_ 171 —
« La tête, encore reconnaissable, et traitée
dans un style large et simple, plein de puis-
sance, est d'un aspect saisissant. La gueule
profondément ouverte, levée vers le ciel, sem-
ble jeter au monde un cri de désespoir et
d'indignation.
Tous les sentiments tumultueux qui de-
vaient se heurter dans l'âme des Hellènes
au lendemain de cette écrasante calamité, la
colère, le courage stérile, l'amour inextingui-
ble de la liberté, semblent résumés dans cette
tête superbe.
Nous protestons ici, au nom de l'art et de
l'histoire, contre l'abandon ou les conserva-
teurs des gloires nationales laissent ce mo-
nument ; car il y a des défaites qui honorent
plus que certaines victoires.
Rien ne serait plus facile cependant que
de dégager et d'abriter cette sculpture encore
belle, qui sans celà ne sera plus dans quel-
ques années qu'un bloc informe, ne se dis-
tinguant plus des roches tombés de la mon-
tagne.
Il serait bien à désirer que ces fragments
fussent protégés contre tout vandalisme fu
tur, et réunis, car c'est une magnifique élégie
en marbre et elle appartient à une époque où
la Grèce était encore grande dans les arts et
dans les armes.
C'était la fin de sa grandeur plutôt que le
commencement de sa décadence. »
On a bien rebâti, pierre à pierre, le char-
mant petit temple de Nike Apteros,de l'Acro-
pole d'Athènes, transformé en bastion par
les ingénieurs vénitiens de Morosini à la fin
du XVIIe siècle.
Pourquoi — le patriotisme aidant — les ar-
chéophiles helléniques ne provoqueraient ils
pas le rétablissement du Lion de Chéronée
à l'aide d'une souscription publique, si le
subside gouvernemental faisait défaut.
SCHOY.
Nous trouvons dans la Fédération artistique
du 25 novembre la lettre suivante qu'il nous
semble intéressant de communiquer à nos
lecteurs. Pierre Gervais n'eut pas mieux dit.
Bruxelles, 17 juillet 1881.
Cher Monsieur,
Vous désirez connaître le ou les titres des
tableaux que je compte exposer au prochain
Salon. Bien au regret de ne pouvoir vous
fournir deux lignes de copie, mais je n'expo-
serai pas cette année, ni l'année qui suivra,
ni peut-être plus jamais. A quoi bon me pro-
duire encore en Belgique! Je n'ai qu'à perdre
en exhibant mes tableaux, surtout mes por-
traits. J'en fis naguère l'expérience et chat
échaudé craint l'eau b oide.
Je ne vous apprendrai rien de nouveau, en
vous disant que, quoiqu'il écrivît, en dépit d'un
bagage de productions si délicieusement fran-
çaises, Adam eut la mal chance de s'entendre
toujours appeler l'auteur du Chàlet. Il en fut
de même pour Grisai*, tout sa vie l'auteur de
la Folle. Parle t-on de Slingeneyer, c'est son
Vengeur que l'on cite; de Willems, c'est la
Vente ou bien la Veuve. Et ce dernier est un
heureux comme Gallaif, dont tous les peintres
d'histoire vantent Art et Liberté alors que
tous les genrisles s'extasient devant les Têtes
coupées.
Moi, depuis quinze ans, je n'ai à mon actif
que l'œuvre que vous savez, j'aurais beau
faire dix fois mieux — et j'ai fait mieux —
que l'on m'opposerait toujours celte toile,
point de départ d'une esthétique à laquelle je
suis resté fidèle et dont toutes mes productions
sont filles. C'est sur ma façon de comprendre
l'art, de le traduire ainsi que je le ressens, en
se plaçant à mon point de vue, qu'il faudrait
me juger.
La critique n'en agit malheureusement pas
de la sorte. Je suis pour elle un doctrinaire
de l'art; sous prétexte que je ne vois point
comme certain de mes confrères plus jeunes,
les lions du moment, que j'admire autant
qu'elle-même, elle me condamne sans appel
après un examen hâtif. Je suis désolé de de-
voir vous l'écrire, mais aujourd'hui, dans
notre pays,on ne fait plus de criîiquesérieuse,
on se contente de reportage n'exigeant ni ex-
périence , ni connaissances , ni érudition.
L'article Salon, placé autrefois au rez-de-
chaussée du journal, paraît actuellement à
côté des laits divers, dans presque tous les
quotidiens.
Certes les artistes qui exposent s'exposent.
Mais ne pourrait-on point, quand on parle de
ceux qui sont depuis vingt ans sur la brèche,
et, en somme, pas les premiers venus, le faire
avec un peu plus de formes et même de bien-
veillance lorsque leur œuvre est moins heu-
reuse que d'autres vues précédemment? Et,
par bienveillance, je n'entends ni adniiratio v,
ni encens quand même, mais une certaine
modération de langage due au courage mal-
heureux. Ailleurs on salue les vaincus, chez
nous on les assomme.
Et cependant, sans vouloir médire de qui
que ce soit, et en proclamant bien haut les
mérites de ceux qui nous suivent, qu'eût été,
sans les anciens l'Exposition rétrospective?
Un vieux, dont on a plus d'une fois prononcé
le nom avec irrévérence, le père Navez, n'y
a-t-il pas été un événement? Ses admirables
portraits, valant ceux d'Ingres pour la sévérité
de la ligne, étaient comme coloris et métier,
bien supérieurs à ceux du maître français. Le
grand attrait de celte exposition ne fût-il pas
dû en majeure partie aux contingents fournis
par Gai-lait, Leys, Madou, Lies, Bossuet, Clays,
De Groux, Ferdinand De Eraekeieer, De.Key-
ser, De KnytF, De Winne, Adolphe Dillens,
Dyckmans, Fourmois Huberti, Kindermans,
Portaels, Louis Bobbe, Quinaux, Robert, Ro-
bie, Rollîaen, Stallaert, les deux Stevens,
Tschaggeny, Lamorinière, VanLerius, Bource,
Van Kuyck, Van Moer, Willems, etc., tous
artistes faits et donc la plupart, parmi ceux
qui restent, s'abstiennent systématiquement
aux salons triennaux.
Pourquoi? Je jugerais que c'est pour les
mêmes motifs que ceux que je viens de dé-
duire. Ils ont peur de la presse trop souvent
encline à se laisser endoctriner parles impa-
tients, hélas! beaucoup trop tôt sortis d-es
Ecoles, et pour lesquels tous ceux qui ont à
peine dépassé la cinquantaine ne sont plus que
des vieux. Bien heureux encore devons-nous
être lorsqu'on nous qualifie ainsi, aujourd'hui
que la langue parisienne est si riche en voca-
bles distingués.
Veuillez, etc.
Littérature.
BIBLIOGRAPHIE.
LES PRINTANIÈRES (1)
par HÉLÈNE SWARTH.
Voici une sœur cadette de madame Des-
bordes-Valmore. Ame de jeune fille, tendre
et rêveuse, sensible jusqu'à la souffrance,
délicate jusqu'à la maladie, — âme ployante,
comme une fleur sur une tige trop frêle. A
toutes deux, leur poésie a l'abandon d'une
verve facile, d'une émotion qui déborde et se
soulage en s'épanchanl. N'y cherchez que du
sentiment, et, dans la musique, des mots,
qu'un bruit d'âme.
Chez l'une, le chantre des Fleurs, — l'aînée
dans la passion, — le vers a des cris, une
stridence rauque de sanglot, et le rythme bat
impétueusement avec le cœur :
Malheur à moi ! je ne sais plus lui plaire,
Je ne suis plus le charme de ses yeux;
Ma voix n'a plus l'accent qui vient des deux
Pour attendrir sa jalouse colère.
Il ne vient plus, saisi d'un vague effroi,
Me demander des serments ou des larmes;
Il veille en paix, il s'endort sans alarmes,
Malheur à moi !
Le jeune poète des Printanières pleure aussi
les peines d'amour et porte
Un cœur jà mûr en un sein verdelet;
mais ses vers, comme la gaze de sa collerette,
ne palpitent encore qu'à peine, et sa voix,
pour gémir, n'a que de mélodieux soupirs et
qu'une faiblesse virginale. Comme YEloa de
Vigny, son talent est né d'une larme : mais
est-ce bien une larme? Et n'est-ce pas plutôt
une goutte de rosée, tombée sur ses yeux en
cueillant les lilas d'avril?
Volontiers le croirions-nous, et les Printa-
nières nous semblent bien mériter leur titre;
en maintes pages, on respire une fraîcheur
d'aube, une douceur parfumée de renouveau.
On évoque, en un pays d'idylle, sous un ciel
bleu tendre, mourant dans une pudeur rose,
la bachelette, la gente écolière, cherchant
déjà la rêverie des sentiers, tandis qu'avec de
malicieux chuchotements ;
(1) Arnhem, J. Minkman.
« La tête, encore reconnaissable, et traitée
dans un style large et simple, plein de puis-
sance, est d'un aspect saisissant. La gueule
profondément ouverte, levée vers le ciel, sem-
ble jeter au monde un cri de désespoir et
d'indignation.
Tous les sentiments tumultueux qui de-
vaient se heurter dans l'âme des Hellènes
au lendemain de cette écrasante calamité, la
colère, le courage stérile, l'amour inextingui-
ble de la liberté, semblent résumés dans cette
tête superbe.
Nous protestons ici, au nom de l'art et de
l'histoire, contre l'abandon ou les conserva-
teurs des gloires nationales laissent ce mo-
nument ; car il y a des défaites qui honorent
plus que certaines victoires.
Rien ne serait plus facile cependant que
de dégager et d'abriter cette sculpture encore
belle, qui sans celà ne sera plus dans quel-
ques années qu'un bloc informe, ne se dis-
tinguant plus des roches tombés de la mon-
tagne.
Il serait bien à désirer que ces fragments
fussent protégés contre tout vandalisme fu
tur, et réunis, car c'est une magnifique élégie
en marbre et elle appartient à une époque où
la Grèce était encore grande dans les arts et
dans les armes.
C'était la fin de sa grandeur plutôt que le
commencement de sa décadence. »
On a bien rebâti, pierre à pierre, le char-
mant petit temple de Nike Apteros,de l'Acro-
pole d'Athènes, transformé en bastion par
les ingénieurs vénitiens de Morosini à la fin
du XVIIe siècle.
Pourquoi — le patriotisme aidant — les ar-
chéophiles helléniques ne provoqueraient ils
pas le rétablissement du Lion de Chéronée
à l'aide d'une souscription publique, si le
subside gouvernemental faisait défaut.
SCHOY.
Nous trouvons dans la Fédération artistique
du 25 novembre la lettre suivante qu'il nous
semble intéressant de communiquer à nos
lecteurs. Pierre Gervais n'eut pas mieux dit.
Bruxelles, 17 juillet 1881.
Cher Monsieur,
Vous désirez connaître le ou les titres des
tableaux que je compte exposer au prochain
Salon. Bien au regret de ne pouvoir vous
fournir deux lignes de copie, mais je n'expo-
serai pas cette année, ni l'année qui suivra,
ni peut-être plus jamais. A quoi bon me pro-
duire encore en Belgique! Je n'ai qu'à perdre
en exhibant mes tableaux, surtout mes por-
traits. J'en fis naguère l'expérience et chat
échaudé craint l'eau b oide.
Je ne vous apprendrai rien de nouveau, en
vous disant que, quoiqu'il écrivît, en dépit d'un
bagage de productions si délicieusement fran-
çaises, Adam eut la mal chance de s'entendre
toujours appeler l'auteur du Chàlet. Il en fut
de même pour Grisai*, tout sa vie l'auteur de
la Folle. Parle t-on de Slingeneyer, c'est son
Vengeur que l'on cite; de Willems, c'est la
Vente ou bien la Veuve. Et ce dernier est un
heureux comme Gallaif, dont tous les peintres
d'histoire vantent Art et Liberté alors que
tous les genrisles s'extasient devant les Têtes
coupées.
Moi, depuis quinze ans, je n'ai à mon actif
que l'œuvre que vous savez, j'aurais beau
faire dix fois mieux — et j'ai fait mieux —
que l'on m'opposerait toujours celte toile,
point de départ d'une esthétique à laquelle je
suis resté fidèle et dont toutes mes productions
sont filles. C'est sur ma façon de comprendre
l'art, de le traduire ainsi que je le ressens, en
se plaçant à mon point de vue, qu'il faudrait
me juger.
La critique n'en agit malheureusement pas
de la sorte. Je suis pour elle un doctrinaire
de l'art; sous prétexte que je ne vois point
comme certain de mes confrères plus jeunes,
les lions du moment, que j'admire autant
qu'elle-même, elle me condamne sans appel
après un examen hâtif. Je suis désolé de de-
voir vous l'écrire, mais aujourd'hui, dans
notre pays,on ne fait plus de criîiquesérieuse,
on se contente de reportage n'exigeant ni ex-
périence , ni connaissances , ni érudition.
L'article Salon, placé autrefois au rez-de-
chaussée du journal, paraît actuellement à
côté des laits divers, dans presque tous les
quotidiens.
Certes les artistes qui exposent s'exposent.
Mais ne pourrait-on point, quand on parle de
ceux qui sont depuis vingt ans sur la brèche,
et, en somme, pas les premiers venus, le faire
avec un peu plus de formes et même de bien-
veillance lorsque leur œuvre est moins heu-
reuse que d'autres vues précédemment? Et,
par bienveillance, je n'entends ni adniiratio v,
ni encens quand même, mais une certaine
modération de langage due au courage mal-
heureux. Ailleurs on salue les vaincus, chez
nous on les assomme.
Et cependant, sans vouloir médire de qui
que ce soit, et en proclamant bien haut les
mérites de ceux qui nous suivent, qu'eût été,
sans les anciens l'Exposition rétrospective?
Un vieux, dont on a plus d'une fois prononcé
le nom avec irrévérence, le père Navez, n'y
a-t-il pas été un événement? Ses admirables
portraits, valant ceux d'Ingres pour la sévérité
de la ligne, étaient comme coloris et métier,
bien supérieurs à ceux du maître français. Le
grand attrait de celte exposition ne fût-il pas
dû en majeure partie aux contingents fournis
par Gai-lait, Leys, Madou, Lies, Bossuet, Clays,
De Groux, Ferdinand De Eraekeieer, De.Key-
ser, De KnytF, De Winne, Adolphe Dillens,
Dyckmans, Fourmois Huberti, Kindermans,
Portaels, Louis Bobbe, Quinaux, Robert, Ro-
bie, Rollîaen, Stallaert, les deux Stevens,
Tschaggeny, Lamorinière, VanLerius, Bource,
Van Kuyck, Van Moer, Willems, etc., tous
artistes faits et donc la plupart, parmi ceux
qui restent, s'abstiennent systématiquement
aux salons triennaux.
Pourquoi? Je jugerais que c'est pour les
mêmes motifs que ceux que je viens de dé-
duire. Ils ont peur de la presse trop souvent
encline à se laisser endoctriner parles impa-
tients, hélas! beaucoup trop tôt sortis d-es
Ecoles, et pour lesquels tous ceux qui ont à
peine dépassé la cinquantaine ne sont plus que
des vieux. Bien heureux encore devons-nous
être lorsqu'on nous qualifie ainsi, aujourd'hui
que la langue parisienne est si riche en voca-
bles distingués.
Veuillez, etc.
Littérature.
BIBLIOGRAPHIE.
LES PRINTANIÈRES (1)
par HÉLÈNE SWARTH.
Voici une sœur cadette de madame Des-
bordes-Valmore. Ame de jeune fille, tendre
et rêveuse, sensible jusqu'à la souffrance,
délicate jusqu'à la maladie, — âme ployante,
comme une fleur sur une tige trop frêle. A
toutes deux, leur poésie a l'abandon d'une
verve facile, d'une émotion qui déborde et se
soulage en s'épanchanl. N'y cherchez que du
sentiment, et, dans la musique, des mots,
qu'un bruit d'âme.
Chez l'une, le chantre des Fleurs, — l'aînée
dans la passion, — le vers a des cris, une
stridence rauque de sanglot, et le rythme bat
impétueusement avec le cœur :
Malheur à moi ! je ne sais plus lui plaire,
Je ne suis plus le charme de ses yeux;
Ma voix n'a plus l'accent qui vient des deux
Pour attendrir sa jalouse colère.
Il ne vient plus, saisi d'un vague effroi,
Me demander des serments ou des larmes;
Il veille en paix, il s'endort sans alarmes,
Malheur à moi !
Le jeune poète des Printanières pleure aussi
les peines d'amour et porte
Un cœur jà mûr en un sein verdelet;
mais ses vers, comme la gaze de sa collerette,
ne palpitent encore qu'à peine, et sa voix,
pour gémir, n'a que de mélodieux soupirs et
qu'une faiblesse virginale. Comme YEloa de
Vigny, son talent est né d'une larme : mais
est-ce bien une larme? Et n'est-ce pas plutôt
une goutte de rosée, tombée sur ses yeux en
cueillant les lilas d'avril?
Volontiers le croirions-nous, et les Printa-
nières nous semblent bien mériter leur titre;
en maintes pages, on respire une fraîcheur
d'aube, une douceur parfumée de renouveau.
On évoque, en un pays d'idylle, sous un ciel
bleu tendre, mourant dans une pudeur rose,
la bachelette, la gente écolière, cherchant
déjà la rêverie des sentiers, tandis qu'avec de
malicieux chuchotements ;
(1) Arnhem, J. Minkman.