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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 21.1880

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Nr. 5
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Ephrussi, Charles: Exposition des artistes indépendants
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https://doi.org/10.11588/diglit.22841#0508

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CORRESPONDANCE.

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monieux de la danse. L’Élude de loge de théâtre montre une connaissance profonde
des relations de tons, produisant les effets les plus imprévus et les plus curieux : la
couleur lie de vin des tentures de la loge et la lumière jaunâtre de la rampe sont pro-
jetées sur le visage d’une petite spectatrice qui se trouve ainsi éclairée de violet et de
jaune brillant; l’impression est étrange, mais saisie avec beaucoup de justesse.

Ces relations de tons apparaissent plus marquées dans les essais de miss Cassatt, la
précieuse élève de M. Degas. Ici, les personnages de plus grandes dimensions reçoivent
plus pleinement les reflets de la lumière. Une femme aux cheveux roux, vêtue d’une
robe de tulle jaune (et quel jaune!), est assise, dans la pénombre d’une loge, sur un
fauteuil rouge, devant une glace; les épaules et les bras nus sont éclairés d’une
lumière-violacée avec des rappels de jaune, fondue dans une harmonie très osée, par
une main sinon ferme et savante, au moins légère et délicate. Le Thé et la Jeune
Femme en blanc sont d’une facture déjà alourdie; on y sent plus le terroir anglais
que les conseils de M. Degas. Nous croyons avoir rencontré, dans mainte exposition
de peinture à Londres, des études de ce genre, claires et largement brossées.

Mm0 Berthe Morisot est Française par la distinction, l’élégance, la gaieté, l’insou-
ciance; elle aime la peinture réjouissante et remuante; elle broie sur sa palette des
pétales de fleurs, pour les étaler ensuite sur la toile en touches spirituelles, soufflées,
jetées un peu au hasard, qui s’accordent, se combinent et finissent par produire
quelque chose de fin, de vif et de charmant qu’on devine plutôt qu’on ne le voit.
Les minois sont jeunes et frais, les poses ont de l’aisance, les mouvements de la grâce.
De jeunes femmes bercées dans une barque sur des eaux clapotantes, d’autres cueillant
des fleurs, celle-ci se promenant dans un paysage d’hiver, celle-là à sa toilette, sont
vues toutes à travers des tons gris fins, blancs mais et rose clair, sans aucune ombre,
relevées de petites taches multicolores, l’ensemble donnant l’impression de teintes
opalines vagues et incertaines. Cette légèreté fugitive, cette vivacité aimable, pétil-
lante et frivole rappellent Fragonard, moins la science profonde, la solidité de la pâte
et cette lumière diffuse qui donne au tableau du maître tant d’homogénéité.

M. Pissaro nous entraîne loin de cette gaieté communicative. Il peint péniblement
dans des tons vifs; il attriste le printemps et les fleurs, il alourdit l’air. Sa facture est
pâteuse, cotonneuse, tourmentée; ses figures, d’un caractère mélancolique, sont traitées
avec les mômes procédés que les arbres, les herbes, les murs et les maisons. Mais une
allure assez grande, une certaine force de volonté de rendu dans des paysages bien
découpés rachètent cette pesanteur. M. Pissaro rappelle de loin Millet, mais il le rap-
pelle en bleu.

Le bleu, d’ailleurs, est la couleur d’achoppement, le grand écueil contre lequel se
heurtent les impressionnistes. Ainsi M. Caillebotte, dont les débuts heureux firent
quelque bruit, a passé sous le drapeau de M. Pissaro, comme le font aujourd’hui
M. Zandomeneghi et surtout M. Gauguin, ou plutôt il a passé dans le camp du bleu.
« D’abord, moi, le bleu m’est odieux... Autant j’adore le lilas, autant je déteste le
bleu, » dit Mmc de Léry dans Un Caprice, et vraiment, que le ciel nous pardonne, le
bleu à, la rue des Pyramides, devient un supplice ; on en a mis partout. Que les
rayons du soleil projettent parfois des ombres bleues, soit ; mais que tous les paysages,
les eaux, les intérieurs de maisons ou de cafés, les balcons, les natures mortes soient
uniformément et éternellement enveloppés d’une atmosphère bleue, c’est trop.M. Cail-
lebotte, en outre, oublie volontiers que Vicruve, Piero délia Francesca, Léonard, Albert
Durer et autres ont fixé les lois de la perspective ; les plans successifs n’existent pas
 
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