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[v!o 16. 31 Août 1882. Vingt-quatrième Année.

JOURNAL DES BEAUX-ARTS

ET DE LA LITTÉRATURE.

DIRECTEUR: M. Ad. SIRET. paraissant deux fois par mois. ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE

membre de l'aCADEMIE roy. de BELGIQUE, etc. PRIX PAR AN : BELGIQUE : o, FRANCS. a s»-nicolas (belgique).

étranger : 12 fr.

SOMMAIRE : Beaux-Arts. Lettres sur le salon
d'Anvers. Première, par P. Gervais. Deuxième,
par Ed. Isart. — Correspondance particulière :
Paris. La cause de l'art décoratif en France. —
Archéologie. Un casque de l'âge du bronze. —
Bibliographie. — Chronique générale.—Cabinet
de la curiosité. — Annonces.

Beaux-Arts.

LETTRES
SUR LE SALON D'ANVERS.

PREMIÈRE.

Mon cher ami,

Il y a beaucoup de tableaux de choux à
l'exposition. Il y en a des blancs, il y en a
des verts, il y en a des rouges, des bleus, je
crois même qu'il y a des choux-croûtes. —
Cette débauche de choux serait-elle la mani-
festation d'une école nouvelle qui tendrait à
arborer le légume comme expression de l'art?
(Sans calembourg, je vous le jure sur les
Folies bergères de Manet). Pourquoi pas?
Les impressionistes sont finis; M. Bastien-
Lepage fait long feu ; M. Meunier &st devenu
bien fatiguant avec ses forgerons en rose et ses
charbonniers en bleu; M. Jean Van Beers
cultive les tribunaux; M. Wauters a l'air de
ne plus rien cultiver du tout; M. Verlat re-
pique des portraits ; il n'y a plus rien à faire,
allons planter des choux. Ou bien serait-ce
une fine allusion à la position actuelle des
artistes, lesquels vendant fort peu s'occupent
allégoriquement d'une besogne qui suppose
des rentes. Quoiqu'il en soit, le chou est en
faveur et (je le dis avec une mélancolie d'au-
tant plus profonde que je vais être soupçonné
de faire un mot) plus d'un artiste y échoue.

Il y a, mon cher directeur, plus de philo-
sophie que vous ne pensez dans ce début
amer, car il est positivement amer. De quel-
que côté que je me retourne, je vois des
choses que j'ai déjà vues et sur le compte
desquelles il n'y a plus à revenir, ou bien je
constate une quantité désolante de fours et
de chutes; par ci par là un joli rayon de so-
leil mais si pâle, si pâle, qu'il en a l'air mau-
vais teint.

M'est avis que le grand nombre d'exposi-
tions qui se succèdent dans notre petite Bel-
gique, va amener au sein du public, et avant

peu, un dégoût sérieux des œuvres de pein-
ture. Jugez donc, il y a au salon d'Anvers
des tableaux qui ont été vus déjà à Bruxelles,
à Gand et à Liège. Trop de fleurs, chers
amis, trop de fleurs; prenez-y garde, on finira
par vous prier de rester chez vous. Pour
commencer, ou plutôt pour éviter qu'on en
vienne là, je voudrais conseiller aux jurys
d'admission de ne jamais recevoir d'oeuvre
d'art qui aurait déjà figuré à une exposition
officielle. Sans doute le chiffre des tableaux
serait fort réduit à nos exhibitions, mais où
serait le mal? Le salon d'Anvers actuel est
bondé jusqu'au plafond où, par parenthèse,
je connais plus d'une œuvre de mérite qui
aurait pu figurer à la cimaise en place de
M. D. K. M, et autres majuscules qu'il est
inutile d'accentuer pour le moment. Il y a
même certaines choses qui eussent ménagé
à leurs auteurs des sarcasmes cruels si on leur
avait fermé intelligemment la porte. Je me
suis souvent demandé à quoi sert la liberté
si à côté de celle qui permet il n'y a pas
celle qui défend. Grave question dont la so-
lution, dans les arts, réside peut-être dans
cet aphorisme proudhonien : la liberté, c'est
le mal.

Quand, dans un Salon, on n'a pas grand
chose à voir ou à dire, on peut se borner ou
s'amuser, ce qui est plus juste, à observer le
public. C'est ce que j'ai fait et je vais, mon
cher ami, consigner ici le résultat de ces
observations dont nos chers lecteurs pour-
ront tirer quelque profit. Un Allemand, très
bon juge, très au courant de notre histoire
artistique, vient à moi avec une liasse de
journaux belges à la main. i< Chose inique,
dit-il, et qui montre bien ce qu'est votre
critique d'art ; je viens de lire plusieurs arti-
cles sur le Salon d'Anvers et j'y remarque,
avant tout, la position prise par vos journa-
listes vis-à-vis des anciens, de ceux qui ont
fait à votre vaillant pays une position si bril-
lante et si honorée, des De Keyser, des Ver-
lat , des Slingeneyer, des Guffens, des
de Braekeleer et d'autres. Quand ces artistes
qui ont eu tant de glorieux succès dans leur
passé n'exposent pas, il n'est sortes .de ho-
rions et d'épigrammes qu'on ne leur jette.
Exposent-ils? c'est bien pis! Imprudents,
légers et voire ignorants, vos plumitifs, sans
tenir compte de la différence si complète des
époques, tombent dessus à bras raccourcis

et se déconsidèrent en les traitant comme les
derniers des rapins.

« Nous n'avons point en Allemagne de ces
ingratitudes inexcusables. Nos Mackart, nos
Muncaksy, nos Brozik, nos Bockelmann
nos Vauthier, nos Defregger, ne nous ont
jamais fait oublier la gloire et l'honneur que
nous devons à Schnorr, à Lessing, à Corné-
lius, à Overbeek, à Bendeman, à Kaulbach.
Si les œuvres de ces derniers, très souvent
emphatiques mais toujours correctes et d'une
grande élévation de sentiment, font en ce
moment place à une école plus virile et plus
libre, nous n'oublions pas qu'elle s'est pri-
mitivement nourrie de la moelle des anciens.
Nous estimons aussi qu'il faut faire la part
de la désorganisation morale de la société
moderne et que plus tard, quand le fléau
sera passé, il y aura peut-être encore des
couronnes pour les anciens qu'il n'y aura
plus une seule feuille à offrir à ceux qui font
aujourd'hui les délices delà cocotterie euro-
péenne, grande et petite. »

Mon Allemand partit et me laissa rêveur :
je songeais, comme pour rendre hommage à
sa pensée, aux débuts et aux travaux élégants
et corrects de Nicaise De Keyser, qui, il y a
trente ans, était acclamé dans toute l'Europe
et auquel la presse de tous les pays dressait
des arcs de triomphe ; je songeais à ce vigou-
reux et courageux Verlat dont l'œuvre est si
prodigieuse, si variée et qui marquera d'une
belle étoile le ciel de notre histoire ; je son-
geais au Vengeur, au Don Juan, au Mar-
tyre de Slingeneyer; je voyais dans ma pen-
sée ces peintures si grandement nationales
de Guffens, à Ypres, à Courtrai, à Anvers :
je pensais à ce presque centenaire De Brae-
keleer d'où sont sortis Leys et tant d'autres,
et je me disais : oui, un vent d'ingratitude
souffle en Belgique, ce n'est point le courant
étranger seul qui nous l'envoie, il vient aussi,
et plus peut-être des orages de haine et d'en-
vie qui se forment au sein de ce monde
dévoyé et tumultueux où la lutte pour la vie
prend des proportions qui touchent au
crime...

Et quand je relevai les yeux je me trouvai
devant le Bar des Folies-Bergères de Ma-
net. Quelle punition, ô mon Dieu !

Ce tableau a suffi pour valoir à son au-
teur la croix de la Légion d'honneur. A coup
sûr voilà une des plus belles mystifications
 
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