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N° 21

15 Novembre 1882.

Vingt-quatrième Année.

BEAUX-ARTS

ET DE LA LITTÉRATURE.

DIRECTEUR: M. Ad. SIRET. paraissant deux fois par mois. ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE

membre de l'académie roy. de belgique, etc. PRIX PAR AN : BELGIQUE : q FRANCS a St-nicolas (belgique).

étranger : 12 fr.

SOMMAIRE. Beaex-Arts : Les prix de Romo. —
Bibliographie : Le musée d'Aix, par Gibert. —
Dictionnaire de Fart, de la curiosité et du bibelot.
— Littérature : Sonnets : La nymphe.— Les fils
de Caïn. — Chronique générale. — Dictionnaire
des peintres de l'école flamande. — Cabinet de la
curiosité. — Annonces.

aux-

LES PRIX DE ROME (i).

Parmi les clameurs que la manie des ré-
formes a fait pousser dans ces derniers temps
aux novateurs, il en est une qui a particuliè-
rement affecté ceux qui ont quelque souci de
l'avenir de Fart. On a parlé de supprimer les
prix de Rome.

Chose pénible à constater, c'est de France,
c'est du berceau même de l'institution qu'est
partie cette parole désorganisatrice, non pas
d'un monde officiel, il est vrai, mais d'un
monde puissant, qui a pour lui l'influence
des masses irréfléchies, lesquelles finissent
souvent par triompher.

S'il fallait remonter à l'origine de ce mou-
vement subversif, on la trouverait sans con-
teste dans ce mépris de l'autorité et de l'ordre
qui caractérise notre temps, plus encore que
dans les disputes d'école, lesquelles ont, du
reste,régné à toutes les époques, sans entamer
les principes établis par la force et la pondé-
ration naturelle des choses.

Supprimer les prix de Rome, c'est-à-dire
supprimer la recherche du beau pour la rem-
placer par l'étude du réel. C'est à quoi l'on
devait arriver du moment que l'on procla-
mait, avec non moins de légèreté que d'au-
dace, que la note humaine devait exclusive-
ment dominer l'aspiration idéale.

Depuis un demi-siècle environ nous assis-
tons à cette lutte. Des forces sérieuses ont été
de part et d'autre mises en mouvement, et, à
l'heure qu'il est, si cette lutte n'est pas ter-
minée, on peut, grâce à quelques signes ma-
nifestes, entrevoir quelle sera son issue.

Si la proposition de supprimer les prix de
Rome n'avait été qu'un de ces cris vulgaires
sortis de troubles inconscients, dans lesquel-
les certaines gens trouvent toujours quelque
chose à gagner, on n'y eût point pris garde,

(i) Discours prononcé à la séance publique delà
classe des Beaux-arts de l'Académie royale de Bel-
gique, le 29 octobre 1882.

mais ce cri a eu son écho dans des régions
habituées au calme et y a provoqué de vives
discussions.

C'est déjà trop que cette satisfaction donnée
à un vœu révolutionnaire ; c'est élever à la
hauteur d'une exigence ce qui aurait dû rester
une vaine et stérile manifestation. En donnant
de l'importance à cet incident, on a obligé
l'opinion publique à s'en occuper, et à pren-
dre bon gré mal gré part aux débats.

On a dit : l'Allemagne n'a pas de concours
de Rome (ri, c'est vrai ; cette formidable école
s'est passée de cette institution par la raison
bien simple qu'elle n'en a pas besoin.

L'Allemagne est divisée en plusieurs gran-
des écoles de race, restées fidèles à leurs tra-
ditions, lesquelles ont été partout et toujours
idéales et philosophiques jusqu'au suprême
degré. Du Rhin au Danube, les arts ont
puisé leurs inspirations dans un cycle d'idées
toujours éclairées, et souvent à l'excès, du
flambeau de la poésie, des clartés de l'his-
toire et des lueurs incertaines de la philoso-
phie. A l'heure présente, les artistes, que,
par une étrange interprétation de la valeur
des mots, on appelle réalistes, sont plus que
jamais préoccupés d'idéalisme, et c'est à n'y
rien comprendre, quand on entend dire que
Kaulbach,Muncaksy et Mackart sont des réa-
listes, alors que leurs œuvres les plus connues
pénètrent si loin dans le domaine de la
pensée abstraite, qu'elles appartiennent pres-
que exclusivement à l'allégorie. On a beau
faire et surtout on a beau dire, c'est toujours
l'idéal qui fleurit sous le ciel allemand.

L'institution des prix de Rome n'aurait
donc ancune raison d'être dans un pays où
tous les artistes d'une certaine valeur, et ils
sont nombreux, possèdent des qualités na-
tives que les grands concours ont pour objet
de produire là où elles n'existent pas et de
maintenir là où elles se sont révélées.

Le prix de Rome a donc été créé pour
étendre dans l'école les traditions de senti-
ment, de grandeur, d'austérité et d'harmonie,
qui sont les véritables moyens par lesquels
se manifeste et s'impose l'art. C'est une sorte
de discipline basée sur la logique du beau tel
que l'esprit peut le saisir. Si ce prix est offert

(1) L'institution des bourses qui existe dans ce pays
ne saurait être comparée à celle des prix de Rome.
Ce sont des encouragements et non des récompenses
d'honneur.

à la jeunesse, c'est évidemment pour la pré-
munir contre les dangers d'une liberté qui,
en art plus qu'en toute autre chose, tombe
avec une facilité inouïe dans la licence. C'est
pour conserver intact le trésor des principes
académiques bien enseignés et bien compris,
principes que depuis longtemps on a cherché
à tourner en ridicule sans avoir obtenu d'au-
tre résultat que celui de ridiculiser ceux qui
les combattent. Le prix de Rome est un prix
d'honneur qui prépare à la gloire.

Sans aucun doute, quand les mœurs d'une
nation et les progrès des sciences ont fait
faire un pas en avant, il y a lieu d'examiner
si certaines institutions ne demandent pas
à être modifiées dans le sens de ce mouve-
ment, mais c'est là une affaire de détails.
Que l'on touche à un règlement devenu ca-
duc, soit, mais que l'on se garde bien de
vjcier la pensée qui est au fond de l'institu-
tion.

Parmi les rares arguments sérieux qui ont
été produits se trouve celui-ci, que l'on peut
discuter. On a parlé des progrès considéra-
bles réalisés par les sciences de reproduction
graphique et on a dit que les formules exté-
rieures du beau étaient devenues plus saisis-
sables par l'extraordinaire épanouissement
de ces sciences. On en a inféré qu'il était
devenu beaucoup moins méritoire de se dis-
tinguer dans la composition et la formation
d'une grande œuvre.

Le contre-pied de cette proposition nous
paraît plus exact : en effet, si les moyens
d'atteindre l'expression du Beau se vulga-
risent, il devient évident que les exigences
augmentent, et que la production d'une
œuvre géniale sera d'autant plus difficile,
que l'éducation publique sera plus forte. Les
concours n'en deviennent que plus nécessai-
res, car plus l'art se répand, plus il se cor-
rompt. Sous ce rapport, on a pu constater
depuis un demi-siècle, la grandeur du mal.
L'idée de la suppression des prix de Rome
est un des signes les plus alarmants du degré
auquel cette corruption est arrivée : on dirait
un navire perdu, qui va essayer de se sauver,
en jetant à la mer ses mâts et sa voilure.

Cette grande institution nationale des prix
de Rome est une des plus nobles créations
de l'autorité artistique. Il suffit de jeter un
coup d'œil sur l'histoire pour apprécier ce
qu'on lui doit et pour être ébloui du lustre
 
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