POÉSIES
PAR M. JULES BRETON
THÉODORE ROUSSEAU ET LE BUCHERON.
Théodore Rousseau, fuyant les ateliers
A la lumière terne et tristement oblique,
Vivait dans la forêt, ce temple symbolique
Dont les vieux arbres sont les superbes piliers
Entrecoupés d’éclairs, jetant au loin leur ombre
Et sur le ciel ouvrant, en leur majesté sombre,
Les étoiles d’azur de leurs graves arceaux
Pleins de bonds d’écureuils et de chansons d’oiseaux.
Or de ce temple un jour l’infatigable prêtre
Priait à sa façon. Ardent, l’oeil inspiré,
* Rousseau peignait un chêne; on voyait apparaître
Sous ses doigts attendris l’arbre transfiguré,
Et vibrante tomber sa touche fine et franche.
Sa main la modelait, errant de branche en branche,
Dont chacune, en son cœur, chantait comme un verset
Du poëme éternel que son œil embrassait.
Il étreignait le sphinx redoutable adversaire
Qu’il faut serrer de près et toujours épier,
Et, sublime interprète, il était si sincère *
Que peut-être il croyait simplement copier.
Tandis qu’il se livrait à son âme envahie
Par les féconds transports de l’admiration,
Il entend comme un bruit de respiration,
Se retourne et rencontre une face ébahie:
Un rustre écarquillait son gros œil stupéfait.
Le peintre croit vraiment qu’un vif attrait l’enchaîne.
Alors le paysan : « Pourquoi fais-tu ce chêne,
Puisque ce chêne est là, puisqu’il est déjà fait ? »