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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
indiscutable, dont un jour l’histoire pourra invoquer le témoignage.
L’art, au reste, n’osait rien reprocher à cette copie si hautainement
fidèle, pas même cette simplicité d’effet et d’exécution, qui reposait
les yeux des conventions devenues banales, non moins habile parce
quelle ne prétendait pas ajouter de la lumière au soleil, ni prêter
de l’éclat aux haillons du fellah.
Cette année 1857 devait marquer dans la carrière de Gérôme. A côté
des scènes d’Orient, il exposait la Sortie d'un bal masqué. Certaines
œuvres indiquent le point culminant du talent qu’un artiste ne dépasse
guère : le Duel de Pierrot est de celles-là. 11 devint rapidement populaire :
reproduit maintes lois par le peintre lui-même, par la gravure, par la
photographie, il est dans toutes les mémoires; ce serait un soin inutile
de le décrire. Mais ces sortes de succès ont leur danger, il est bon souvent
de les regarder en face, de les peser et de ne s’en pas laisser accabler.
Que de gens sans malveillance le rappellent à chaque tentative nouvelle,
comme s’il devenait impossible à l’artiste de se surpasser désormais !
Gérôme sut tenir tête à la louange ; il se rappelait d’ailleurs telle autre de
ses compositions, moins regardée, moins piquante d’invention, mais que
la critique sérieuse et lui-même plaçaient au-dessus du Duel. En effet,
sans prétendre diminuer non plus par la comparaison la valeur d’un
tableau émouvant, il est permis de placer tout à côté de lin cette
simple idylle, le Hache-paille, qui semble une illustration contemporaine
d’Hérodote ou un feuillet détaché d’un chapitre de la Bible.
Ce rapprochement prouve à la fois, chez Gérôme, l’intelligence
de la nature et la flexibilité d’une imagination qu’on accusait de stéri-
lité. 11 va ainsi au caprice du jour et de la route, s’arrêtant devant le
drame ensanglanté, non pas plus volontiers que devant le champ de blé
doré par le soleil, indifférent si l’on veut à force d’éclectisme et dérou-
tant la psychologie de ceux qui aiment à renfermer dans certaines limites
la sensibilité de l’âme, laquelle doit, ce semble, plutôt recevoir tous les
chocs et, s’il lui est possible, rendre toutes les harmonies.
Mais si Gérôme aime la diversité dans le choix de ses sujets, cela ne
tient peut-être pas seulement à la mobilité de ses impressions; il a l'ex-
périence du public. Il sait qu’il ne suffit pas toujours à l’artiste de faire
bien, et que le spectateur dontil dépend veut être tenu en haleine et sur-
tout amusé. C’est le soin harassant que les expositions imposent à ceux qui
leur confient tout leur avenir et toutes leurs espérances, depuis qu’elles
ont remplacé les inlluences et les pouvoirs disparus. C’est dans les
expositions que le sort d’un tableau se décide, que les nouveaux venus
deviennent des compétiteurs dangereux et que les vieilles gloires se
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
indiscutable, dont un jour l’histoire pourra invoquer le témoignage.
L’art, au reste, n’osait rien reprocher à cette copie si hautainement
fidèle, pas même cette simplicité d’effet et d’exécution, qui reposait
les yeux des conventions devenues banales, non moins habile parce
quelle ne prétendait pas ajouter de la lumière au soleil, ni prêter
de l’éclat aux haillons du fellah.
Cette année 1857 devait marquer dans la carrière de Gérôme. A côté
des scènes d’Orient, il exposait la Sortie d'un bal masqué. Certaines
œuvres indiquent le point culminant du talent qu’un artiste ne dépasse
guère : le Duel de Pierrot est de celles-là. 11 devint rapidement populaire :
reproduit maintes lois par le peintre lui-même, par la gravure, par la
photographie, il est dans toutes les mémoires; ce serait un soin inutile
de le décrire. Mais ces sortes de succès ont leur danger, il est bon souvent
de les regarder en face, de les peser et de ne s’en pas laisser accabler.
Que de gens sans malveillance le rappellent à chaque tentative nouvelle,
comme s’il devenait impossible à l’artiste de se surpasser désormais !
Gérôme sut tenir tête à la louange ; il se rappelait d’ailleurs telle autre de
ses compositions, moins regardée, moins piquante d’invention, mais que
la critique sérieuse et lui-même plaçaient au-dessus du Duel. En effet,
sans prétendre diminuer non plus par la comparaison la valeur d’un
tableau émouvant, il est permis de placer tout à côté de lin cette
simple idylle, le Hache-paille, qui semble une illustration contemporaine
d’Hérodote ou un feuillet détaché d’un chapitre de la Bible.
Ce rapprochement prouve à la fois, chez Gérôme, l’intelligence
de la nature et la flexibilité d’une imagination qu’on accusait de stéri-
lité. 11 va ainsi au caprice du jour et de la route, s’arrêtant devant le
drame ensanglanté, non pas plus volontiers que devant le champ de blé
doré par le soleil, indifférent si l’on veut à force d’éclectisme et dérou-
tant la psychologie de ceux qui aiment à renfermer dans certaines limites
la sensibilité de l’âme, laquelle doit, ce semble, plutôt recevoir tous les
chocs et, s’il lui est possible, rendre toutes les harmonies.
Mais si Gérôme aime la diversité dans le choix de ses sujets, cela ne
tient peut-être pas seulement à la mobilité de ses impressions; il a l'ex-
périence du public. Il sait qu’il ne suffit pas toujours à l’artiste de faire
bien, et que le spectateur dontil dépend veut être tenu en haleine et sur-
tout amusé. C’est le soin harassant que les expositions imposent à ceux qui
leur confient tout leur avenir et toutes leurs espérances, depuis qu’elles
ont remplacé les inlluences et les pouvoirs disparus. C’est dans les
expositions que le sort d’un tableau se décide, que les nouveaux venus
deviennent des compétiteurs dangereux et que les vieilles gloires se