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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
n’est plus suffisante pour assouvir les âmes; peu à peu s’imposent
le souci et le culte de la cité.
Les écrivains précédent les artistes. Sans retracer un chapitre
d’histoire de la littérature, qu’il nous soit permis de rappeler rapi-
dement les faits d’évolution les plus caractérisés. Ils ont ici un double
intérêt : d’une part, ils nous éclairent sur l’orientation de l’époque;
par ailleurs ils n’ont pas été sans exercer une action directe sur des
artistes habitués, nous le savons, à chercher des suggestions litté-
raires.
Il est à peine besoin de répéter combien les thèmes d’inspiration
des poèmes publiés par Victor Hugo après 1830 différent de ceux
qui lui avaient dicté les Orientales. Sans doute Victor Hugo demeure
essentiellement lyrique et épique et ce lyrisme épique éclate, peut-
être, d’autant plus qu’il se greffe sur des sujets plus simples, mais
si ces sujets familiers ne paraissent pas en accord intime avec le
génie du poète, ne faut-il pas précisément en conclure qu’ils lui
ont été imposés par ce sens si profond qu’il a eu des instincts de son
temps ?
Si Musset rompt prestement avec le Romantisme, ce n’est pas,
certes, au nom du réalisme, mais c'est du moins au profit de la sincé-
rité. Sa fantaisie désinvolte se joue parmi les incidents de la vie
courante, les types coudoyés, les spectacles et les paysages parisiens;
lorsque la passion le soulève, et jusque dans ses plus purs élans
lyriques, if ne cesse, par des notations très simples, d’évoquer la réa-
lité1. Qu’une question publique le touche, il abordera le satire poli-
tique et protestera, en 1835, contre la loi sur la presse.
Parce que Gautier a été un évocateur admirable des splendeurs
lointaines et des civilisations somptueuses on a oublié qu’il avait
parfois, surtout au lendemain de 1830, appliqué son génie descriptif
aux modestes paysages de banlieue et célébré « l’humble coteau »,
<( un menu filet d’eau », une caisse d’œillets, un pot de giroflées2.
Par là il se rapproche de Sainte-Beuve. Celui-ci avait, dès 1829,
donné avec Joseph Delorme un premier exemple d’une poésie lyrique
encore, mais toute réaliste déjà, non seulement par ses thèmes,
mais par son inspiration. « Dans les Pensées cl'Août, le poète plus
désintéressé, plus rassis, moins livré désormais aux confidences per-
sonnelles, [a] désiré établir un certain genre moyen; développer,
J. J’étais à Ja fenêtre, attendant ma maltresse...
La rue où je logeais était sombre et déserte...
2. Paria, Le Sentier, Pan de mur. (Poésies, 1830-1832).
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
n’est plus suffisante pour assouvir les âmes; peu à peu s’imposent
le souci et le culte de la cité.
Les écrivains précédent les artistes. Sans retracer un chapitre
d’histoire de la littérature, qu’il nous soit permis de rappeler rapi-
dement les faits d’évolution les plus caractérisés. Ils ont ici un double
intérêt : d’une part, ils nous éclairent sur l’orientation de l’époque;
par ailleurs ils n’ont pas été sans exercer une action directe sur des
artistes habitués, nous le savons, à chercher des suggestions litté-
raires.
Il est à peine besoin de répéter combien les thèmes d’inspiration
des poèmes publiés par Victor Hugo après 1830 différent de ceux
qui lui avaient dicté les Orientales. Sans doute Victor Hugo demeure
essentiellement lyrique et épique et ce lyrisme épique éclate, peut-
être, d’autant plus qu’il se greffe sur des sujets plus simples, mais
si ces sujets familiers ne paraissent pas en accord intime avec le
génie du poète, ne faut-il pas précisément en conclure qu’ils lui
ont été imposés par ce sens si profond qu’il a eu des instincts de son
temps ?
Si Musset rompt prestement avec le Romantisme, ce n’est pas,
certes, au nom du réalisme, mais c'est du moins au profit de la sincé-
rité. Sa fantaisie désinvolte se joue parmi les incidents de la vie
courante, les types coudoyés, les spectacles et les paysages parisiens;
lorsque la passion le soulève, et jusque dans ses plus purs élans
lyriques, if ne cesse, par des notations très simples, d’évoquer la réa-
lité1. Qu’une question publique le touche, il abordera le satire poli-
tique et protestera, en 1835, contre la loi sur la presse.
Parce que Gautier a été un évocateur admirable des splendeurs
lointaines et des civilisations somptueuses on a oublié qu’il avait
parfois, surtout au lendemain de 1830, appliqué son génie descriptif
aux modestes paysages de banlieue et célébré « l’humble coteau »,
<( un menu filet d’eau », une caisse d’œillets, un pot de giroflées2.
Par là il se rapproche de Sainte-Beuve. Celui-ci avait, dès 1829,
donné avec Joseph Delorme un premier exemple d’une poésie lyrique
encore, mais toute réaliste déjà, non seulement par ses thèmes,
mais par son inspiration. « Dans les Pensées cl'Août, le poète plus
désintéressé, plus rassis, moins livré désormais aux confidences per-
sonnelles, [a] désiré établir un certain genre moyen; développer,
J. J’étais à Ja fenêtre, attendant ma maltresse...
La rue où je logeais était sombre et déserte...
2. Paria, Le Sentier, Pan de mur. (Poésies, 1830-1832).