GAZETTE DES BEAUX-ARTS
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Il ne crut pas cependant devoir se dérober au service qu’on lui
demandait; il accepta, mais en faisant loules sortes de réserves.
L’atelier fut ouvert dans la rue Notre-Dame-dos-Champs. On y
attaqua l’art par l’étude directe de la nature. Un bœuf, arrivé
exprès des pâturages de la Normandie, eut l’honneur de servir de
premier modèle aux élèves. Des difficultés avec le propriétaire
mirent malheureusement lin à cette tentative qui eût mérité de
durer davantage. Cette aventure avait déridé les Parisiens, qui com-
mençaient à trouver le réalisme gai et peu banal. Ce fut le signal d’un
immense retour d’opinion en faveur de Courbet. Le beau succès de
la Remise des chevreuils et de la Femme au perroquet acheva la
réconciliation.
En 1867, Courbet fit une exposition de ses œuvres au rond-
point de l’Alma, comprenant avec ses compositions près de cent
tableaux de tous genres, portraits, paysages de neige, paysages
de mer, fleurs. La Sieste pendant la saison des foins et Y Hal-
lali parurent là pour la première fois. Cette exposition eut un
véritable succès. Il y vint des amateurs de toute sorte et même
des personnages importants. Un matin que je m’y promenais
à peu près seul, je vis entrer M. Thiers. Ne trouvant pas le cata-
logue dont 1 impression n’était pas encore achevée, il semblait
embarrassé devant certains tableaux. Je m’offris pour remplacer le
catalogue. Nous fîmes deux fois le tour. M. Thiers, qui croyait, me
dit-il, trouver là de la peinture de foire, ne revenait pas de sa sur-
prise. Toutefois cette vision nette des choses le gênait : « Il aime
trop la vérité », disait-il de sa voix tlûtée, « il ne faut pas aimer
autant la vérité. »
Survint la déclaration de guerre du 15 juillet 1870 et, à la suite,
la défaite, l’invasion, le siège de Paris, toutes les effroyables cata-
strophes qu’a vues passer l’année terrible. Courbet, en qualité de
président de la Commission des artistes, veilla sur les richesses du
Louvre; en qualité de patriote, il donna un canon à la défense na-
tionale. Nommé membre de la Commune aux élections complémen-
taires du 16 avril, il n’eut pas la sagesse de décliner ce mandat,
donné après les hostilités engagées. Après la prise de Paris par les
troupes du maréchal de Mac-Mahon, il fut arrêté, emmené prisonnier
à Versailles et compris dans l’accusation générale qui pesait sur tous
les membres de la Commune; accusé plus spécialement d’avoir
renversé la colonne Vendôme.
La colonne Vendôme! il y était aussi étranger que vous et moi.
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Il ne crut pas cependant devoir se dérober au service qu’on lui
demandait; il accepta, mais en faisant loules sortes de réserves.
L’atelier fut ouvert dans la rue Notre-Dame-dos-Champs. On y
attaqua l’art par l’étude directe de la nature. Un bœuf, arrivé
exprès des pâturages de la Normandie, eut l’honneur de servir de
premier modèle aux élèves. Des difficultés avec le propriétaire
mirent malheureusement lin à cette tentative qui eût mérité de
durer davantage. Cette aventure avait déridé les Parisiens, qui com-
mençaient à trouver le réalisme gai et peu banal. Ce fut le signal d’un
immense retour d’opinion en faveur de Courbet. Le beau succès de
la Remise des chevreuils et de la Femme au perroquet acheva la
réconciliation.
En 1867, Courbet fit une exposition de ses œuvres au rond-
point de l’Alma, comprenant avec ses compositions près de cent
tableaux de tous genres, portraits, paysages de neige, paysages
de mer, fleurs. La Sieste pendant la saison des foins et Y Hal-
lali parurent là pour la première fois. Cette exposition eut un
véritable succès. Il y vint des amateurs de toute sorte et même
des personnages importants. Un matin que je m’y promenais
à peu près seul, je vis entrer M. Thiers. Ne trouvant pas le cata-
logue dont 1 impression n’était pas encore achevée, il semblait
embarrassé devant certains tableaux. Je m’offris pour remplacer le
catalogue. Nous fîmes deux fois le tour. M. Thiers, qui croyait, me
dit-il, trouver là de la peinture de foire, ne revenait pas de sa sur-
prise. Toutefois cette vision nette des choses le gênait : « Il aime
trop la vérité », disait-il de sa voix tlûtée, « il ne faut pas aimer
autant la vérité. »
Survint la déclaration de guerre du 15 juillet 1870 et, à la suite,
la défaite, l’invasion, le siège de Paris, toutes les effroyables cata-
strophes qu’a vues passer l’année terrible. Courbet, en qualité de
président de la Commission des artistes, veilla sur les richesses du
Louvre; en qualité de patriote, il donna un canon à la défense na-
tionale. Nommé membre de la Commune aux élections complémen-
taires du 16 avril, il n’eut pas la sagesse de décliner ce mandat,
donné après les hostilités engagées. Après la prise de Paris par les
troupes du maréchal de Mac-Mahon, il fut arrêté, emmené prisonnier
à Versailles et compris dans l’accusation générale qui pesait sur tous
les membres de la Commune; accusé plus spécialement d’avoir
renversé la colonne Vendôme.
La colonne Vendôme! il y était aussi étranger que vous et moi.