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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
des pâtres nus sont assis au bord des rochers à pic, comme de
cratères refroidis d’où montent en fumée les nuages, ou bien, debout,
s’arrêtent attentifs à l’étranger qui passe, en avant du troupeau
broutant la crudité verte, mêlée de rocailles, sous l’ombre de nues
traînant autour de pics gris. Ailleurs un Parsifal enfant, une petite
lance à la main, reçoit le coup de soleil diagonal des six heures
du gros de l’été, contre une colline étrangement verte et coiffée d’un
petit bosquet de hêtres touffus. Ou un bel adolescent hésitant, trou-
vera la tentation debout contre un arbre au sommet d'une éminence
d’où l'on domine au delà du plateau, toute la chaîne rose et blanche
des Alpes bavaroises, et le calme avec lequel il l’envisage dit que
son choix est fait et qu’il ira vers les horizons lointains1. Mais c’est
aux baignades, décidément, que reviennent le plus fréquemment les
imaginations et trouvailles de l'artiste.
Les premières ébauches que l’on connaît de lui, dès son temps
d’école, en dehors d’une Gretchen dans son cachot, éclairée par
un rayon de lune, témoignent déjà de ce goût du nu mêlé à
l’eau, si explicable dans notre vie moderne où le bain est à peu
près la seule occasion qui soit offerte à l’artiste de voir le nu
franc et sain s’ébattre en plein air, échappé à toute désagréable
contrainte, délivré surtout de l'odieuse notion du déshabillé.
Deux jeunes gens se sont approchés d’une source filtrant le long
d’une fissure de rochers. Une jeune femme entre au crépuscule dans
un étang, qui se souvient de ceux des environs de Berlin. Tel est le
point de départ de l’œuvre. Le premier succès sera encore une bai-
gnade, mais cette fois un tableautin déjà du plus parfait raffinement,
tant pour le coloris que pour la composition : la vasque arrondie,
du bord de laquelle une Chloé à l’ample chevelure rousse, dans la
pénombre verte, regardera le joli corps de Daphnis gamin tremper
dans l’eau transparente. Et tout au moins le ruisseau continuera à
être le prétexte du nu dans le Printemps, où de petites bachelettes
blondes jouent si aimablement les nymphes, d’une musique qui
déjà pourrait être de Delius ou de Debussy, sur la prairie ensoleillée,
tandis qu’à la lisière du bois viennent s’abreuver les biches, qui
contresignent allemand le paysage, autant qu’une coupure, à laSand-
reuter sans ciel bloquée par la forêt. Une mare dans, la luxuriance
multicolore et tropicale des essences rares, une mare, fleurie d’iris,
semble excuser aussi les nudités même de ce Paradis perdu qui
fait encore penser à un Paradou moite et étouffant. Adam et Eve,
1. V. Gazette des Beaux-Arts, 1893, t. I, p. 67.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
des pâtres nus sont assis au bord des rochers à pic, comme de
cratères refroidis d’où montent en fumée les nuages, ou bien, debout,
s’arrêtent attentifs à l’étranger qui passe, en avant du troupeau
broutant la crudité verte, mêlée de rocailles, sous l’ombre de nues
traînant autour de pics gris. Ailleurs un Parsifal enfant, une petite
lance à la main, reçoit le coup de soleil diagonal des six heures
du gros de l’été, contre une colline étrangement verte et coiffée d’un
petit bosquet de hêtres touffus. Ou un bel adolescent hésitant, trou-
vera la tentation debout contre un arbre au sommet d'une éminence
d’où l'on domine au delà du plateau, toute la chaîne rose et blanche
des Alpes bavaroises, et le calme avec lequel il l’envisage dit que
son choix est fait et qu’il ira vers les horizons lointains1. Mais c’est
aux baignades, décidément, que reviennent le plus fréquemment les
imaginations et trouvailles de l'artiste.
Les premières ébauches que l’on connaît de lui, dès son temps
d’école, en dehors d’une Gretchen dans son cachot, éclairée par
un rayon de lune, témoignent déjà de ce goût du nu mêlé à
l’eau, si explicable dans notre vie moderne où le bain est à peu
près la seule occasion qui soit offerte à l’artiste de voir le nu
franc et sain s’ébattre en plein air, échappé à toute désagréable
contrainte, délivré surtout de l'odieuse notion du déshabillé.
Deux jeunes gens se sont approchés d’une source filtrant le long
d’une fissure de rochers. Une jeune femme entre au crépuscule dans
un étang, qui se souvient de ceux des environs de Berlin. Tel est le
point de départ de l’œuvre. Le premier succès sera encore une bai-
gnade, mais cette fois un tableautin déjà du plus parfait raffinement,
tant pour le coloris que pour la composition : la vasque arrondie,
du bord de laquelle une Chloé à l’ample chevelure rousse, dans la
pénombre verte, regardera le joli corps de Daphnis gamin tremper
dans l’eau transparente. Et tout au moins le ruisseau continuera à
être le prétexte du nu dans le Printemps, où de petites bachelettes
blondes jouent si aimablement les nymphes, d’une musique qui
déjà pourrait être de Delius ou de Debussy, sur la prairie ensoleillée,
tandis qu’à la lisière du bois viennent s’abreuver les biches, qui
contresignent allemand le paysage, autant qu’une coupure, à laSand-
reuter sans ciel bloquée par la forêt. Une mare dans, la luxuriance
multicolore et tropicale des essences rares, une mare, fleurie d’iris,
semble excuser aussi les nudités même de ce Paradis perdu qui
fait encore penser à un Paradou moite et étouffant. Adam et Eve,
1. V. Gazette des Beaux-Arts, 1893, t. I, p. 67.