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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2. Pér. 34.1886

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Nr. 1
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Phillips, Claude: Les expositions de printemps à la Royal Academy et à la Grosvenor Gallery: correspondance d'Angleterre
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https://doi.org/10.11588/diglit.19428#0084

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CORRESPONDANCE D’ANGLETERRE.

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nation. Mais la vraie raison n’est pas là; elle tient à des circonstances moins
éphémères, qui découlent de notre vie même, de nos mœurs. L’art moderne est
trop, chez nous, l’amusement passager d’un public distrait et plus ou moins
indifférent, exigeant plutôt des sujets piquants et des inventions agréables que des
efforts sérieux et convaincus. La peinture anglaise est trop peu mêlée à la vraie
vie de la nation ; elle contribue trop peu à la décoration de ses édifices, de ses églises,
de ses musées, et ne reçoit de l’État que des encouragements fort insignifiants et
souvent assez mal placés.

M. Burne-Jones parait cette année pour la première fois dans les salles de
l’Academy, qui l’a, on le sait, élu par acclamation, sans qu’il ait jusqu’à présent
jamais exposé sous la protection de l'illustre corporation. Il est néanmoins resté
fidèle à ses premières amours, à la Grosvenor Gallery, où il expose trois toiles.
Cet ensemble nous le montre sous un jour un peu différent de ce que nous connaissons ;
sa manière, tout en conservant à peu près les mêmes dehors, accuse des adoucis-
sements sensibles. Toutefois, il ne réussira jamais complètement à s’humaniser, à
sortir de son monde d’êtres qui ne sont ni mortels ni surnaturels, pareils plutôt à
des ombres qui errent vagues et mornes dans le purgatoire terrestre. Nous ne le
voudrions pas trop assagi, car il risquerait alors de perdre cette étrangeté, cette
saveur particulière, qui lui ont valu une position à part et qui expliquent la grande
influence qu’il exerce. On peut cependant féliciter M. Burne-Jones de s’être efforcé,
cette année, pour la première fois, de choisir pour deux de ses tableaux un type
de femme autre et plus vrai que celui auquel il s’était presque exclusivement voué.
Sa toile de l’Académy a pour sujet une légende pathétique, chère aux poètes : nous
voyons une jeune sirène à queue de poisson qui, éprise d’un bel éphèbe, l’a saisi
pendant qu’il se baignait dans les flots, et se laissant choir avec sa proie jusqu’aux
profondeurs des antres sous-marins, le tient étroitement enlacé, en souriant d’un
sourire inquiétant de créature qui n’a rien de commun avec l’humanité. Sa joie
sera courte, car, sans qu’elle le sache, sa proie est déjà expirante. Malheureusement,
en traitant ce sujet avec un souci extrême de la correction du dessin, en se
contentant, de parti pris, d’une gamme de couleur neutre, — bien différente des
tons subtils et exquis qu’il sait si bien manier, — le peintre a laissé s’évaporer
l’essence de son idée première, l’émotion que devrait produire le contraste des
deux ligures. 11 y manque cette énergie primesautière, ce sentiment spontané,
cette pointe même d’excentricité que semblerait réclamer une telle conception.
Des trois toiles qu’expose M. Burne-Jones à la Grosvenor Gallery, deux, une Sibylla
Delphica et une Résurrection avec la Madeleine et deux anges, sont, il faut le dire
franchement, au-dessous de la réputation de l’artiste. Tout manque au peintre
pour aborder un sujet aussi solennel que ce dernier; et le sentiment profond et
recueilli que réclame ce sujet, et les grands moyens par lesquels il devrait être
servi. L’artiste essaye vainement de remplacer la grandeur du sentiment par une
certaine mysticité, une bizarrerie d’aspect qui nait tout naturellement du choix de
son type habituel et de l’emploi de draperies à plis tuyautés, rappelant les
sculptures du xiie siècle. La plus simple de ses toiles est aussi la meilleure : c’est
l’exquise étude d’une jeune fille, vue debout et de profil, sur un fond composé
d’un paysage de fantaisie, dans le genre de ceux qu’affectionnaient les Vénitiens
à la fin du xve siècle. Cette toile porte le titre de Flamma Vestalis; et c’est bien
là l’idée qu’exprime le peintre par ce type en même temps chaste et fait pour
 
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