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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 20.1866

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Nr. 6
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Blanc, Charles: Salon de 1866, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.19277#0537

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520

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

il est très-rare que les artistes n’aient pas réussi à se peindre eux-
mêmes et à peindre leurs proches. Les plus étonnants portraits de Rem-
brandt sont ceux de sa femme et de sa mère. Ilolbein a été sublime
dans le tableau de sa famille qui est au musée de Bâle. Rubens n’a ja-
mais été plus Rubens que lorsqu’il a pris pour modèles sa femme et ses
deux enfants. Pourquoi ? Ce n’est point parce que le peintre était fami-
liarisé avec les traits de ses parents, car l’habitude de regarder une per-
sonne empêche souvent de la bien voir. C’est parce qu’une parfaite con-
naissance de l’original leur a fait saisir le caractéristique de son âme.
Qu’un étranger se présente chez le Van Dyck de son choix : l’artiste ne
verra d’abord en lui que son extérieur, la construction de sa tête et de
ses mains, des os recouverts de chair. La ressemblance restera cachée
d’abord sous le vernis des politesses banales. Puis, au moment de la
pose, le modèle aura, comme le père de Diderot, sa physionomie du
dimanche. De là le nombre infini de ces portraits inertes, ennuyeux,
plus importuns que la « sonate » et qui vous poursuivent de leurs yeux
sans regard. Le public, chose bizarre, les croit flattés, tandis qu’ils sont,
au contraire, dénigrés et travestis.

Flatter un portrait? c’est plus que le droit du peintre, c’est son de-
voir, si l’on emploie ce mot flatter dans son acception véritable. Flatter,
en effet, c’est négliger ou atténuer les accents inutiles et les détails insi-
gnifiants, amplifier les autres et y insister, de façon à mettre en relief le
caractère de l’individu, restitué dans son être intime, et dégagé des ac-
cidents momentanés, des circonstances accessoires qui en offusqueraient
la vue. Ainsi, que le lecteur veuille bien s’en souvenir, la vérité vraie
d’un portrait, c’est encore la vérité générale, celle qui démêle le perma-
nent dans l’accidentel, et qui, ramenant le modèle à l’unité de sa vie, le
particularise d’autant mieux qu’elle rassemble et résume en un seul mo-
ment tous les moments où il est semblable à lui-même. Voilà comment la
pure et simple imitation des réalistes est si insuffisante. A mesure qu’ils
serrent de plus près la lettre, l’esprit leur échappe. A mesure qu’ils
s’approchent du réel, ils s’éloignent du vrai, et leur traduction mot à
mot, loin d’être éloquente, n’est pas même fidèle.

Eh ! quelle est donc cette opération supérieure de l’esprit qui flatte
la nature, non par une imitation servile, mais par une création plus belle
et plus fière? Quel nom faut-il donner à cette flatterie? Elle a un nom
illustre, elle s’appelle le style. Et cela, pour le coup, c’est un drapeau
sous lequel on peut combattre : c’est le drapeau que tous les maîtres ont
porté, tous les grands maîtres.

( La fin au prochain numéro. )

CHARLES BLANC.
 
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