue à l'heure de notre visite. Nous serons
historique dans un certain sens, c'est à dire
que nous résumerons, quand l'occasion s'en
présentera, la vie esthétique des peintres pas-
sés en revue. La carrière déjà longue que
nous avons parcourue, l'amour que nous
portons à l'art, la part que nous avons prise
de cœur et d'action au mouvement, nous
donne aujourd'hui le droit d'accentuer notre
langage et de l'élever, dans la mesure de
nos forces, à la hauteur de la situation.
Le système de placement qui sépare les unes
des autres, les œuvres d'un seul et même
peintre, nous obligera souvent à revenir ail-
leurs sur un artiste dont nous aurons déjà
parlé. Ce n'est pas notre faute ; l'inconvénient
du mode usité n'en est que plus saillant à nos
yeux.
L'œuvre maîtresse de l'exposition du palais
des Beaux-Arts est, dans son genre, l'éton-
nante toile de J. Verhas : la Revue des écoles
de filles. L'artiste a vaincu tout un monde de
difficultés de la façon la plus heureuse et la
plus originale. Sa première rangée de petites
filles me semble un tour de force prodigieux
réussi. Les physionomies des petites élèves
ont une variété d'expressions et de types
tout à fait dans la donnée. Le modelé de
tous ces frais et gracieux visages ressort avec
d'autant plus de force que la tonalité générale
de l'œuvre est travaillée dans une gamme
paraissant deux fois par mois.
prix par an : belgique : g francs.
étranger : 12 fr.
blanche et grise d'un effet osé et obtenu. Les
fonds sont aussi très-magistralement traités
et l'on ne sait ce qui frappe le plus ou des
personnages, ou de la vue de ville si exacte,
si aérée, si lumineusement baignée dans l'at-
mosphère. L'institutrice très simplement élé-
gante n'est pas une des choses les moins
dignes de louange. J'admire franchement
cette vaste et piquante composition qui place
son auteur à la tête de nos artistes. Il n'y a
pas à dire, cette Revue est un véritable événe-
ment et je cherche en vain parmi nos meil-
leurs vieux maîtres d'ommegancs et de pro-
cessions quelque chose qui puisse lui être
comparé. L'esprit, le sens moderne s'y reflète
avec une entente merveilleuse. Cette œuvre
historique à tous égards, échappera par sa
perfection au caractère d'actualité que le su-
jet imposait à l'artiste et vivra comme une
victoire.
De Keyser, qui apporte dans sa peinture
quelque chose de la distinction de son ca-
ractère et de sa nature élevée, a envoyé à l'ex-
position un Souvenir d'une course de tau-
reaux qui est pour nous un sujet d'éton-
nement. Est-ce une nouvelle manière qui
se révèle? Est-ce un accident fortuit? On
ne sait, mais jamais le maître anversois n'a-
vait témoigné d'une énergie semblable. De-
puis la Bataille des éperons d'or que la
noblesse de sa composition sauvera de l'ou-
bli, jusqu'à sa dernière œuvre exclusive-
ment, De Keyser s'était toujours beaucoup
plus préoccupé de l'esprit et de la forme
de ses compositions que de la technique à y
mettre. Peu enclin à céder aux séductions de
la couleur auxquelles les Belges n'ont que
trop de penchant à céder, il a compris l'art
d'une façon plus philosophique que réelle.
Sans le savoir,comme Cartsens, comme Fu-
rich, comme l'école allemande en un mot du
premier quart de ce siècle, son tempérament
s'est accommodé de ce milieu dont il n'est
guère sorti que pour exécuter les peintures
du musée d'Anvers. Le rêve de sa vie s'est
trouvé réalisé dans ce vaste travail qui est son
œuvre de prédilection et qui est aussi son
chef d'oeuvre. (Disons en passant qu'il est
tout à fait incompréhensible que jusqu'à pré-
sent la gravure n'ait pas encore popularisé
cette création si homogène et si vibrante au
point de vue historique). Les portraits du
maître sont assez connus, ils ont un air de
majesté et de grâce qui pour beaucoup rem-
place avec succès l'effet pictural qu'on semble
seul rechercher aujourd'hui. Ses tableaux
d'histoire dont quelquefois il a exagéré la
tenue et la propreté académiques, sont em-
preints de ce caractère romantique qui fut la
bannière glorieuse de notre école à l'époque
de notre renaissance nationale. Quelques-uns
ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE
a s'-nicolas (Belgique).
comme son Massacre des innocents, sa
Sainte Elisabeth, son Charles-Quint, sont
supérieurs à ces grandes toiles qui ont eu
cependant un succès européen et que de très
belles gravures en manière noire dues à des
Français, ont répandu dans le monde entier:
Le Départ de Van Dyck, Y Atelier de Ru-
bens, le Dante, Raphaël et d'autres dont la
Belgique a le tort de ne pas se souvenir
assez. Magnifique et abondant est l'œuvre
du maître ; il semblerait qu'il eût dû succom-
ber sous ce noble fardeau, mais voilà qu'au
contraire le dernier quart de son existence
révèle une vitalité extraordinaire. On nous
avait parlé de peintures très hardies qu'il
a exécutées dans une villa à Nice, peintures
perdues pour nous, et aujourd'hui il nous
arrive avec ce Souvenir, sorte de grand ta-
bleau de genre d'une gamme puissante et
sombre, où l'on aurait du mal à reconnaître
le De Keyser d'autrefois n'étaient l'élégance
et la finesse du trait qui est comme sa signa-
ture indélébile.
Deux grands sujets empruntés au vestibule
du Musée d'Anvers figurent au Palais des
Beaux-Arts. Je ne les trouve pas à leur place,
il faut de l'air et de l'étendue à ces person-
nages colossaux qui demandent en outre à ne
pas être séparés de ceux de leur espèce. Quoi-
qu'il en soit, il appartient au public loyal
pour les juger de les rapprocher par la pensée,
du milieu dont ils ont été momentanément
d istraits.
Le beau tableau de M. Slingeneyer est un
peu gêné dans cet ensemble papillotant pour
lequel il n'a pas été fait. Sa destination est,
comme on le sait, le fond de la grande salle
des Académies illustrée déjà par les peintures
de l'artiste. Sa tonalité générale, tranquille
et harmonieuse, repose l'œil et prédispose à
l'analyse historique de l'œuvre dans laquelle
l'artiste a groupé adroitement les principales
figures de la patrie. La question de ressem-
blance n'est pas absolument requise ici ; il
suffit de quelques lignes caractéristiques que
la tradition nous a transmises pour que l'on
se montre satisfait. C'est ainsi que Marnix de
Ste Aldegonde, supérieurement posé, isolé,
un peu boudeur comme ce fut du reste dans
sa destinée, ne me paraît pas conforme au
portrait que l'on possède^ de lui. Plusieurs
grands hommes sont très-reconnaissables,
d'autres ont la ressemblance que la légende
leur attribue, mais enfin ils y sont tous. Les
groupes de droite et de gauche ont grand
air, il semble que leur conversation soit toute
naturelle comme il semble aussi que le génie
de chaque individualité travaille sous l'en-
veloppe crânienne dans la sphère de son ima-
gination. Ce côté de l'œuvre est très-saillant
et l'on retrouve là la très-rare propriété du