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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 5. Pér. 4.1921

DOI issue:
Nr. 3
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Guiffrey, Jean: La „Mort de Sardanapale" d'Eugène Delacroix au musée du Louvre
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https://doi.org/10.11588/diglit.24942#0221

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202

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

une sorte d’extase mystique, de paroxysme d’amour ou de dévouement anime
tous ces personnages, excepté le maître, et tout s’accomplit comme il a été
ordonné. Nous reconnaissons Myrrha, l’esclave ionienne, la favorite qui se
tient à demi couchée sur le lit, les bras écartés aux pieds de son maître, dans
une attitude de résignation et d’amour, attendant sans le voir le coup fatal,
et Aischeh, de l’autre côté du lit, qui se pend aux supports de la voûte; mais
quelle est donc celte jeune femme, au corps si souple, vue de profil au
moment où l’esclave impassible la frappe de son couteau? Ces deux figures
composent un des plus beaux groupes peints par Delacroix. La coupe ciselée
et l’aiguière d’or, qui contient probablement le poison, sont auprès du roi, et
au loin, à droite, à travers les fumées, apparaît l’incendie de la ville au pillage.
C’est une scène d’horreur concentrée, exprimant le suprême dévouement,
la plus haute immolation de soi-même.

De tous les tableaux de Delacroix, c’est dans celui-ci que la femme joue le
rôle le plus important. Elle n’occupe qu’une place secondaire dans le
Massacre de Scio, dans Y Entrée des Croisés ; ailleurs elle est tout à fait
absente, et quelquefois sa grâce disparaît, comme dans les Femmes d’Alger ou
La noce juive au Maroc, sous l’abondance et la richesse de ses parures. Ici elle
est montrée nue, dans toute l’élégance de ses formes juvéniles et la fraîcheur
de ses colorations éclatantes. Ce sont ces « Ileurs humaines de harem » dont
parlera un jour Théophile Gautier. Toutes ces belles figures sont représentées
avec tendresse, leurs chairs nacrées sont délicatement nuancées, les ombres
sont colorées, les veines bleuissent sous la transparence de la peau. Delacroix
a employé à les peindre toutes les sensibilités de son pinceau ; jamais il n’a
représenté la femme avec plus de sentiment et de grâce.

11 y aurait lieu d’insister aussi sur la maîtrise avec laquelle sont peints
tous les objets px-écieux, armes, coffrets, vases, parures, amoncelés au pied
du bûcher. La facture en est large, franche, directe, et d’une merveilleuse
souplesse. Leur masse dorée contribue à l’harmonie générale du tableau, qui
est d’or, de blanc et de rose, d’une rare somptuosité que l'on soupçonne
inspirée de Rubens. On ne peut, croyons-nous, résister au ravissement que
cause, au premier uboi’d, cette éclatante harmonie de tonalités fraîches, qui
ont si heureusement conservé tout leur éclat grâce à cet excellent procédé
rapporté de Londres et utilisé à ce moment par Delacroix : bienfaisante cir-
constance, trop rare, en vérité, qui donne à la Mort de Sardanapale au
milieu des autres tableaux de Delacroix au Louvre, une magnificence, une
autoi'ité et un éclat incomparables.

JEAN GUIFFREY
 
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