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N° 1.

15 Janvier 1882.

Vingt-quatrième Année.

JOURNAL DES BEAUX-ARTS

ET DE LA LITTÉRATURE. i

DIRECTEUR: M. Ad. SIRET. paraissant deux fois par mois. ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE

membre de l'académie roy. de belgique, etc. PRIX PAR AN : BELGIQUE : 9 FRANCS. a s'-nicolas (Belgique).

étranger : 12 fr.

SOMMAIRE : Littérature. Les œuvres d'Octave
Pirmez. Remo. — Numa Roumestan. — Beaux-
Arts. L'exposition de l'Essor. — Les expositions
particulières. — Exposition au Cercle artistique.
— Procès Van Beers contre Solvay. —■ Catalo-
gues illustrés. — Chronique générale. — Cabinet
de la curiosité. — Annonces.

Littérature.

LES ŒUVRES D'OCTAVE PIRMEZ.
REMO. — Souvenir d'un frère.
Ce n'est pas sans intention que nous avons
différé de parler du nouveau livre de
M. Octave Pirmez intitulé : REMO. Souve-
nir d'un frère. Il nous convenait d'attendre
le jugement des autres pour les raisons que
voici :

Il y a quelques années le hasard nous fit
tomber sous la main les Jours de solitude du
même auteur. Ce livre attendri nous émut
jusqu'aux larmes. Il s'y jouait comme une
musique surhumaine qui tentait l'âme et
celle-ci, s'élevant au diapason de celle de l'é-
crivain, entrevoyait et goûtait des choses qui
ne sont ni de ce monde, ni de ce siècle. Ja-
mais nous n'avions éprouvé de secousses si
soudaines, ni senti de si douces joies en même
temps que de si étranges consolations. L'au-
teur, en exprimant ses sensations, le faisait
avec une noblesse si grande et si triste, une
vérité et une pénétration si exacte et si raffi-
née, il parlait de la nature avec un respect
si tendre, si soumis et pourtant avec une
sorte de curiosité si croyante, qu'il s'intro-
duisait tout entier et sans effort dans l'intel-
ligence de son lecteur. Il avait sur l'huma-
nité des vues qui ressemblaient à des éclairs
et il en montrait les faces diverses comme
jamais on ne l'avait fait jusqu'ici. Une sorte
d'onctuosité native enveloppait sa parole et
chaque fois que son verbe un peu haut dé-
nonçait une plaie, il y versait en même temps
une larme comme s'il avait espéré qu'elle
eût été un baume.

Ce livre inattendu et saisissant avait sur-
tout un côté tout spécialement séducteur
en ce qu'il parlait d'art non comme un
esthéticien qui descend des causes aux ef-
fets, mais comme un naïf sublime qui s'élève
par la seule puissance de son admiration aux
solutions les plus naturelles. Cette façon
primesautière d'envisager et de juger les

œuvres du génie était si en dehors des habi-
tudes routinières de nos philosophes et de
nos critiques, elle avait une allure si sou-
daine, si logique, si certaine de son but, que
ceux que ne possède point la manie de ne
rien voir de mieux qu'eux, furent troublés de
voir tant de simplicité résoudre tant de pro-
blèmes difficiles. A une époque où le génie
est tellement discuté que la critique se sub-
stitue par son importance à l'œuvre elle-
même, à un époque où, sous prétexte de re-
chercher la vérité en tout, on se brise aux
mensonges les plus audacieux, le procédé ou
plutôt le mode employé par Pirmez pour
exposer la genèse du génie dans l'art fut une
véritable révélation. Volontiers, l'armée de
plus en plus nombreuse de ceux qui préten-
dent servir la cause de l'art, eût suivi l'au-
teur dans sa voie, mais c'eut été abdiquer en
faveur d'un maître qui créait un système et
l'on sait qu'en ce siècle de nivellement on
a horreur de tout ce qui dépasse le niveau
égalitaire.

En dehors de la question d'art qui, il faut
le dire, n'occupe que la moindre partie du'
livre, mais qui s'impose par sa limpide et
magnifique concision, les Jours de solitude
étaient remplis d'une implacable tristesse.
Pour les uns, c'était un défaut ; pour les
autres, un charme. Ceux qui avaient lu
par bribes et morceaux exaltèrent la faute;
ceux qui, plus raisonnables, étaient partis
avec l'auteur et dans les dispositions de son
esprit, ceux-là comprirent tout ce qu'il y
avait de suivi dans la mélancolie de l'écrivain
et loin de lui en faire un reproche, savourè-
rent avec volupté ce récit du solitaire affamé
de nature, tourmenté de curiosité, brûlé de
désirs, et s'arrêtant par moments comme
effrayé de ses découvertes sur l'humanité
souffrante.D'après lui,un peu d'amour aurait
transformé tout cela : « Aimez-vous les uns
les autres, » mais bien entendu dans la doc-
trine pure établie par l'éternel auteur, de la
maxime et sa mise en œuvre,et non pas dans
la formule banale que les réticences sociales
y ont apportée.

Aux Jours de solitude succédèrent les
Heures de philosophie. Ici l'esprit a plus
d'ampleur. Ce n'est plus un récit entrecoupé
de méditations, c'est une succession de pro-
fonds examens de conscience philosophique.
Qu'on ne s'imagine pas un traité en règle

avec ses exigences syntaxiques et rhétori-
ciennes; non, ce sont des Heures, n'importe
lesquelles, qui tombent goutte à goutte sur
une âme endolorie et d'une nervosité de
sensitive. Un oiseau qui passe, une herbe
qui se rouille, une feuille qui tombe, une
eau qui court, un rien, un atome, pourvu
que ce rien jette le cri de la création, et voilà
notre philosophe en extase, s'élevant dans sa
pensée à des hauteurs où on le suit avec an-
xiété, redescendant vers la plaine où l'on
marche avec lui sans difficulté, auscultant la
vie, cherchant la raison des choses, des sen-
timents , des grandeurs, des petitesses et
aboutissant toujours à Dieu avec un enthou-
siasme satisfait, glorieux et glorifiant ; tout
cela dans un langage d'une harmonie chaude
et vibrante à elle seule comme toute une
forêt secouée par de grandes brises.

Ces Heures ont des minutes qui vous font
penser à Y Imitation, à Marc-Aurèle, au Dante,
à Pascal; les âmes de ce monde là vivent
dans l'âme de l'écrivain avec une tendresse
triste qu'on pourrait croire maladive si l'on
restait à la superficie, mais on a bien vite pé-
nétré ce foyer d'affection qui brûle à l'inten-
tion de tous et particulièrement des plus
mauvais quoiqu'à vrai dire il y ait dans le
cœur de ce philosophe une si infinie bonté
qu'on serait tenté de croire qu'il ignore
l'existence du mal. Ne serait-ce point de
lui-même qu'il a pu dire : « Chez les pen-
seurs les plus sincères toute la philosophie
peut se fondre en larmes quand le cœur est
profondément blessé. »

Ces deux ouvrages avaient été précédés
d'un autre : Les /étrillées, sortes de maximes
et de pensées jetées sans ordre et qui n'eurent
au début (1870) qu'un succès aussi modeste
qu'il est devenu retentissant aujourd'hui.
Comme toujours, en Belgique, Octave Pirmez
était peu connu ; comme toujours encore, la
conspiration du silence et de l'envie se fit
contre lui. La presse à laquelle Pirmez avait
cependant envoyé des exemplaires de ses li-
vres, restait muette. L'auteur de ces lignes
rencontra par hasard, comme nous l'avons
dit plus haut, les Jours et les Heures;
il les lut et ne put en croire ses yeux et son
cœur. Pour lui un homme avait surgi qui
allait faire à notre littérature une place noble
et grande. Il essaya de parler de ces livres et
son essai parut avoir assez de valeur aux yeux
 
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