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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
élégamment dans une forme châtiée, cependant que le vague le plus rudi-
mentaire et le mépris du dessin sont tenus pour une expression du génie ».
Au Salon de 1920 déjà, par ce temps de sensation tapageuse et d'à peu
près brutal, voilà ce que nous dictait silencieusement l’exposition de ses
admirables dessins, qui valait au vieux maître une médaille d’honneur aussi
tardive que sa cravate de commandeur ; et, mieux encore, l’exposition posthume
de son œuvre à l’Ecole des Beaux-Arts nous aura permis de retrouver la
place très personnelle du peintre dans l’histoire confuse de la peinture con-
temporaine en dégageant la bienfaisante signification de son art.
C’est dans son œuvre seulement, dans la beauté qu’il a fait naître et qui
lui survit, qu il faut apercevoir la personnalité défunte d’un véritable artiste ;
mais, de son caractère, un reflet subsiste à nos yeux dans le miroir de ses
portraits : celui, daté de 1885, que M. Schommer dédiait « à son ami »
dans la pleine maturité de ses trente-neuf ans ; vingt-trois ans plus tard, le
fin crayon que M. Friant dédiait au maître sexagénaire déjà voûté par un
infatigable labeur, sans oublier le pastel où le grand-père a voulu se repré-
senter lui-même auprès de ses petits-enfants : témoignage expressif déjà, car
le portrait n’est pas moins rare dans l’œuvre de cet imaginatif que dans le
monde idéal construit par Pu vis de Chavannes ou par Gustave Moreau.
Sa carrière, en cinquante ans de travaux, nous révèle un indépendant
demeuré tel à l’Institut, qui l'accueille le 3 décembre 1892 à la place du
vieux Signol, comme Jean-Paul Laurens occupait depuis le 4 avril 1891 le
fauteuil de Meissonier. Singulier académicien que ce solitaire, ermite ingé-
nieux de l’art contemporain ! Son cursus liouorum, aux litres rares, espacés,
où chaque promotion se fait vingt ans attendre, apporte une preuve irrécu-
sable à la sincérité de son isolement ; et nos meilleurs historiens de l’art
moderne auront une excuse toute prête pour avoir paru l’oublier trop long-
temps : absorbé par les vastes décorations de nos monuments publics ou par
les petites illustrations de quelques chefs-d'œuvre de notre littérature, il ne
montrait presque plus rien depuis dix-sept ans, ce rare exposant de 1867 à
1920, qui ne figure au livret que dix-huit fois en cinquante-quatre ans mar-
qués par cinquante Salons.
Encore plus que le secret des événements collectifs, la personnalité d’un
artiste appartient à ces « impondérables » qui défient l'analyse ; cependant,
à ceux que préoccupe l’empreinte héréditaire, les origines expliquent une
part du talent. Contemporain du médailleur Boly, qui lui ressemble par la
distinction du charme dans la précision du contour, ce Parisien, qui naissait
rue Gracieuse le 21 mai i846, était Breton, du moins par l’ascendance pater-
nelle : son père et son grand-père, son oncle et son grand-oncle ont compté
parmi les écrivains nantais ; à Nantes s’est écoulée une partie de son enfance ;
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
élégamment dans une forme châtiée, cependant que le vague le plus rudi-
mentaire et le mépris du dessin sont tenus pour une expression du génie ».
Au Salon de 1920 déjà, par ce temps de sensation tapageuse et d'à peu
près brutal, voilà ce que nous dictait silencieusement l’exposition de ses
admirables dessins, qui valait au vieux maître une médaille d’honneur aussi
tardive que sa cravate de commandeur ; et, mieux encore, l’exposition posthume
de son œuvre à l’Ecole des Beaux-Arts nous aura permis de retrouver la
place très personnelle du peintre dans l’histoire confuse de la peinture con-
temporaine en dégageant la bienfaisante signification de son art.
C’est dans son œuvre seulement, dans la beauté qu’il a fait naître et qui
lui survit, qu il faut apercevoir la personnalité défunte d’un véritable artiste ;
mais, de son caractère, un reflet subsiste à nos yeux dans le miroir de ses
portraits : celui, daté de 1885, que M. Schommer dédiait « à son ami »
dans la pleine maturité de ses trente-neuf ans ; vingt-trois ans plus tard, le
fin crayon que M. Friant dédiait au maître sexagénaire déjà voûté par un
infatigable labeur, sans oublier le pastel où le grand-père a voulu se repré-
senter lui-même auprès de ses petits-enfants : témoignage expressif déjà, car
le portrait n’est pas moins rare dans l’œuvre de cet imaginatif que dans le
monde idéal construit par Pu vis de Chavannes ou par Gustave Moreau.
Sa carrière, en cinquante ans de travaux, nous révèle un indépendant
demeuré tel à l’Institut, qui l'accueille le 3 décembre 1892 à la place du
vieux Signol, comme Jean-Paul Laurens occupait depuis le 4 avril 1891 le
fauteuil de Meissonier. Singulier académicien que ce solitaire, ermite ingé-
nieux de l’art contemporain ! Son cursus liouorum, aux litres rares, espacés,
où chaque promotion se fait vingt ans attendre, apporte une preuve irrécu-
sable à la sincérité de son isolement ; et nos meilleurs historiens de l’art
moderne auront une excuse toute prête pour avoir paru l’oublier trop long-
temps : absorbé par les vastes décorations de nos monuments publics ou par
les petites illustrations de quelques chefs-d'œuvre de notre littérature, il ne
montrait presque plus rien depuis dix-sept ans, ce rare exposant de 1867 à
1920, qui ne figure au livret que dix-huit fois en cinquante-quatre ans mar-
qués par cinquante Salons.
Encore plus que le secret des événements collectifs, la personnalité d’un
artiste appartient à ces « impondérables » qui défient l'analyse ; cependant,
à ceux que préoccupe l’empreinte héréditaire, les origines expliquent une
part du talent. Contemporain du médailleur Boly, qui lui ressemble par la
distinction du charme dans la précision du contour, ce Parisien, qui naissait
rue Gracieuse le 21 mai i846, était Breton, du moins par l’ascendance pater-
nelle : son père et son grand-père, son oncle et son grand-oncle ont compté
parmi les écrivains nantais ; à Nantes s’est écoulée une partie de son enfance ;