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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
grâce raffinée de Duccio. » Ajoutons les influences qu’il subit à Rome: voilà le problème
des origines de l’art gioltesquc intelligemment résolu par M. Supino.
Ce qu’il est beaucoup plus difficile de déterminer, c’est la date — et aussi l’authenticité
— des fresques d’Assise. Jusqu’à présent on considérait celles de la basilique supérieure
comme beaucoup moins parfaites cjue celles de la basilique inférieure. Or voici queM. Su-
pino renverse l’ordre établi et nous propose une chronologie complètement différente.
Giotto commença par les Allégories de l'église inférieure ; après quoi, il travailla à la
décoration del’Arena de Padoue; plus tard seulement il aurait exécuté — ou fait exécu-
ter sous sa direction — les fresques de la basilique supérieure. Ces fresques sont, hélas !
trop abîmées et ont été trop retouchées pour qu’on puisse se prononcer avec certitude. Il
semble bien cependant qu’elles ne soient pas l’œuvre d’un grand maître en pleine posses-
sion de son génie, comme les peintures de Padoue. Le très bel ensemble de reproduc-
tions qui accompagne le volume de M. Supino nous éclaire à ce sujet ; elles permettent
des comparaisons qui à mon sens sont loin de corroborer la thèse de M. Supino. À vrai
dire le cycle de Padoue est peut-être ce que Giotto a fait de plus beau : aucune de ses
œuvres n’est aussi émouvante — et aussi parfaitement composée que la Déposition.
Giotto y sait admirablement draper les corps ; or, on ne trouve pas cette science profonde
du « paneggiamento » dans la basilique supérieure; les fresques qui la décorent sont
celles d’un génie qui se cherche, si on les compare à celles de Padoue où Giotto a dit tout
ce qu’il avait en lui.
Quant aux peintures de la basilique inférieure, on sait que le problème est encore plus
délicat. Bien que Lorenzo Ghiberti ait affirmé que Giotto « avait décoré de fresques
presque toute l’église inférieure », plusieurs historiens d’art contemporains — et non
des moindres — n’ont pas reconnu la manière de Giotto dans cet ensemble imposant.
Cependant, même M. Adolfo Venluri qui est tenté de soutenir cette thèse reconnaît qu’il
a été « l’inspirateur souverain » des « Allégories ». C’est dire, en définitive, qu’il est à peu
près impossible de les lui enlever complètement. M. Supino est persuadé qu’elles sont de
Giotto ; mais peut-on le suivre lorsqu’il en fait une de ses premières œuvres? La composi-
tion de la Pauvreté est d’un style au moins aussi pur que celle de la Déposition. Qu’on la
compare à celle qui se trouxe à la voûte de la chapelle des Bardi, à Florence ; celle-ci
apparaît comme l’ébauche de l’œuvre d’Assise ; c’est le premier état. Il serait donc assez
raisonnable de placer les fresques de la basilique inférieure après celles de la chapelle
des Bardi, c’est-à-dire après 131 7. Nous sommes loin de l'idée de M. Supino. Mais cette
conception, que l’on doit à M. Yenturi, semble mieux s’accorder avec l’évolution de la
technique gioltesque.
Quelles que soient nos réserves sur la chronologie que nous propose M. Supino, son
livre n’en reste pas moins fondamental pour l'étude de celui qu’on a appelé — un peu à
tort — le Père de la peinture moderne. Accompagné de ce précieux commentaire icono-
graphique : tout l’œuvre de Giotto en a58 planches, il a une très grande valeur. Il
serait à souhaiter qu’à chaque grand artiste on élevât un pareil monument ; le défaut de
beaucoup de monographies est de faire une place considérable à une littérature souvent
assez creuse, en oubliant que rien ne vaut une bonne photographie accompagnée d’un bon
commentaire. C’est pourquoi il faut accueillir avec satisfaction une œuvre comme celle de
M. Supino où, à côté d’excellentes reproductions, il y a un long commentaire très sérieu-
sement établi, reposant sur une solide documentation et sur une connaissance très précise
de la peinture italienne à la tin du xitie et au début du xiv11 siècle.
JEAN A L A Z A H n
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
grâce raffinée de Duccio. » Ajoutons les influences qu’il subit à Rome: voilà le problème
des origines de l’art gioltesquc intelligemment résolu par M. Supino.
Ce qu’il est beaucoup plus difficile de déterminer, c’est la date — et aussi l’authenticité
— des fresques d’Assise. Jusqu’à présent on considérait celles de la basilique supérieure
comme beaucoup moins parfaites cjue celles de la basilique inférieure. Or voici queM. Su-
pino renverse l’ordre établi et nous propose une chronologie complètement différente.
Giotto commença par les Allégories de l'église inférieure ; après quoi, il travailla à la
décoration del’Arena de Padoue; plus tard seulement il aurait exécuté — ou fait exécu-
ter sous sa direction — les fresques de la basilique supérieure. Ces fresques sont, hélas !
trop abîmées et ont été trop retouchées pour qu’on puisse se prononcer avec certitude. Il
semble bien cependant qu’elles ne soient pas l’œuvre d’un grand maître en pleine posses-
sion de son génie, comme les peintures de Padoue. Le très bel ensemble de reproduc-
tions qui accompagne le volume de M. Supino nous éclaire à ce sujet ; elles permettent
des comparaisons qui à mon sens sont loin de corroborer la thèse de M. Supino. À vrai
dire le cycle de Padoue est peut-être ce que Giotto a fait de plus beau : aucune de ses
œuvres n’est aussi émouvante — et aussi parfaitement composée que la Déposition.
Giotto y sait admirablement draper les corps ; or, on ne trouve pas cette science profonde
du « paneggiamento » dans la basilique supérieure; les fresques qui la décorent sont
celles d’un génie qui se cherche, si on les compare à celles de Padoue où Giotto a dit tout
ce qu’il avait en lui.
Quant aux peintures de la basilique inférieure, on sait que le problème est encore plus
délicat. Bien que Lorenzo Ghiberti ait affirmé que Giotto « avait décoré de fresques
presque toute l’église inférieure », plusieurs historiens d’art contemporains — et non
des moindres — n’ont pas reconnu la manière de Giotto dans cet ensemble imposant.
Cependant, même M. Adolfo Venluri qui est tenté de soutenir cette thèse reconnaît qu’il
a été « l’inspirateur souverain » des « Allégories ». C’est dire, en définitive, qu’il est à peu
près impossible de les lui enlever complètement. M. Supino est persuadé qu’elles sont de
Giotto ; mais peut-on le suivre lorsqu’il en fait une de ses premières œuvres? La composi-
tion de la Pauvreté est d’un style au moins aussi pur que celle de la Déposition. Qu’on la
compare à celle qui se trouxe à la voûte de la chapelle des Bardi, à Florence ; celle-ci
apparaît comme l’ébauche de l’œuvre d’Assise ; c’est le premier état. Il serait donc assez
raisonnable de placer les fresques de la basilique inférieure après celles de la chapelle
des Bardi, c’est-à-dire après 131 7. Nous sommes loin de l'idée de M. Supino. Mais cette
conception, que l’on doit à M. Yenturi, semble mieux s’accorder avec l’évolution de la
technique gioltesque.
Quelles que soient nos réserves sur la chronologie que nous propose M. Supino, son
livre n’en reste pas moins fondamental pour l'étude de celui qu’on a appelé — un peu à
tort — le Père de la peinture moderne. Accompagné de ce précieux commentaire icono-
graphique : tout l’œuvre de Giotto en a58 planches, il a une très grande valeur. Il
serait à souhaiter qu’à chaque grand artiste on élevât un pareil monument ; le défaut de
beaucoup de monographies est de faire une place considérable à une littérature souvent
assez creuse, en oubliant que rien ne vaut une bonne photographie accompagnée d’un bon
commentaire. C’est pourquoi il faut accueillir avec satisfaction une œuvre comme celle de
M. Supino où, à côté d’excellentes reproductions, il y a un long commentaire très sérieu-
sement établi, reposant sur une solide documentation et sur une connaissance très précise
de la peinture italienne à la tin du xitie et au début du xiv11 siècle.
JEAN A L A Z A H n