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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
las des recherches techniques et où l’on pensait qu’il suffirait, pour
renouveler l’art, d’en vivifier l’inspiration.
A travers ses tâtonnements, Courbet a déjà, plusieurs fois, sans
s’y engager résolument, rencontré sa voie véritable. Les paysages de
son pays, les portraits de ses sœurs, son propre portrait sous de
multiples prétextes : portrait au chien noir (1842), Y Homme à la
pipe (1846), Y Homme à la ceinture de cuir, Y Homme blessé (dont la
date est contestée), en témoignent, et surtout le Hamac (1844), où,
pour nous, il se révèle tout entier, par la composition, le type
féminin, le côté sensuel, la poésie fruste el forte, le style même.
Pour qu’il prenne définitivement conscience de lui-même, il
faudra un voyage en Hollande en 1847, la rencontre avec Champ-
fieu ry, et surtout la secousse de 1848. Que l’on compare la liste de
ses envois au Salon de 1848, envois préparés avant la Révolution,
portraits, paysage, composition littéraire1, aux œuvres décisives qui
se sont succédé de 1849 à 1852 : Après-dîner à Ornans, Les
Paysans de Flagey, L"Enterrement, Les Casseurs de pierres, Les
Demoiselles de village, il apparaîtra que les forces « unanimes » ont
eu, sur Courbet, leur influence pleine et qu’elles ont orienté sûre-
ment son génie.
Millet, lui aussi, a reçu ses premières directions d’élèves attar-
dés de David et de Gros. A Paris, il a d’abord travaillé, chez Dela-
roche, avec le désir d’obtenir le prix de Rome, élève laborieux et
docile, jusqu’au jour où il a renoncé aux honneurs académiques.
Il s’est, dès lors, abandonné aux suggestions du Louvre. Par quels
maîtres a-t-il été séduit? Plus tard, à une époque où il était encore
discuté et où on lui reprochait ses premières œuvres imprégnées de
xvme siècle, il a, dans des conversations que Sensier a fidèlement
notées, rappelé ses débuts avec la préoccupation, involontaire
certes, mais évidente, de se disculper. A l’entendre, il aurait
admiré Le Brun et Jouvenet, mais c’est Lesueur, Poussin et Michel-
Ange qui, avec le Corrège, l’auraient retenu, tandis que Boucher et
Watteau ne lui auraient inspiré que de l’aversion. La misère, la
suggestion d’un ami, l’auraient seules amené à faire des pastiches
du xvme siècle, facilement achetés par les marchands. Cependant,
il aurait continué à consacrer ses loisirs à l’étude de Poussin et de
Michel-Ange.
Je ne mets pas en doute la bonne foi de Millet, mais, peut-être,
1. Georges Riat, Courbet, p. 48
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las des recherches techniques et où l’on pensait qu’il suffirait, pour
renouveler l’art, d’en vivifier l’inspiration.
A travers ses tâtonnements, Courbet a déjà, plusieurs fois, sans
s’y engager résolument, rencontré sa voie véritable. Les paysages de
son pays, les portraits de ses sœurs, son propre portrait sous de
multiples prétextes : portrait au chien noir (1842), Y Homme à la
pipe (1846), Y Homme à la ceinture de cuir, Y Homme blessé (dont la
date est contestée), en témoignent, et surtout le Hamac (1844), où,
pour nous, il se révèle tout entier, par la composition, le type
féminin, le côté sensuel, la poésie fruste el forte, le style même.
Pour qu’il prenne définitivement conscience de lui-même, il
faudra un voyage en Hollande en 1847, la rencontre avec Champ-
fieu ry, et surtout la secousse de 1848. Que l’on compare la liste de
ses envois au Salon de 1848, envois préparés avant la Révolution,
portraits, paysage, composition littéraire1, aux œuvres décisives qui
se sont succédé de 1849 à 1852 : Après-dîner à Ornans, Les
Paysans de Flagey, L"Enterrement, Les Casseurs de pierres, Les
Demoiselles de village, il apparaîtra que les forces « unanimes » ont
eu, sur Courbet, leur influence pleine et qu’elles ont orienté sûre-
ment son génie.
Millet, lui aussi, a reçu ses premières directions d’élèves attar-
dés de David et de Gros. A Paris, il a d’abord travaillé, chez Dela-
roche, avec le désir d’obtenir le prix de Rome, élève laborieux et
docile, jusqu’au jour où il a renoncé aux honneurs académiques.
Il s’est, dès lors, abandonné aux suggestions du Louvre. Par quels
maîtres a-t-il été séduit? Plus tard, à une époque où il était encore
discuté et où on lui reprochait ses premières œuvres imprégnées de
xvme siècle, il a, dans des conversations que Sensier a fidèlement
notées, rappelé ses débuts avec la préoccupation, involontaire
certes, mais évidente, de se disculper. A l’entendre, il aurait
admiré Le Brun et Jouvenet, mais c’est Lesueur, Poussin et Michel-
Ange qui, avec le Corrège, l’auraient retenu, tandis que Boucher et
Watteau ne lui auraient inspiré que de l’aversion. La misère, la
suggestion d’un ami, l’auraient seules amené à faire des pastiches
du xvme siècle, facilement achetés par les marchands. Cependant,
il aurait continué à consacrer ses loisirs à l’étude de Poussin et de
Michel-Ange.
Je ne mets pas en doute la bonne foi de Millet, mais, peut-être,
1. Georges Riat, Courbet, p. 48