Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 21.1880

DOI Heft:
Nr. 5
DOI Artikel:
Gonse, Louis: Eugène Fromentin, 6: peintre et écrivain
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.22841#0493

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
472

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

Madame,

Saint-Maurice, 1er avril 1857.

Je reviens chez moi après une absence de quelques jours et je trouve votre lettre
arrivée depuis lundi. Cette lettre, admirablement bonne et fortifiante, me cause une
joie que je ne puis vous taire. Elle achève absolument de me confondre; je cherche,
pour ne pas me répéter, un mot qui rende aussi précisément ce que j’éprouve, et n’en
trouve pas. Je suis très troublé, très ému d’une faveur que j’étais si loin d’attendre et
que j’estime à son prix, et plus reconnaissant que je ne vous le dirai jamais.

Permettez-moi d’y voir la récompense anticipée de ce que je pourrai faire de bien
un jour, si l’événement répond au désir impatient que j’en ai. J’aime mieux, madame,
prendre votre estime comme une avance qui m’est faite en vue de l’avenir; quoique
je ne sois plus d’âge à me donner pour un jeune homme, cela s’accorde mieux, du
moins, avec le sentiment imperturbable que j’ai de ma valeur actuelle. Cette valeur
est mince, croyez-le bien, et comme savoir, aussi bien que comme fertilité, mes res-
sources sont bien légères. Je vaux apparemment moins que mon livre, au sujet duquel
je suis bien obligé de vous croire sur parole.

Non, madame, il n’y a pas dans tout cela de subtilité d’amour-propre. Je tiens à
vous le dire, car je serais désolé que cette insistance à me diminuer vous parût
suspecte. Il n’y en a pas l’ombre non plus dans les grandes satisfactions d’esprit que
vous me donnez en vous occupant de moi avec une complaisance qui de mon livre
s’étend jusqu’à ma personne. Je vous tromperais également en vous laissant croire
que je suis modeste. Jo suis horriblement défiant de mes forces, voilà tout. Défiant
par nature, défiant par raisonnement depuis que je me compare à ce qui véritablement
me paraît être le but de tout homme qui tend au bien.

Vous me donnez des conseils excellents, madame, que je devrais et voudrais bien
suivre. Mais j’ai tout juste le temps de produire. Quand donc aurais-je celui d’ap-
prendre ?

Quant à ma peinture, je ne suis point pressé de vous la faire connaître. Assurément
elle vous désenchantera. Non pas qu’elle soit mauvaise : elle vaut ni plus ni moins que
la plupart des petites œuvres do notre temps. Elle est médiocre. Telle qu’elle est, j’en
pourrai vivre. Mais je suis sans indulgence pour moi-même comme pour les autres;
très sobre d’admiration pour la peinture contemporaine, cela vous donnerait la me-
sure du jugement que jo porte sur la mienne, si vous la connaissiez.

Pour moi, la question est très simple ; je n’estimerai avoir rien produit qui vaille,
jusqu’au jour où j’approcherai de ce que je sais être l’indubitablement bon. Et comme
le but est bien défini dans tous les genres, par tous les maîtres, la route est indiquée
et la distance à parcourir facile à évaluer.

Voilà sur ce point où j’en suis; je tenais, madame, à vous exposer au plus juste
le cas que je fais de ma valeur artistique et celui que vous devez en faire pour le
moment.

Je répondrais plutôt d’être bon que de devenir un vrai peintre. Et je vous
romercie, madame, de me donner ce conseil, qui me prouve que vous avez quelque
espoir d’être comprise. La vie que je mène, l’isolement que j’aime et où je continuo
de vivre même à Paris, la tournure de mes ambitions toutes particulières et qui
jamais ne me coûteront un acte regrettable, des dispositions de naissance dont j’ai le
bénéfice moral, si je n’en ai pas le mérito, voilà peut-être des conditions qui me ren-
 
Annotationen