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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
peintres et de sculpteurs qui ont soumis à la discipline classique française
cette vigueur naturelle et un peu désordonnée, cette forte sève, cette sensua-
lité abondante et saine qu’on s’accorde d’ordinaire à reconnaître aux artistes
flamands. Les uns sont Français de nation, Wallons ou Flamands d’origine,
comme Glouet, Watteau et Carpeaux, d’autres Belges de nation, ont vécu
en France, travaillé en France, et subi tout le long de leur carrière l’empire
du goût et de l'éducation française, tel Vandermeulen, Desjardins, Delcour,
Godecharle, ou, plus près de nous, Alfred Stevens ou van Rysselberghe.
L’art de Mme Yvonne Serruys1, vigoureux, abondant, tout imprégné d'une
saine et robuste sensualité, mais aussi de la plus fine intelligence française,
se rattache à cette tradition.
*
* *
Elle appartient par ses origines à cette vieille bourgeoisie flamande qui
parle français depuis des siècles et pour qui la vie de l’esprit a toujours été fran-
çaise. Elle est d'une de ces familles, jadis si nombreuses en pays flamand, qui,
de génération en génération, envoyaient leurs enfants terminer leur éduca-
tion à Paris, ne lisaient que des livres français et se faisaient gloire de vivre
au fond de leur province de la vie spirituelle française la plus ardente et la
plus raffinée. Elevée dans le goût des belles choses que donne souvent la
large aisance de ces vieilles familles, elle eut, dès l’adolescence, la passion de
l’œuvre d’art. Généralement, surtout chez une femme, cette passion ne
dépasse pas un dilettantisme intelligent ; les mieux douées vont jusqu’à se
donner un de ces jolis talents d’amateur dont tant de peintres peuvent
parfaitement se contenter à une époque où la peinture ne cherche plus guère
que l’agrément des «jolies taches » ou des esquisses adroitement improvi-
sées et où plus personne ne se donne la peine de composer un tableau.
Malgré l’intelligence et la probité virile, malgré le souci de la perfection et
l’horreur de l’à-peu-près qui caractérise son œuvre, Yvonne Serruys se serait
peut-être contentée de ce talent d’amateur qui convient si bien aux femmes,
si elle avait fait de la peinture. Mais elle est sculpteur, et la sculpture, par
sa nature même, par les lois physiques auxquelles elle est soumise, a
échappé à cette maladie de la facilité, de l’improvisation et du truquage qui
semble entraîner la peinture moderne vers une irrémédiable décadence ; la
sculpture demeure un art d’honnête homme, d’honnête artisan respectueux
de son métier, et c’est peut-être pourquoi il arrive si souvent qu’après une i-
i- Une exposition d’ensemble de l’œuvre de Mme Yvonne Serruys, à la galerie Hébrard
(5-20 novembre) vient de révéler au public parisien les différents aspects de ce talent
souple et puissant.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
peintres et de sculpteurs qui ont soumis à la discipline classique française
cette vigueur naturelle et un peu désordonnée, cette forte sève, cette sensua-
lité abondante et saine qu’on s’accorde d’ordinaire à reconnaître aux artistes
flamands. Les uns sont Français de nation, Wallons ou Flamands d’origine,
comme Glouet, Watteau et Carpeaux, d’autres Belges de nation, ont vécu
en France, travaillé en France, et subi tout le long de leur carrière l’empire
du goût et de l'éducation française, tel Vandermeulen, Desjardins, Delcour,
Godecharle, ou, plus près de nous, Alfred Stevens ou van Rysselberghe.
L’art de Mme Yvonne Serruys1, vigoureux, abondant, tout imprégné d'une
saine et robuste sensualité, mais aussi de la plus fine intelligence française,
se rattache à cette tradition.
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Elle appartient par ses origines à cette vieille bourgeoisie flamande qui
parle français depuis des siècles et pour qui la vie de l’esprit a toujours été fran-
çaise. Elle est d'une de ces familles, jadis si nombreuses en pays flamand, qui,
de génération en génération, envoyaient leurs enfants terminer leur éduca-
tion à Paris, ne lisaient que des livres français et se faisaient gloire de vivre
au fond de leur province de la vie spirituelle française la plus ardente et la
plus raffinée. Elevée dans le goût des belles choses que donne souvent la
large aisance de ces vieilles familles, elle eut, dès l’adolescence, la passion de
l’œuvre d’art. Généralement, surtout chez une femme, cette passion ne
dépasse pas un dilettantisme intelligent ; les mieux douées vont jusqu’à se
donner un de ces jolis talents d’amateur dont tant de peintres peuvent
parfaitement se contenter à une époque où la peinture ne cherche plus guère
que l’agrément des «jolies taches » ou des esquisses adroitement improvi-
sées et où plus personne ne se donne la peine de composer un tableau.
Malgré l’intelligence et la probité virile, malgré le souci de la perfection et
l’horreur de l’à-peu-près qui caractérise son œuvre, Yvonne Serruys se serait
peut-être contentée de ce talent d’amateur qui convient si bien aux femmes,
si elle avait fait de la peinture. Mais elle est sculpteur, et la sculpture, par
sa nature même, par les lois physiques auxquelles elle est soumise, a
échappé à cette maladie de la facilité, de l’improvisation et du truquage qui
semble entraîner la peinture moderne vers une irrémédiable décadence ; la
sculpture demeure un art d’honnête homme, d’honnête artisan respectueux
de son métier, et c’est peut-être pourquoi il arrive si souvent qu’après une i-
i- Une exposition d’ensemble de l’œuvre de Mme Yvonne Serruys, à la galerie Hébrard
(5-20 novembre) vient de révéler au public parisien les différents aspects de ce talent
souple et puissant.