NOTES SUR DIFFÉRENTS POINTS DE GRAMMAIRE
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Nil; le fleuve aurait communiqué avec l'Océan Austral, et à force de le remonter, on
passait dans une mer libre où se trouvaient les régions des parfums. A partir des pre-
miers siècles de la conquête arabe, ce furent les rivières de l'Afrique méridionale, le
Djob, le Zambèze, le Congo, qui servirent â justifier cette conception légendaire;
mais, avant d'en arriver là, on plaça les débouchés du Nil dans des régions plus rappro-
chées de TÉgypte. On peut se demander si la NeiXonoTauia qu'Artémidore d'Éphèse men-
tionnait sur la côte du pays des Somalis au IIe siècle avant notre ère ne répond pas à
l'un d'eux1 ; en tout cas, le même Artémidore en connaissait un qui donnait sur la mer
Rouge. Il signalait entre Ptolémaïs-épi-Théras et le Stoma Sabaïtikon une rivière qui
établissait la communication entre la mer et le fleuve : c'était un bras de l'Astaboras
qui se détachait d'un lac, tandis qu'un autre s'écoulait dans le Nil5. La donnée est très
nette : en remontant au delà de Syène, on passait dans l'Astaboras, de là dans le lac, de là
dans une dérivation de l'Astaboras qui menait à la mer Rouge. Sans entrer dans les expli-
cations possibles du fait, il suffit de le constater, et de le comparer à la donnée égyptienne
du Conte du Naufragé. Le Naufragé remonte le Nil par l'île de Béghé et les Ouaouaî-
tou de Nubie, puis il se trouve dans la mer des Aromates et il est jeté sur Y Ile de
Double : un navire égyptien vient l'y chercher, mais on ne dit rien de l'itinéraire qu'il
suivit au retour. On se rappelle que les mines d'or d'Ethiopie qu'il allait visiter sont pro-
bablement celles dont Agatharchide parlait encore dans son Périple, et qui répondent
aux régions du Gebel-Ollaky : c'est sensiblement la même région que celle où le récit
du Naufragé nous transporte et où le bras de l'Astaboras rejoignait la mer. Du reste, le
voisinage du pays de Pouanît est impliqué, sinon exprimé clairement par la richesse
en parfums dont se vante le Serpent, roi de l'Ile : or nous savons par les travaux de
Krall que les parages de Saouakin et de Massaouah sont an des premiers sites du pays
de Pouanît3. Les notions éparses dans les géographes classiques nous ramènent enfin
aux notions que le romancier égyptien possédait sur le théâtre des aventures de son héros.
On trouve dans la région moyenne de la mer Rouge l'île Ophiôdès, qui était habitée
par des serpents et produisait la Topaze : Juba l'appelle Topazon, parce qu'elle se per-
dait souvent dans les brumes et que les navigateurs la cherchaient souvent en vain, or
topazein signifie chercher clans la langue des Troglod}4es\ On voit combien les traits
du vieux conte pharaonique se retrouvaient dans les récits d'époque ptolémaïque :
Ile des Morts, Nekrôn Insida, répondant à Y Ile de Double; île Ophiôdès habitée
par des serpents et se noyant dans les nuages de la même manière que Y Ile de Double
est habitée par des serpents et s'évanouit dans les flots dès qu'on la quitte. Les diffé-
rences sont de celles que l'on doit s'attendre à trouver entre deux versions d'une même
1. Strabon, 1. XVI, iv, 14, p. 774; Artémidore la place dans l'intérieur, mais le Périple de la mer Ery-
thrée ( Muller-Didot, Geographi Grœci Minores, t. I, p. 265) a sur la côte un Ne(A07ruoX£|xoïo<; qui paraît
être identique à l'Ouadi d'Artémidore.
2. Strabon, 1. XVI, iv, 8, p. 770 : 'Ev 81 xîj> f/exa^ù exStScàatv otT:ô<T7ra<Tfjta tor-> AjTaëopa xaXoufxévoo -Ttoxa-
[jioù, bç ex a!|jivt)Ç tt)V àpYT)v Ê^wv (jlÉooç t.i ÈxofSwat, io 81 ttasov ffup.6àXÀsi TÛj NsiAto. Sur l'explication
possible de ce fait, voir Vivien Saint-Martin, Le Nord de l'Afrique, p. 266-268.
3. Krai.l, Studien sur Geschic/ite des Alten /Egyptens, IV. Das Land Punt, p. 21-26.
4. Mùller-Didot, Geographi Grœci Minores, t. I, p. 123-129.
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Nil; le fleuve aurait communiqué avec l'Océan Austral, et à force de le remonter, on
passait dans une mer libre où se trouvaient les régions des parfums. A partir des pre-
miers siècles de la conquête arabe, ce furent les rivières de l'Afrique méridionale, le
Djob, le Zambèze, le Congo, qui servirent â justifier cette conception légendaire;
mais, avant d'en arriver là, on plaça les débouchés du Nil dans des régions plus rappro-
chées de TÉgypte. On peut se demander si la NeiXonoTauia qu'Artémidore d'Éphèse men-
tionnait sur la côte du pays des Somalis au IIe siècle avant notre ère ne répond pas à
l'un d'eux1 ; en tout cas, le même Artémidore en connaissait un qui donnait sur la mer
Rouge. Il signalait entre Ptolémaïs-épi-Théras et le Stoma Sabaïtikon une rivière qui
établissait la communication entre la mer et le fleuve : c'était un bras de l'Astaboras
qui se détachait d'un lac, tandis qu'un autre s'écoulait dans le Nil5. La donnée est très
nette : en remontant au delà de Syène, on passait dans l'Astaboras, de là dans le lac, de là
dans une dérivation de l'Astaboras qui menait à la mer Rouge. Sans entrer dans les expli-
cations possibles du fait, il suffit de le constater, et de le comparer à la donnée égyptienne
du Conte du Naufragé. Le Naufragé remonte le Nil par l'île de Béghé et les Ouaouaî-
tou de Nubie, puis il se trouve dans la mer des Aromates et il est jeté sur Y Ile de
Double : un navire égyptien vient l'y chercher, mais on ne dit rien de l'itinéraire qu'il
suivit au retour. On se rappelle que les mines d'or d'Ethiopie qu'il allait visiter sont pro-
bablement celles dont Agatharchide parlait encore dans son Périple, et qui répondent
aux régions du Gebel-Ollaky : c'est sensiblement la même région que celle où le récit
du Naufragé nous transporte et où le bras de l'Astaboras rejoignait la mer. Du reste, le
voisinage du pays de Pouanît est impliqué, sinon exprimé clairement par la richesse
en parfums dont se vante le Serpent, roi de l'Ile : or nous savons par les travaux de
Krall que les parages de Saouakin et de Massaouah sont an des premiers sites du pays
de Pouanît3. Les notions éparses dans les géographes classiques nous ramènent enfin
aux notions que le romancier égyptien possédait sur le théâtre des aventures de son héros.
On trouve dans la région moyenne de la mer Rouge l'île Ophiôdès, qui était habitée
par des serpents et produisait la Topaze : Juba l'appelle Topazon, parce qu'elle se per-
dait souvent dans les brumes et que les navigateurs la cherchaient souvent en vain, or
topazein signifie chercher clans la langue des Troglod}4es\ On voit combien les traits
du vieux conte pharaonique se retrouvaient dans les récits d'époque ptolémaïque :
Ile des Morts, Nekrôn Insida, répondant à Y Ile de Double; île Ophiôdès habitée
par des serpents et se noyant dans les nuages de la même manière que Y Ile de Double
est habitée par des serpents et s'évanouit dans les flots dès qu'on la quitte. Les diffé-
rences sont de celles que l'on doit s'attendre à trouver entre deux versions d'une même
1. Strabon, 1. XVI, iv, 14, p. 774; Artémidore la place dans l'intérieur, mais le Périple de la mer Ery-
thrée ( Muller-Didot, Geographi Grœci Minores, t. I, p. 265) a sur la côte un Ne(A07ruoX£|xoïo<; qui paraît
être identique à l'Ouadi d'Artémidore.
2. Strabon, 1. XVI, iv, 8, p. 770 : 'Ev 81 xîj> f/exa^ù exStScàatv otT:ô<T7ra<Tfjta tor-> AjTaëopa xaXoufxévoo -Ttoxa-
[jioù, bç ex a!|jivt)Ç tt)V àpYT)v Ê^wv (jlÉooç t.i ÈxofSwat, io 81 ttasov ffup.6àXÀsi TÛj NsiAto. Sur l'explication
possible de ce fait, voir Vivien Saint-Martin, Le Nord de l'Afrique, p. 266-268.
3. Krai.l, Studien sur Geschic/ite des Alten /Egyptens, IV. Das Land Punt, p. 21-26.
4. Mùller-Didot, Geographi Grœci Minores, t. I, p. 123-129.