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Journal des beaux-arts et de la littérature — 22.1880

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https://doi.org/10.11588/diglit.18917#0173
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—154 -

parfait les mille détails du costume qu'il associe
au caractère de la personne portraitée de telle
sorte que les goûts de celle-ci, ses préférences
et même ses habitudes comme ses aptitudes,
se trahissent dans un ensemble qui séduit le
spectateur et le porte à regarder ces pages
peintes comme on lirait un poème. Les por-
traits d'homme sont moins heureux malgré
leurs incontestables qualités, témoin celui de
Deroulède où il y a une sécheresse que ne par-
vient pas à faire oublier la noble et line aisance
de la pose.

Jean Portaels a formé en 1868 un atelier
d'élèves. L'enseignement est sa véritable vo-
cation. Instruit, homme de sentiment, synthé-
tique avec une admirable entente de ce qui
convient à l'élève, démonstrateur rapide et
correct, d'une éloquence entraînante servie
par un organe d'un timbre sonore qui tombe
sur les conclusions avec un irrésistible entrain,
tout cela l'a posé pendant un certain temps et
lui a fait former des élèves qui sont déjà l'hon-
neur et deviendront la gloire de notre école.

Ennemi de l'enseignement académique offi-
ciel en 1868, Portaels a dû modifier singu-
lièrement sa manière de voir, car le voilà
aujourd'hui directeur de l'académie royale des
Beaux-Arts de Bruxelles. Nul doute qu'il n'a
accepté ces fonctions que pour introduire dans
l'établissement les réformes dont plus que tout
autre il doit comprendre la nécessité et déter-
miner la nature.

*

Les frères De Yriendt qui avaient tous deux
commencé par un amour effréné de la quin-
caillerie archéologique, sont arrivés à se poser
carrément devant l'histoire. Tous deux, hom-
mes d'étude et de labeur, tous deux nourris à
la forte moelle de l'ancien art flamand que
pratiquait avec tant d'amour leur père, artiste
gantois de grand mérite, mort jeune, tous
deux marchant absolument dans la même voie
et dans la même lumière, sont parvenus, en
même temps, à des succès d'autant plus so-
lides qu'ils ont été moins bruyants. À'ceux-là
comme à d'autres que nous suivons depuis
leur jeunesse, nous avons annoncé la bonne
nouvelle alors que la vie et le travail étaient
rudes; mais quelle noble confiance! quelle
ardeur convaincue, quelle foi les a soutenus !
La vie de ces deux frères qui dans l'expres-
sion de leur talent ont l'air d'être le même
homme, ne sera pas un des épisodes les moins
intéressants de l'histoire de l'art flamand mo-
derne.

L'heure de la popularité a sonné pour eux
en même temps qu'apparurent Jacqueline de
Bavière et Sainte Elisabeth à Eisenach. Depuis
sont venus Charles-Quint à Saint-Juste, Bau-
douin à la hache, Le Vœu, Le Cantique de
Sainte-Cécile, VExcommunication de Bou-
chard, Le Jeu des Altesses, et enfin aujour-
d'hui La Veillée de sainte Cécile de Julien, et
Charles de Luxembourg créé chevalier de la
Toison d'or, par Albert.

C'est le charme dans la couleur et une cer-
taine grâce humaine naturelle qui captivent
chez ces deux peintres gantois. Ils ont aussi
une touche lumineuse, car dans les derniers
tableaux surtout cette propriété est remar-
quable. Le sentiment de la composition est
chez eux à l'état latent ; c'est le moindre de
leurs soucis, car le sujet étant aimé, il naît de
lui même dans sa forme objective.Ils ont aussi,
qualité rare et qui distingue surtout Gallait,
le don d'exactitude dans l'expression. J'in-
siste sur le mot exactitude et pour me faire

comprendre je ferai remarquer combien Leys
possédait peu cette qualité. Ainsi,la mélanco-
lie chez ses personnages existe sans motif di-
rectement appréciable et quand cette mélanco-
lie est justifiée vous en trouverez toujours
l'expression outrée. Si vous en voulez des
exemples, prenez Albert Durer à Anvers, où
on assiste beaucoup plus à un enterrement
qu'à un cortège joyeux; prenez son chef d'eeu-
vre, Les Trentaines de Berthall, où les chan-
tres que l'artiste a voulu ridiculiser un peu,
tombent dans la charge; prenez La famille
Palavicini des peintures d'Anvers, tout le
monde semble pleurer sans raison. Voyez ce
beau Canossa de Gluyscnacr, le mouvement
divers du jeu des âmes est excessif et donne
à l'action morale un ridicule qu'elle n'a pas
eue et qu'elle ne pouvait avoir. La notion de
l'exactitude dans l'expression des sentiments
est à mon avis un des secrets de l'art. Heureux
ceux qui le possèdent : ils sont sûrs de vivre
dans leurs œuvres.

Je ne suis pas énamouré de cet escalier con-
struit par Albert pour y établir son sujet. De-
puis quelque temps on a abusé de ce décor.
Tout récemment des Italiens de renom, des
Français célèbres ont mis ce machin à contri-
bution. Un des derniers, je crois, est Aima
Tadema dans l'Audience d'Agrippa. J'avoue
qu'ici cependant De Vriendt n'en a pas abusé
et je lui pardonne bien volontiers, en ce qui
me concerne, ce petit truc innocent en faveur
du plaisir extrême que j'ai eu à monter cet
escalier en si noble compagnie. Le groupe des
chevaliers à manteau rouge est compris d'une
façon originale. Rien de poncif, rien d'officiel-
lement guindé, c'est la noble foule prise sur le
fait; à droite, un chevalier tout vêtu de blanc
est d'une suprême-élégance et d'une nervosité
de dessin qui en fait le clou du tableau. Le
petit Charles est bon, très bon ; en fils obéis-
sant il s'est laissé mettre au cou le hochet de
la toison d'or, heureux bebé! Son regard sem-
ble demander dans une petite lueur de nais-
sante raison, ce que cela veut dire. Les nobles
dames qui l'avoisinent sont de bien ravissantes
comtesses, leur galbe exquis, leurs yeux ca-
ressants, leur geste si maladroitement viril et
leur toilette corre -te aux lignes fondues, tout
cela vous prend au cœur et à la lète et on en
rêve. Ajoutez de ci de là des détails où l'on
reconnaît la savante manipulation d'un homme
qui se retient pour n'en pas dire plus et vous
n'aurez qu'une faible idée d'un tableau de pre-
mier ordre.

La Veillée de Slc-Cécile, par Julien, est
jusqu'à présent, et à mon avis, le chef-d'œu-
vre du maître, bien entendu à ne parler que
des tableaux de moyenne dimension. Albert
s'est plongé dans un sujet réclamant du brio
et de la couleur; Julien s'est plongé dans la
mort et dans la douleur. Connaît-on dans
l'école belge une création plus suave et plus
puissante que ce pape Urbain, en habits de
moine, veillant le cadavre de Cécile? Est-il
douleur plus éloquente dans son mutisme?
Le regard et la pensée de cet homme sont
rivés sur la noble martyre, la pensée surtout;
sondez celle ci, je vous prie, ne fût-ce que
pour rendre hommage à l'artiste, sondez-là et
j'estime que vous reculerez d'effroi comme si
cet homme avait tout à coup pensé tout haut.
Sle-Cécile est morte, son corps est étendu,
comme le veut la tradition, sur le brancard.
Du dehors, du ciel, entre une apparition d'an-
ges, idée charmante matérialisant le vœu de
la mourante qui avait demandé que sa maison
lût bénie et convertie en église. Tout cela est

si plein d'une poésie et d'un charme si pro-
fond, si immense, si grand, si pur, que je
crains bien que ceux qui tiennent ce genre
de sujets en médiocre estime ne s'y arrête-
ront pas de peur d'être forcés d'admirer.

Les frères De Vriendt. par le caractère fla-
mand de leur peinture c'est-à-dire sa solidité,
sa consistance, je dirai même sa préoccupa-
tion à s'affermir, par son éloigneinent de tout
esprit d'imitation et parfaitement décidée à ne
pas se plier à la mode ; par l'exposé simple et
naïf de leurs sujets et par la justesse de l'ex-
pression des sentiments, doivent être consi-
dérés comme les chefs de cette vaillante pha-
lange d'artistes qui rayonnent autour de nous
et qui forment, à partir de Leys, le point de
départ d'une manifestation nouvelle dans l'art
belge. Si nous voyons clair, des troupes fraî-
ches viennent aider l'armée nouvelle, afin de
lutter contre une modernité séduisante, mais
imbécile, qui montre assez bien le niveau au-
quel la société est descendue. En un mot, c'est
une jeune école saine et vigoureuse qui n'a
rien de l'effacement et des défaillances de sa
rivale et qui, s'inspirant de l'art contenu et ré-
fléchi du xvie siècle, marche vers des destinées
encore inconnues mais dont l'aurore s'aperçoit.

Je voulais continuer mais je reçois une lettre
peu polie à laquelle il serait impoli de ne pas
répondre. M. V. commence par m'adresser
quelques compliments auxquels eu ma qualité
de Directeur du Journal des Beaux-Arts je suis
très sensible; c'est sans doute pour mitiger la
crudité de la queue de sa missive, queue ainsi
conçue : « . . en ce qui regarde vos articles
sur l'exposition historique belge, si vous y
allez de ce train, vous n'aurez pas fini dans dix
numéros. Dans ce cas... » ici, une menace sur
laquelle nous glisserons. Voici ma réponse :

Monsieur,

Ce n'est pas dans dix numéros, ni dans vingt
que je compte avoir fini ma série d'articles sur
l'Exposition historique belge. Il s'agit bien
moins de cette exposition que de l'histoire des
peintres au point de vue de leurs progrès et
de leurs évolutions depuis 1830. L'exposition
quoique fermée est un thème inépuisable et
je suis cependant décidé à l'épuiser. Je suis
né à la vie des lettres en même temps que la
Belgique renaissait à la vie des arts. J'ai été
mêlé dès l'origine au double mouvement litté-
raire et artistique et j'y ai pris une part telle
que nul mieux que moi peut-être en Belgique,
n'est plus à même de poser les assises de l'his-
toire de l'art et de la littérature en Belgique
depuis cinquante ans. L'occasion, mon cher
Monsieur, est trop belle, avouez-le, pour que
je la laisse échapper, aussi y suis-je et y res-
terai-je jusqu'à épuisement.

Rassurez-vous toutefois ; je vous servirai
cela à petites doses et peut-être ne vous en
apercevrez-vous pas. En tout cas, convenez
qu'un journal ne saurait plaire à tout le monde.
En ce qui me concerne, j'ai trop à dire encore
avant de me taire pour toujours. J'ai trop à
dire des choses passées à propos des choses
présentes pour m'occuper exclusivement de
modernités lesquelles ont des organes mieux
en position de les représenter. Je ne dédaigne
pas la modernité, comme vous semblez le
croire, Monsieur, quoique je la voudrais plus
saine (permettez moi d'avoir cette opinion),
mais on ne peut servir deux maîtres à la fois.
J'ai mon public, laissez moi lui rester fidèle.
Si mes allures vous déplaisent il y a un moyen
bien simple d'en finir, c'est de mettre votre
 
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