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N° 15

15 Août 1882.

Vingt-quatrième Année.

JOURNAL DES BEAUX ARTS

ET DE LA LITTÉRATURE.

DIRECTEUR : M. Ad. SIRET. paraissant deux fois par mois. ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE

membre de l'académie roy. de Belgique, etc. PRIX PAR AN : BELGIQUE : 9 FRANCS A st-NrcoLAS (Belgique).

_ étranger : 12 fr.

SOMMAIRE : Littérature. Caldéron ; les Cyclopes.
—Beaux-Arts : Beaux-Arts et Industries artisti-
ques à Bruxelles 1758-61. — Terry. — Paris à
travers les âges. — Bibliographie.— Nécrologie.

— Chronique générale. — Cabinet de la curiosité.

— Annonces.

Littérature.

A CALDÉRON.

LES CYCLOPES.
I.

Non, ils ne sont pas morts, les cyclopes d'Homère,
Sur les sommets sacrés, — et la vie éphémère
Est comme un océan qui passe au dessous d'eux !
Ils sont restés bergers comme aux temps fabuleux;
Mais maintenant, le front nimbé d'une aube en flammes,
Ce qu'ils mènent là haut.ce sont des troupeaux d'âmes.
Chaque fois que l'un d'eux, emplissant l'horizon,
Surgit sur quelque cîme, un immense frisson
Agite en bas la foule, et l'on entend sur elle
L'orage de leur voix en rumeur éternelle.

Sur l'Olympe, à jamais désert, silencieux,
Et qui jadis portait, dans la gloire des cieux,
Son cercle d'Immortels ainsi qu'un diadème,
Ecoutant une voix qui lui parle en lui même,
Seul, un de ces géants, dans une clarté d'or,
Comme un reste des dieux est là, debout encor,
— Et la Grèce, à ses pieds, crie aux siècles : Eschyle !
Tandis que dans son rêve il se dresse, immobile,
Autour de lui, — troupeau terrible et surhumain, —
L'immense Prométhée, où fouille un bec d'airain,
Meurt éternellement, et les blêmes Furies
A faces de serpents tordent leurs chairs meurtries,
Et courent, secouant leurs torches au plein jour.

Plus loin, sur Béatrice appuyant son amour,
Suivi parles damnés en troupeaux lamentables,
Un autre géant grave aux portes implacables :
En entrant, plus d'espoir! Sous un rouge soleil,
Comme vêtu d'enfer en son camail vermeil,
Il s'éloigne, et sans cesse, à travers l'onde ardente,
Florence à l'horizon regarde passer Dante !

Plus loin encor, là bas, dans l'embrun de la mer,

Et comme elle sauvage, infini, sombre, amer,

Colosse effaçant tout d'ombres démesurées,

Le vieux Will apparaît sur les hauteurs sacrées,

Et chasse devant lui son tragique troupeau.

C'est Juliette en pleurs qui montre à Roméo

L'aube écartant la nuit comme un rideau d'alcôve,-

C'est Othello, lâchant en lui son àme fauve,

Qui dit à Desdémone : As-tu prié ce soir?

C'est Macbeth qui regarde, au dessous du vol noir

Des sorcières, le bois de Birnam qui s'avance ;

Le vieux Lear écoutant, à travers sa démence,

Une voix murmurer : Je suis Cordélia !

Et, sur son lit de fleurs, la pâle Ophélia

Qui chante sa romance et flotte au fil de l'onde...

Et tous, Eschyle, Dante et Shakespeare, —et ce monde
Qu'ils vont menant là haut, Bergers prodigieux;
Et, vagues, tout au fond et presque dans les cieux,
Les colosses pasteurs des Eddas et des Bibles ;
Puis, plus près, s'étageant aux lieux inaccessibles,
Tout le peuple géant, Tasse, Klopstock, Milton,
Corneille, Camoëns, Vondel, Goethe, Byron,
Tous, par dessus les temps, debout sur leur montagne,
Font cercle à l'horizon et regardent l'Espagne.

II.

Qui donc sur la sierra, toute rousse au soleil,
Se dresse, noircissant le fond du ciel vermeil,
Et contemple à ses pieds, du haut de cette cîme,
L'humanité petite et comme en un abîme?
Qui donc a pris ce mont ainsi pour piédestal,
Si haut qu'il y paraît debout dans l'Idéal?
Et c'est toi, Caldéron ! et c'est toi, fier Cyclope,
Que sur les purs sommets la lumière enveloppe.

Tu fus avant de naître en proie à la douleur (1) !
Ta mère, dans son sein, — et si près de son cœur !
T'entendit par trois fois gémir : était-ce l'âme
Brûlant déjà ta chair en allumant sa flamme?
Pleurais-tu déjà d'être homme, et, rebelle au sort,
Sans connaître la vie appelais-tu la mort?
Ou bien est-ce le Cid ou Colomb qui te raille,
Géant, de ne pas être à hauteur de leur taille?

Oh non ! tel que le Cid, — dontl'épée aux feux clairs,
En tournoyant sur lui, fait un cercle d'éclairs,
Couronnant son cimier comme d'une auréole, —
Ton âme contenait toute l'âme espagnole !
Toute grandeur était petite près de toi :
Ta stature effaçait dans son ombre le roi,
Et, tel que Cid proscrit, que sa gloire accompagne,
C'était toi qu'on voyait en regardant l'Espagne!

Tu pouvais contempler Colomb, sans œil amer,
Revenir vers tes bords et sur ta molle mer,
Qui semble, s'allongeant si bleue et si sereine,
Un ciel d'en bas dont l'autre est un reflet à peine :
Car n'apportais-tu pas aussi, sur tes sommets,
Un monde à ton pays qu'il ne perdrait jamais.
Et ce monde nouveau, Poète, tu le crées ;
Il marche devant toi sur les hauteurs sacrées
Et t'entoure, ô Cyclope, ainsi que ton troupeau :

Voici qu'au noble Alvar le paysan Crespo (2)
Redemande l'honneur de sa fille séduite :
Père, il tombe à genoux; juge, il se lève ensuite,
Et, mesurant sa taille à la hauteur du cœur,
Se fait égal au roi pour venger son honneur.
Plus loin, le Galant erre, épiant le passage
De sa Dame, et glissant à la Duègne un message;
La Suivante s'attarde avec le Gracieux;
Partout on reconnaît, dévot à ses aïeux
Ainsi qu'à son épée, altier, farouche et tendre,
L'Espagnol qui revient d'Italie ou de Flandre.

(1) La légende raconte qu'avant la naissance du
poète, on l'entendit gémir à trois reprises différentes
dans le sein maternel.

(2) El alcalde de Zalamea.

— Cet esclave (1) en haillons, sur sa natte étendu,
Qui, l'œil déjà dans l'ombre éternelle perdu,
Demande à se tourner vers le soleil encore,
C'est l'infant don Fernand, l'otage du roi More,
Qui voulût bien donner sa vie, — et non Ceuta.

— Celui-ci, c'est Perez le bandit (2) Il lutta,
Dans sa montagne brute âme brute échappée,
Et son poignard avait des vaillances d'épée.

— Là, c'est Eusebio (3), c'est l'assassin pieux,

Fou sanglant de la Croix, qui, pour entrer aux cieux,
Mort, se relève et va se confesser au prêtre.

— Là, c'est don Lope(4). Seul, il sait sa femme traître,
Il veut le châtiment comme l'affront, - discret,

Et la tue en secret pour l'outrage secret.

— Cet autre, Turani (5), vengea sa bien aimée,
Qu'avait tuée un reître : à travers une armée,
Il chercha le soudard ; et. l'ayant découvert,

Le poignarda. — Ce roi (6), dont le front est couvert
De longs rubis de sang larmant de sa couronne,
C'est Henri VIII, qui fait mettre au pied de son trône,
En guise de coussin, le tronc décapité
D'Anne Boleyn. —■ Voici, sinistre majesté (7)
Don Pèdre, dont un vol de corbeaux suit la trace,
Châtiant sur un seul les crimes d'une race;

— Et là, (8), le vieux Gutierre, écoutant dans son sein
Crier l'honneur blessé, s'en fait le médecin,

Et, voulant dans le sang laver la plaie infâme
Fait ouvrir sur le lit les veines à sa femme.

Et voici que soudain ta voix, ô Caldéron,
Courant comme un appel immense de clairon,
Déchire le silence étendu sur l'espace.

—«Shakespeare, Dante, Eschyle, et vous, toute la race

Surhumaine! Titans sur les hauts lieux épars,

Que la foule, atteignant à peine des regards,

N'a mesuré d'en bas que par votre ombre à terre!

Colosses qui là haut, dans le calme mystère

Des cîmes, écoutez à vos pieds, tout au fond,

Les rires, les sanglots faire un soupir profond,

Par dessus ce qui vit, vous vivez ! Et nous sommes,

Sur les sommets sacrés, les géants pasteurs d'hommes.

Debout dans mes troupeaux, du haut de l'horizon.

Je secoue et répands ainsi que leur toison,

Qui sur la foule en bas s'éparpille et s'envole,

L'amour, la foi, l'honneur, toute l'âme espagnole!

Le soir, quand, vers les monts inclinant son essor,
Sur nos fronts le soleil tombe en couronne d'or,
Et, qu'au fond des clartés au loin diminuées,
Il nous vêt du manteau de pourpre des nuées,
Nous avons aussi notre étoile du berger,
Que nous ne voyons pas disparaître ou bouger !
Nuit et jour, nous marchons, épris de sa caresse,
Dans son mystérieux éveil d'astre, — et sans cesse
Elle répand sur nous une douceur d'amour.

(1) El principe constante.

(2) Luis Pere% el Gallego.

(3) La devocion à la cru%.

(4) A secreto agravio sécréta vengan^a.
(c;) Amar despues de la muerte.

(0) La cisma en Inglaterra.

(7) Las très justicias en una,

(8) El medico de su honra.
 
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