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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 21.1880

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Nr. 5
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Gonse, Louis: Eugène Fromentin, 6: peintre et écrivain
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https://doi.org/10.11588/diglit.22841#0496

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EUGENE FROMENTIN.

475

Paris, 15 décembre 1858.

Madame,

Je n’avais rien dit à Charles Edmond; mais il a deviné sans doute, grâce à l’amitié
qui le rend clairvoyant, le désir extrême que j’avais de vous soumettre mon Sahel et de
connaître votre opinion sur celte nouvelle étude. Ce désir était tel, que je n’aurais pas
eu la patience d’attendre la publication du volume, qui ne paraîtra qu’en février, pour
vous prier de le juger. Ce petit livre a été écrit, je puis le dire, sous l’impression di-
recte de vos encouragements, avec l'intention d’y répondre et le désir ardent de les
justifier. Permettez-moi de vous l’avouer, madame, j’ai mêlé malgré moi à mon travail
un sentiment opiniâtre et très inquiétant, le souvenir toujours présent de vos bontés,
l’ambition secrète de vous satisfaire. J’allais donc, après avoir hésité depuis le tcr dé-
cembre, me décider à vous écrire, quand votre lettre m’est arrivée ce soir, sous le
Couvert de la Revue. C’est un nouveau service que je dois à l’affectueux intérêt de
Charles Edmond; c’est presque à lui tout seul (le savez-vous?) que je dois déjà d’avoir
eu la bonne idée de porter mon livre à. M. Buloz.

Après ce que vous avez fait pour mon Sahara, je me considérais, madame, comme
engagé non pas vis-à-vis du public, que je ne connais pas assez pour penser à lui,
mais vis-à-vis de votre sympathie, qui m’avait imposé une dette énorme. J’ai tâché de
bien faire. Je vous dirai même que, malgré les conseils de certains amis qui se défient
peut-être un peu trop de la volonté, je me suis donné pour thème et pour but de faire
mieux. Toute mon inquiétude était aujourd’hui de savoir si je m’étais trompé ou- si,
par fortune, j’avais réussi. Mon Sahel a, je crois, du succès, autant que j’en puis juger,
par ce dont je suis témoin, car en ce moment j’habite Paris. Mais j’attendais un juge-
ment qui fût sans réplique, qui me rassurât tout à fait, et qui me donnât un avis, car,
malgré tout, je n’en ai jamais de très certain sur moi même. Ce jugement, c’était le
vôtre. Quelqu’un qui partage avec moi les anxiétés de mon travail et qui partage aussi
tous mes sentiments, surtout ceux de ma reconnaissance, ma femme (permettez-moi,
madame, de l’introduire ici, car vous l’avez rendue bien heureuse), ma femme attendait
votre opinion comme un arrêt. A présent vous pouvez juger de la gravité que votre
lettre a pour moi, et mesurer le bonheur absolu qu’elle m’a causé.

N’y eût-il qu’un tout petit progrès du présent sur le passé, cela me suffirait, du
moment qu’il m’est affirmé par vous. Peut-être est-ce une ambition dangereuse, mais
j’ai fait de l’amélioration continue la loi de mon travail. J’ai si peu produit, je sais si
peu de chose, je me sens si loin du vrai bien que je ne concevrais rien de plus dou-
loureux que de ne pas aller plus loin. Avec la connaissance exacte — trop exacte —
que j’ai de mes défauts, j’ai donc essayé d’en éviter quelques-uns, d’en atténuer
d’autres; et c’est la seule supériorité d’exécution que je tenais à manifester dans ce
petit livre, où je me suis proposé de faire revivre volontairement des souvenirs trop
éloignés de moi pour conserver la vivacité d’élan des premiers jours.

Je no soutiendrai, madame, qu’avec une très grande humilité les points de doctrine
que vous jugerez contestables. L’opinion que j’exprime est du moins des plus sincères,
et je fais des efforts inutiles, en ce moment, pour mettre d’accord le peintre et le
critique, la conscience avec les actes. Lequel a raison des deux? Peut-être ni l’un ni
1 autre. Peut-être le vrai serait-il entre l’instinct trop sensible aux nouveautés, et la
théorie trop immobilisée dans les traditions. Je suis incapable, au surplus, déraisonner
 
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