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œuvres estimables, mais elles n'ont joui que
d'un succès éphémère. Je ne parlerai pas de
ses portraits parmi lesquels il y eu a de très
remarquables surtout sous le rapport de la
distinction.
Van Lerius n'a jamais eu l'esprit inventif et
les grands sujets par cela même n'étaient pas
son affaire. Son Triomphe de la vertu a été pour
lui une occasion de peindre une jeune fillenue,
car aucune émotion ne résulte de l'acte par
lequel cette vertu se sauve en poignardant un
beau garçon, ma foi, qui ne méritait peut-être
pas un accueil si cruellement farouche. Le
geste est très beau, la jeune fille est supérieu-
rement colorée, sa tête fière et frémissante de
colère est d'un beau galbe; le jeune homme
est bien frappé et le tableau est un brillant
échantillon de la palette du peintre. Lady
Godiva est traitée avec une excessive délica-
tesse et l'auteur s'est adroitement tiré d'un
sujet plus difficile qu'on ne le pense. Les ex-
trémités des mains, des jambes, les attaches,
les chevilles, toute la dame enfin qui n'a pour
voile qu'une partie de sa merveilleuse cheve-
lure, est toute d'une admirable venue. C'est
peint moins grassement qne le Triomphe de la
vertu qui, sous ce rapport, lui est supérieur,
mais il n'a pas le charme délicat de cette
comtesse écossaise prête à exécuter l'étrange
arrêt auquel elle est condamnée. Le portrait
en pied d'Erasme que Van Lerius a exécuté
en quelques heures est peut-être celle de ses
œuvres la mieux réussie. Il a aussi peint
une Femme qui se jette par la fenêtre qui n'a
pas les mérites de Lady Godiva ni du Triomphe.
La caractéristique de ce peintre quia donné
tout ce qu'il pouvait donner,est celle-ci : colo-
ris frais et brillant, dessin très élégant et dé-
lié, invention faible. Joseph Van Lerius comme
beaucoup de ses collègues, a dédaigné les
bienfaits de l'étude littéraire et il s'est trouvé
à court d'imagination quand il a voulu donner
essor à la vistragica qui se^mouvait en lui.
Avec quelques souvenirs littéraires il se serait
trouvé au niveau des besoins de son âme,
mais accablé par le vide il s'est livré tout en-
tier au modèle; c'est ce qui l'a empêché de
toucher aux sommets.
(A suivre).
LE SALON DE GAND.
(Suite).
Il ne faudrait pas offrir le beau talent de
Madame Collart comme exemple à suivre à
nos paysagistes parce que pour nous il y a là
beaucoup plus de travail que de réelle inspi-
ration, mais nos impressionistes pourraient y
trouver la preuve qu'une impression immédia-
tement saisie n'est pas toujours suffisante. La
nature n'a pas cette apparence d'improvisation
dans la matière, elle témoigne au contraire
jusque dans les pl;îs petits détails du temps
qu'elle met à ses créations. C'est ce que la
plupart de nos paysagistes ne s'attachent pas
à faire sentir. Boulanger était arrivé en cela à
un degré de force qui était peut-être la véri-
table mesure. Mad. Collart la dépasse. Beau-
coup restent en dessous sous prétexte de
virtuosité. Tels sont Heymans, Fontaine, Ha-
gemans, Hannon, Delcroix, les Dandoy, Arden,
Dekeyscr, Binjé, H. de Cock, Crehay, Cour-
tens, Boogaerts, Mathaeï, Keymeulen, Baron,
Le Pas, Janssens, Hoorickx, Lechien, Mar-
cette, fous hommes de.talent, parfois de grand
talent, et ayant chacun un caractère particu-
lier dans leur manière de sentir, mais qui ont
pour le modelé une souveraine répugnance à
l'exception de quelques-uns chez lesquels on
sent le repentir et la réflexion.
Madame Delsalle, dont le talent se fortifie,
semble chercher une technique qui la con-
duira au système si elle n'y prend garde. Il est
beau d'avoir une large manière, mais il ne faut
pas que la forme fasse négliger le fond. Ma-
dame Bolin-Jacquemyns a des aptitudes abso-
lument contraires : ce qui la préoccupe avant
tout c'est l'air, la lumière. Cela viendra comme
ça pourra, mais il faut que cela vienne et ça
y est. Un tout jeune homme, M. Wauters,
s'annonce comme observateur et naturaliste.
M. Marinus, le maitrc de Rindermans, de Rof-
fiaen et de Quinaux, reste toujours debout
avec sa palette expérimentée et ses pinceaux
fidèles. Artiste curieux! qui, superbe dans les
grandes peintures décoratives dont il a illustré
les châteaux somptueux de la province de
Namur, se transforme dans les petites toiles où
le désir de trop accentuer ses effets jette de
temps en temps un peu de lourdeur. Il est a
regretter pour le nom et la gloire de cet excel-
lent artiste qu'il n'ait pu exposer quelques-
unes de ces immenses vues des Ardennes où il
est vraiment d'une supériorité incontestable.
M. De Biseau qui s'est fait une spécialité des
scènes d'hiver nous montre dans sa Scierie de
Luxembourg de grandes qualités d'observa-
tion et un sentiment d'exactitude qui donne à
son œuvre un attrait particulier; Cet artiste
gagne énormément de terrain.
M. Stroobant que ses fonctions si dévouées
de Directeur de l'école de Molenbeek n'em-
pêchent pas de produire des intérieurs de ville
sur lesquels tout a été dit, ne laisse jamais
passer une exposition sans y faire preuve de
cette vitalité qui le caractérise. Il semble
même que le dicton : acquerit eundo lui soit plus
applicable qu'à un autre, car je tiens que sa
manière gagne en lumière et en légèreté à
mesure que sa carrière se déroule. Le tableau
de Gand est une preuve nouvelle de ce que
nous avançons. M. J. Carabain qui pratique
le même genre y met plus de débraillé. La
lumière ne joue pas mal dans les pignons
désordonnés de ses tableaux, mais il y a au
milieu de tout cela un lâché parfois sujet à
confusion. Un peu plus de fermeté dans les
dessins ne nuirait en rien à ce talent agréable.
M. Vervloet est aussi un praticien habile, fidèle
à nos expositions ainsi qu'à celles de l'étran-
ger où je remarque avec plaisir que ces ta-
bleaux sont recherchés et se vendent avec un
succès continu ainsi que le constatent les bul-
letins officiels. Son tableau du Salon de Gand
est peut-être un de cenx où il a le mieux dé-
ployé ses solides qualités de brosse.
Je m'aperçois que si j'avais à parler de beau-
coup de jeunes débutants je n'en finirais pas.
Je préfère donc attendre que chacun d'eux se
révèle par quelque coup de maître. J'ai dit plus
haut les motifs pour lesquels on ne devait
point se montrer trop rigoureux vis-à -vis de la
critique qui débordée comme elle l'est ne peut
suffire à tout.
Promenons-nous quelque peu parmi nos
sculpteurs belges ; il en est un qui nous a
frappé par les extraordinaires facultés qu'il
possède dans la spécialité des bustes, c'est
François Van Havermaet, le frère de l'éminent
portraitiste Pierre. Ne nous arrêtons pas à
eette singulière coïncidence des deux frères,
aptes tous deux, dans une si large mesure, à
reproduire la face humaine, et disons tout de
suite que François est l'auteur du buste de
M. Emile de Laveleye qui est à Gand et de ce
beau marbre figurant Mercator, si finement
travaillé et que l'on a vu à l'Exposition histo-
rique.
François Van Havermaet qui a aujourd'hui
la quarantaine, vit modestement dans une pe-
tite ville des Flandres. Son existence obscure
et laborieuse est vraiment la sanctification du
travail. Elève de l'Académie d'Anvers où il a
remporté des succès, il s'est confiné, lors de sa
jeunesse, dans un misérable atelier où l'en-
thousiasme et la foi dans son art tenaient lieu
de beaucoup de choses. Le pauvre artiste peu
soucieux des intérêts matériels, ne se préoc-
cupait nullement du nécessaire et,les yeux fixés
sur l'idéal qui le fascinait,vivait au jour le jour,
ne sentant même pas que l'hiver l'onglée lui
faisait parfois tomber l'ébauchoir des doigts.
Bref on finit par comprendre qu'il fallait le
pousser et au bout d'un certain temps il fit
des statues religieuses, des ornements, des
médaillons, des travaux de tout genre où per-
çait un incontestable talent de modeleur. Puis
il fit de la sculpture ornementale pour les mo-
numents de sa ville nata'e, puis un beau buste
en bronze de Philippe Verheyen, ce second
Vésale flamand, puis son talent émergea d'une
fort belle statue de Mercator de trois mètres
de haut qu'il fit pour la place de Rupelmonde,
puis les commandes lui vinrent en foule et de
plus en plus l'attention se porta sur ses tra-
vaux. C'est alors que se manifesta chez lui une
merveilleuse facilité à ébaucher dans l'argile
les traits de la face humaine. Rien d'extraor-
dinaire comme la flexibilité de son ébauchoir
si ce n'est le souvenir qu'il conserve des traits
d'une personne à peine entrevue. Une courte
anecdote démontrera péremptoirementl'exacti-
tudede ce fait. Une personne vint le voir pour
lui demander quel jour elle pourrait se pré-
senter pour poser : elle désirait un buste gran-
deur nature. L'artiste fixa le jour, le lendemain.
A l'heure dite la personne se présenta... le
buste était fait! — Van Havermaet est devenu
le bustier à la mode. Parmi ses plus beaux
citons après Mercator celui du jardinier confé-
rencier De Beucker, ceux de M. le Baron P. de
M., S. de M B.-V, du juge J. de M. S.-W, de
M. H. R., de Ws V; V.-R. et surtout un déli-
cieux buste de jeune garçon (M. E. P.) tenant
un chien dans ses bras. Nous pourrions placer
ici tout l'alphabet; bornons-nous, comme nous
l'avons fait, en ajoutant toutefois à cette courte
nomenclature le buste du regretté Jean Swerts
fait pour le musée des académiciens d'Anvers.
Tous ceux qui ont connu la fière allure de tête
qui caractérisait Swerts la retrouveront dans
le marbre de Van Havermaet ainsi que l'aspect
de cette verve entraînante qui l'animait quand
les questions d'art formaient l'objet de ses dis-
cours. L'aptitude de Van Havermaet à saisir
la ressemblance et à joindre à celle-ci la res-
semblance morale, est une prérogative vérita-
blement géniale que nous n'avons nulle part
rencontrée aussi développée que chez lui. En
outre, les bustes qu'il est appelé à faire de
personnes mortes ont un cachet de vie presque
terrifiant. Cette puissance de résurrection,
peut-on dire, est une sorte de don précieux
en ce qu'il rend aux familles un souvenir aussi
complet que possible des êtres aimés qu'elles
ont perdus. Ajoutons que ses bustes ont sur-
tout un cachet très-artistique quand ils sont
tenus en terre cuite et qu'ils ont pu conserver
la trace palpitante de l'ébauchoir du maître. Le
plâtre par le mat sourd et épais de la matière
tue l'expression des yeux et le mouvement des
chairs, or, c'est là, si je ne me trompe, la ca-
ractéristique de notre excellent artiste qui,
avec un tact où on le retrouve tout entier,s'ob-
œuvres estimables, mais elles n'ont joui que
d'un succès éphémère. Je ne parlerai pas de
ses portraits parmi lesquels il y eu a de très
remarquables surtout sous le rapport de la
distinction.
Van Lerius n'a jamais eu l'esprit inventif et
les grands sujets par cela même n'étaient pas
son affaire. Son Triomphe de la vertu a été pour
lui une occasion de peindre une jeune fillenue,
car aucune émotion ne résulte de l'acte par
lequel cette vertu se sauve en poignardant un
beau garçon, ma foi, qui ne méritait peut-être
pas un accueil si cruellement farouche. Le
geste est très beau, la jeune fille est supérieu-
rement colorée, sa tête fière et frémissante de
colère est d'un beau galbe; le jeune homme
est bien frappé et le tableau est un brillant
échantillon de la palette du peintre. Lady
Godiva est traitée avec une excessive délica-
tesse et l'auteur s'est adroitement tiré d'un
sujet plus difficile qu'on ne le pense. Les ex-
trémités des mains, des jambes, les attaches,
les chevilles, toute la dame enfin qui n'a pour
voile qu'une partie de sa merveilleuse cheve-
lure, est toute d'une admirable venue. C'est
peint moins grassement qne le Triomphe de la
vertu qui, sous ce rapport, lui est supérieur,
mais il n'a pas le charme délicat de cette
comtesse écossaise prête à exécuter l'étrange
arrêt auquel elle est condamnée. Le portrait
en pied d'Erasme que Van Lerius a exécuté
en quelques heures est peut-être celle de ses
œuvres la mieux réussie. Il a aussi peint
une Femme qui se jette par la fenêtre qui n'a
pas les mérites de Lady Godiva ni du Triomphe.
La caractéristique de ce peintre quia donné
tout ce qu'il pouvait donner,est celle-ci : colo-
ris frais et brillant, dessin très élégant et dé-
lié, invention faible. Joseph Van Lerius comme
beaucoup de ses collègues, a dédaigné les
bienfaits de l'étude littéraire et il s'est trouvé
à court d'imagination quand il a voulu donner
essor à la vistragica qui se^mouvait en lui.
Avec quelques souvenirs littéraires il se serait
trouvé au niveau des besoins de son âme,
mais accablé par le vide il s'est livré tout en-
tier au modèle; c'est ce qui l'a empêché de
toucher aux sommets.
(A suivre).
LE SALON DE GAND.
(Suite).
Il ne faudrait pas offrir le beau talent de
Madame Collart comme exemple à suivre à
nos paysagistes parce que pour nous il y a là
beaucoup plus de travail que de réelle inspi-
ration, mais nos impressionistes pourraient y
trouver la preuve qu'une impression immédia-
tement saisie n'est pas toujours suffisante. La
nature n'a pas cette apparence d'improvisation
dans la matière, elle témoigne au contraire
jusque dans les pl;îs petits détails du temps
qu'elle met à ses créations. C'est ce que la
plupart de nos paysagistes ne s'attachent pas
à faire sentir. Boulanger était arrivé en cela à
un degré de force qui était peut-être la véri-
table mesure. Mad. Collart la dépasse. Beau-
coup restent en dessous sous prétexte de
virtuosité. Tels sont Heymans, Fontaine, Ha-
gemans, Hannon, Delcroix, les Dandoy, Arden,
Dekeyscr, Binjé, H. de Cock, Crehay, Cour-
tens, Boogaerts, Mathaeï, Keymeulen, Baron,
Le Pas, Janssens, Hoorickx, Lechien, Mar-
cette, fous hommes de.talent, parfois de grand
talent, et ayant chacun un caractère particu-
lier dans leur manière de sentir, mais qui ont
pour le modelé une souveraine répugnance à
l'exception de quelques-uns chez lesquels on
sent le repentir et la réflexion.
Madame Delsalle, dont le talent se fortifie,
semble chercher une technique qui la con-
duira au système si elle n'y prend garde. Il est
beau d'avoir une large manière, mais il ne faut
pas que la forme fasse négliger le fond. Ma-
dame Bolin-Jacquemyns a des aptitudes abso-
lument contraires : ce qui la préoccupe avant
tout c'est l'air, la lumière. Cela viendra comme
ça pourra, mais il faut que cela vienne et ça
y est. Un tout jeune homme, M. Wauters,
s'annonce comme observateur et naturaliste.
M. Marinus, le maitrc de Rindermans, de Rof-
fiaen et de Quinaux, reste toujours debout
avec sa palette expérimentée et ses pinceaux
fidèles. Artiste curieux! qui, superbe dans les
grandes peintures décoratives dont il a illustré
les châteaux somptueux de la province de
Namur, se transforme dans les petites toiles où
le désir de trop accentuer ses effets jette de
temps en temps un peu de lourdeur. Il est a
regretter pour le nom et la gloire de cet excel-
lent artiste qu'il n'ait pu exposer quelques-
unes de ces immenses vues des Ardennes où il
est vraiment d'une supériorité incontestable.
M. De Biseau qui s'est fait une spécialité des
scènes d'hiver nous montre dans sa Scierie de
Luxembourg de grandes qualités d'observa-
tion et un sentiment d'exactitude qui donne à
son œuvre un attrait particulier; Cet artiste
gagne énormément de terrain.
M. Stroobant que ses fonctions si dévouées
de Directeur de l'école de Molenbeek n'em-
pêchent pas de produire des intérieurs de ville
sur lesquels tout a été dit, ne laisse jamais
passer une exposition sans y faire preuve de
cette vitalité qui le caractérise. Il semble
même que le dicton : acquerit eundo lui soit plus
applicable qu'à un autre, car je tiens que sa
manière gagne en lumière et en légèreté à
mesure que sa carrière se déroule. Le tableau
de Gand est une preuve nouvelle de ce que
nous avançons. M. J. Carabain qui pratique
le même genre y met plus de débraillé. La
lumière ne joue pas mal dans les pignons
désordonnés de ses tableaux, mais il y a au
milieu de tout cela un lâché parfois sujet à
confusion. Un peu plus de fermeté dans les
dessins ne nuirait en rien à ce talent agréable.
M. Vervloet est aussi un praticien habile, fidèle
à nos expositions ainsi qu'à celles de l'étran-
ger où je remarque avec plaisir que ces ta-
bleaux sont recherchés et se vendent avec un
succès continu ainsi que le constatent les bul-
letins officiels. Son tableau du Salon de Gand
est peut-être un de cenx où il a le mieux dé-
ployé ses solides qualités de brosse.
Je m'aperçois que si j'avais à parler de beau-
coup de jeunes débutants je n'en finirais pas.
Je préfère donc attendre que chacun d'eux se
révèle par quelque coup de maître. J'ai dit plus
haut les motifs pour lesquels on ne devait
point se montrer trop rigoureux vis-à -vis de la
critique qui débordée comme elle l'est ne peut
suffire à tout.
Promenons-nous quelque peu parmi nos
sculpteurs belges ; il en est un qui nous a
frappé par les extraordinaires facultés qu'il
possède dans la spécialité des bustes, c'est
François Van Havermaet, le frère de l'éminent
portraitiste Pierre. Ne nous arrêtons pas à
eette singulière coïncidence des deux frères,
aptes tous deux, dans une si large mesure, à
reproduire la face humaine, et disons tout de
suite que François est l'auteur du buste de
M. Emile de Laveleye qui est à Gand et de ce
beau marbre figurant Mercator, si finement
travaillé et que l'on a vu à l'Exposition histo-
rique.
François Van Havermaet qui a aujourd'hui
la quarantaine, vit modestement dans une pe-
tite ville des Flandres. Son existence obscure
et laborieuse est vraiment la sanctification du
travail. Elève de l'Académie d'Anvers où il a
remporté des succès, il s'est confiné, lors de sa
jeunesse, dans un misérable atelier où l'en-
thousiasme et la foi dans son art tenaient lieu
de beaucoup de choses. Le pauvre artiste peu
soucieux des intérêts matériels, ne se préoc-
cupait nullement du nécessaire et,les yeux fixés
sur l'idéal qui le fascinait,vivait au jour le jour,
ne sentant même pas que l'hiver l'onglée lui
faisait parfois tomber l'ébauchoir des doigts.
Bref on finit par comprendre qu'il fallait le
pousser et au bout d'un certain temps il fit
des statues religieuses, des ornements, des
médaillons, des travaux de tout genre où per-
çait un incontestable talent de modeleur. Puis
il fit de la sculpture ornementale pour les mo-
numents de sa ville nata'e, puis un beau buste
en bronze de Philippe Verheyen, ce second
Vésale flamand, puis son talent émergea d'une
fort belle statue de Mercator de trois mètres
de haut qu'il fit pour la place de Rupelmonde,
puis les commandes lui vinrent en foule et de
plus en plus l'attention se porta sur ses tra-
vaux. C'est alors que se manifesta chez lui une
merveilleuse facilité à ébaucher dans l'argile
les traits de la face humaine. Rien d'extraor-
dinaire comme la flexibilité de son ébauchoir
si ce n'est le souvenir qu'il conserve des traits
d'une personne à peine entrevue. Une courte
anecdote démontrera péremptoirementl'exacti-
tudede ce fait. Une personne vint le voir pour
lui demander quel jour elle pourrait se pré-
senter pour poser : elle désirait un buste gran-
deur nature. L'artiste fixa le jour, le lendemain.
A l'heure dite la personne se présenta... le
buste était fait! — Van Havermaet est devenu
le bustier à la mode. Parmi ses plus beaux
citons après Mercator celui du jardinier confé-
rencier De Beucker, ceux de M. le Baron P. de
M., S. de M B.-V, du juge J. de M. S.-W, de
M. H. R., de Ws V; V.-R. et surtout un déli-
cieux buste de jeune garçon (M. E. P.) tenant
un chien dans ses bras. Nous pourrions placer
ici tout l'alphabet; bornons-nous, comme nous
l'avons fait, en ajoutant toutefois à cette courte
nomenclature le buste du regretté Jean Swerts
fait pour le musée des académiciens d'Anvers.
Tous ceux qui ont connu la fière allure de tête
qui caractérisait Swerts la retrouveront dans
le marbre de Van Havermaet ainsi que l'aspect
de cette verve entraînante qui l'animait quand
les questions d'art formaient l'objet de ses dis-
cours. L'aptitude de Van Havermaet à saisir
la ressemblance et à joindre à celle-ci la res-
semblance morale, est une prérogative vérita-
blement géniale que nous n'avons nulle part
rencontrée aussi développée que chez lui. En
outre, les bustes qu'il est appelé à faire de
personnes mortes ont un cachet de vie presque
terrifiant. Cette puissance de résurrection,
peut-on dire, est une sorte de don précieux
en ce qu'il rend aux familles un souvenir aussi
complet que possible des êtres aimés qu'elles
ont perdus. Ajoutons que ses bustes ont sur-
tout un cachet très-artistique quand ils sont
tenus en terre cuite et qu'ils ont pu conserver
la trace palpitante de l'ébauchoir du maître. Le
plâtre par le mat sourd et épais de la matière
tue l'expression des yeux et le mouvement des
chairs, or, c'est là, si je ne me trompe, la ca-
ractéristique de notre excellent artiste qui,
avec un tact où on le retrouve tout entier,s'ob-