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31 Janvier 1882. Vingt-quatrième Année.

JOURNAL DES BEAUX-ARTS

ET DE LA LITTÉRATURE. f?"'h M®

DIRECTEUR: M. Ad. SIRET.

MEMBRE Dt l'aCADEMIE ROY. DE BELGIQUE, ETC.

SOMMAIRE. Littérature : Les œuvres de Pirmoz,
Rémo. — MM. de Concourt. — Beaux-Arts :
Les beaux-arts à Lille; Les morts récents. —
Expositions. — Chronique générale. — Cabinet
de la curiosiié. Annonces.

Littérature.

LES ŒUVRES D'OCTAVE PIRMEZ.
RÉMO. — Souvenir d'un frère.
(Suite et fin).

Rémo appartient à cette famille de grands
malades qui s'appellent René', Werther et
Oberman et dont il ne faut pas médire at-
tendu que ce sont ces sortes de désespérés
qui, comme le remarque Georges Sand, don-
nent la clef des cataclysmes sociaux dont
l'humanité est ébranlée à certains moments.
René, c'est un peu la fatuité de la désolation
geignante et posante; c'est toute une race
d'ennuyés intelligents, Antinous mièvres et
mous, incapables d'actions vraiment viriles ;
Werther, c'est le fatalisme dans l'amour, autre
maladie d'une époque qui quintescenciait le
sentiment dans les rapports entre les sexes et
qui a donné naissance à une littérature dont
les ravages ont été incalculables ; Oberman,
ce fruit sec social, ce raisonneur toujours à
côté de la question et qui, impuissant à agir
se réfugie dans les magnificences de ses sté-
riles justifications. Cette trilogie, absolument
moderne, renferme bien certainement le
germe de la situation faite à notre société
pensante et c'est Rémo qui en est, en quel-
que sorte, le produit comme on va le voir.

L'affaiblissement des convictions philoso-
phiques, voire même leur disparition mo-
mentanée, n'est-elle point le résultat de cette
triple désespérance de la société, de l'amour
et de l'homme ? Ne voit-on pas que ce sont
là les sources du mal qui ronge actuellement
notre milieu civilisé ? Où est la foi dans l'ac-
tion spontanée de l'homme ? Où est la pondé-
ration dans l'amour ? Où sont la générosité et
le sacrifice libres ? Rémo nous répondra,
écoutez cette dolente et douloureuse apos-
trophe tout imprégnée de larmes :

« Vous tous qui m'accusez d'être emporté , opiniâ-
tre, exclusif, intolérant, vous ai-je jamais combattu
avec aigreur? Ai-je dédaigné de vous écouter pour me
convertir à vos raisons? Ne vous ai-je pas plutôt envié
vos croyances? Me ferez-vous un crime de ma sincé-
rité? La connaissez-vous, cette force inconnue qui
remue les sphères? Comme moi, ne vivez-vous pas

paraissant deux fois par mois.

PRIX PAR AN : BELGIQUE : 9 FRANCS.

étranger : 12 fr.

sur la terre des contradictions, et l'esprit des morts
vous aurait-il parlé, que vous montrez tant d'assu-
rance? Vous espérez, vous affirmez votre éternelle
durée, quand, raisonnant par analogie, j'appréhende
ma destruction. Ce n'est point moi qui suis le pré-
somptueux et l'exclusif. Qu'il est grossier de penser
qu'on serait insensé et méchant parce qu'on serait
déiste ou sceptique devant un ténébreux avenir, et que
l'on deviendrait criminel si l'on ne redoutait le feu
éternel! Ne suis-je pas homme avant d'être savant, et
ravalerai-je la nature humaine au point de croire
qu'elle n'agit, de même que l'enfance, que par espoir
de récompense ou par frayeur du châtiment? Ne
puis-je aimer les hommes dans leur existence éphé-
mère, et ma compassion sera d'autant plus grande si
le tort qui leur est fait devient irréparable ; je me hâ-
terai d'agir pour eux si je me défie de la vertu de la
prière Me maudirez-vous parce que mon amour, je
l'aurai légué tout entier aux générations vivantes en
l'enfermant dans les bornes de ce monde visible? Me
lapiderez-vous parce que, ayant cherché je n'aurai pas
trouvé? »

Ce passage où Rémo livre son âme est
significatif. Il nous dépeint ce jeune infortuné
dont la vie ardente se consume à chercher
ce qui pourrait rendre l'homme heureux. Ne
vous semble-t-il pas dans cette voix gémis-
sante entendre le râle philosophique de notre
siècle qui jette sa foi aux orties et se préci-
pite tête baissée dans le fatalisme du fait
accompli, trop faible pour remonter la voie
et refouler les ennemis de l'humanité souf-
frante, trop abandonné même pour renaître
à l'espérance! Ah oui, Rémo est le type ef-
frayant et superbe de vérité d'une société qui
sombre, et lui il est le dernier naufragé qui
disparaît en jetant à la mer furieuse son cri
de douleur, d'impuissance et d'amour.

Ce livre n'est pas une biographie quoiqu'en
dise M. Pirmez, c'est l'étude d'un caractère,
étude si profondément creusée que son héros
aimé se dresse aux yeux du lecteur dans
une accentuation de formes fascinantes et
troublantes. Il nous fait assister à l'éducation
première de Rémo, éducation toute de senti-
ment; le jeune universitaire, déjà travaillé
par des idées chaleureuses pour l'homme
souffrant, surtout pour les humbles, se met
à voyager. Son imagination s'échauffe aux
grands souvenirs des lieux parcourus, mais
elle souffre de son impuissance à percer le
mystère des beautés de la nature. Du ciel
cette souffrance qui n'était d'abord qu'une
légitime curiosité de philosophe, descend sur
la terre ; il regarde, analyse, s'irrite, doute...
et le voilà exposant le fond de son âme à ce

ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE

a s^nicolas (belgique).

cher frère qui essaie de réagir sans beaucoup
de succès. Rémo revient ; le calme le re-
mettra, l'étude de la philosophie naturelle à
laquelle son frère se livre dans le recueille-
ment et le silence, rafraîchira son âme ; on
lui bâtit un chalet près d'un bois, il y ap-
porte quelques livres, il lit peu, ses pensées
s'agitent en lui tumultueusement; le frère
s'en aperçoit, vite il organise une série d'exer-
cices plus ou moins violents qui seront la
soupape de ce corps bouillant; deux amis du
voisinage viennent au chalet, braves gens,
causeurs fidèles,esprits intelligents et droits...
Un beau jour voilà Rémo parti, recommen-
çant la série de ses voyages ; il va à Paris, il
est un des fondateurs de la Ligue de la
paix; nouvelles luttes, nouvelles correspon-
pances animées avec le frère; la mélancolie
s'accuse plus intense, mais voilà que Rémo
s'est résolu à servir autrement que par des gé-
missements la cause du peuple ; il va rentrer
en Belgique ; il y rentre, il s'établit à Liège,
il y fonde un journal, il est l'ami de Bancel,
de Michelet, de Victor Hugo, de Frédéric
Passy. Son temps se passe à rédiger des
articles d'une brûlante et sauvage énergie
contre les guerres, en faveur des déshérités;
il s'occupe de musique avec une sorte de fré-
nésie souffrante ; un instant il quitte le ter-
rain de la politique pour celui de la science
naturelle ; puis un jour du mois de septembre
il meurt .. il meurt : un revolver éclate dans
ses mains et le voilà renversé dans l'abîme.

Heureusement son frère est là et Rémo,
disparu pour les hommes, revivra dans les
générations futures ; Dieu sait si le bien que
le pauvre mort voulait à l'humanité ne sera
pas réalisé par son trépas avec plus de succès
que par sa vie? Le spectacle d'une société
condensée dans un caractère, n'est-il pas de
nature à éclairer et à instruire plus encore
que des éléments séparés et distants? S'il est
vrai que certaines individualités, résumant à
leur tour de grands vices ou de grands tra-
vers, ont exercé une influence néfaste sur
les mouvements de la société, il est encore
plus vrai de dire que les travaux de certains
philosophes ont servi de phares à l'humanité ?
Rémo , nature exceptionnelle, richement
dotée, idéale, pure, religieuse; Rémo, esprit
vigoureux à l'envergure d'aigle, cœur im-
prégné d'affecàon pour le malheureux;Rémo,
recevant en pleine âme les coups d'un monde
 
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