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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 21.1880

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Nr. 1
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Chennevières-Pointel, Charles Philippe de: François Boucher par M. Paul Mantz
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https://doi.org/10.11588/diglit.22841#0080

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

délayent. Ce sont avant tout des pondeurs. Quelque sujet qu’on leur
propose, que ce soit une Nativité pour la chapelle assez profane de Bel-
levue ou un panneau de mythologie pour l’hôtel.Soubise, des vignettes
pour un Molière, des décors pour l’opéra d’Atys ou un modèle pour les
Gobelins, ils le voient en inventifs qu’ils sont et, — sans se tourmenter
autrement et sans chercher ni à droite, ni à gauche, ni en arrière, —
avec l’œil intérieur qui leur est particulier, le traduisent avec un goût
qui est vraiment du goût, car en somme de telles gens sont artistes
jusqu’aux moelles. Qu’advient-il bientôt? C’est que le public et le gros
des amateurs, se familiarisant chaque jour avec l’ensemble de leurs con-
ceptions et s’éprenant de la grâce et de l’aisance qu’ils sentent courir
dans l’esprit général de l’œuvre, adoptent cette manière, qui devient sans
tarder la manière et le goût d’une époque, et ils n’en veulent plus con-
naître d’autre. Aussi Diderot a beau dire : «Boucher est fait pour tour-
ner la tête à deux sortes de personnes, les gens du monde et les artistes.
Son élégance, sa mignardise, sa galanterie romanesque, sa coquetterie,
son goût, sa facilité, sa variété, son éclat, ses carnations fardées, sa'
débauche doivent captiver les petits-maîtres, les petites femmes, les
jeunes gens du monde, la foule de ceux qui sont étrangers au vrai goût,
aux idées justes, à la sévérité de l’art... Les artistes qui voient jusqu’à
quel point cet homme a surmonté les difficultés de la peinture, et pour qui
c’est tout que ce mérite, qui n’est guère bien connu que d’eux, fléchissent
le genou devant lui : c’est leur dieu. Les gens d’un grand goût, d’un
goût sévère et antique, n’en font nul cas. » Diderot oublie que dans ce
pays où tout le monde respecte l’emiuyeux, mais où chacun, et lui le
premier, déteste l’ennui, ce ne sont pas « les gens d’un goût sévère et
antique » qui gouvernent longtemps l’école; ce sont précisément «les
gens du monde et les artistes » ; ce sont eux qui « fléchissent le genou »
devant Watteau, dès qu’ils peuvent échapper à la queue de Lebrun. Ce sont
eux qui, plus tard, dès qu'ils pourront se dérober à la toute-puissance de
David, se jetteront au-devant des brillants du romantisme et des sui-
vants de Géricault. L’éclat, la grâce et l’élégance, fût-elle fardée, voilà
ce dont la France ne peut se passer, et qui explique pourquoi Boucher a
régné quarante ans, pourquoi Fragonard et Huet ont pu le continuer
avec faveur, même sous l’empire de Vien, et pourquoi enfin, dès qu’on
a recommencé à regarder avec quelque curiosité le passé de l’École fran-
çaise, Boucher, cet indifférent, sans intimité aucune, mais sous le crayon
duquel tout s’arrange avec charme, a repris un rang d’honneur dans le
défilé des maîtres de cette école : c’est que Boucher est le dieu de la
coquetterie potelée, Boucher est le dieu du fard.
 
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