550 LA PHÉNICIE ET SES DÉPENDANCES.
grand des monuments qui, comme une statue de femme rapportée
par M. de Vogué (fig. 374), pourraient avoir été aussi bien trouvés
ailleurs et n'ont plus ce que nous appellerons le goût du terroir1.
Cette originalité, plus apparente d'ailleurs que réelle, tient surtout
au fond d'habitudes asiatiques qui se conserva toujours dans l'île de
Cypre. La coiffure et le costume y gardèrent une grande variété, et,
dans cette variété même, un caractère plus oriental qu'hellénique.
Bonnets d'étoffe ou de feutre, tiares hautes ou basses, longues tuniques
collantes et tuniques courtes superposées à celles qui cachent toute
la personne, spirales d'or ou de bronze autour des bras, amples col-
liers à plusieurs rangs s'étalant sur la poitrine des hommes comme
sur la gorge des femmes, ceintures ornées de riches broderies et
d'images symboliques, tout cela fait bien plus songer à l'Egypte, à
l'Assyrie et à la Phénicie qu'à la Grèce. Alors même que le génie
grec, par les victoires des guerres médiques et par l'établissement
de l'empire maritime d'Athènes, eut conquis dans toutes les mers et
sur toutes les côtes de l'est cet ascendant qui prépare l'œuvre de la
conquête macédonienne, Cypre est encore restée, pendant plusieurs
siècles, l'héritière directe et l'élève attardée des vieilles civilisations
de l'Afrique et de l'Asie ; elle l'est restée aussi bien par ses usages et
par ses modes que par la persistance de son antique alphabet, par le
mélange des deux races qui s'y coudoyaient et des deux langues qui
s'y parlaient, ainsi que par la disposition même de ses temples et par
les rites du culte qui se célébrait dans ses sanctuaires. A tous égards,
les Grecs de Cypre n'ont jamais été que des Grecs incomplets et, si
l'on peut ainsi parler, des demi-Grecs. En poursuivant l'étude des
monuments qu'ils nous ont laissés, nous comprendrons mieux encore
les effets singuliers de ce que l'on peut nommer, pour emprunter le
langage de la physiologie, un arrêt de développement.
1. On peut citer aussi, comme exécutée dans le calcaire cypriote et pourtant toute
grecque de style, une assez belle figure de femme jouant de la lyre qui a été décrite par
Stark dans YArchxologischc Zcitung, 1871, pp. G7-7(i. Stark y verrait volontiers une œuvre
contemporaine d'Évagoras, qui aurait été modelée dans l'île par un sculpteur formé à
l'école des maîtres athéniens.
grand des monuments qui, comme une statue de femme rapportée
par M. de Vogué (fig. 374), pourraient avoir été aussi bien trouvés
ailleurs et n'ont plus ce que nous appellerons le goût du terroir1.
Cette originalité, plus apparente d'ailleurs que réelle, tient surtout
au fond d'habitudes asiatiques qui se conserva toujours dans l'île de
Cypre. La coiffure et le costume y gardèrent une grande variété, et,
dans cette variété même, un caractère plus oriental qu'hellénique.
Bonnets d'étoffe ou de feutre, tiares hautes ou basses, longues tuniques
collantes et tuniques courtes superposées à celles qui cachent toute
la personne, spirales d'or ou de bronze autour des bras, amples col-
liers à plusieurs rangs s'étalant sur la poitrine des hommes comme
sur la gorge des femmes, ceintures ornées de riches broderies et
d'images symboliques, tout cela fait bien plus songer à l'Egypte, à
l'Assyrie et à la Phénicie qu'à la Grèce. Alors même que le génie
grec, par les victoires des guerres médiques et par l'établissement
de l'empire maritime d'Athènes, eut conquis dans toutes les mers et
sur toutes les côtes de l'est cet ascendant qui prépare l'œuvre de la
conquête macédonienne, Cypre est encore restée, pendant plusieurs
siècles, l'héritière directe et l'élève attardée des vieilles civilisations
de l'Afrique et de l'Asie ; elle l'est restée aussi bien par ses usages et
par ses modes que par la persistance de son antique alphabet, par le
mélange des deux races qui s'y coudoyaient et des deux langues qui
s'y parlaient, ainsi que par la disposition même de ses temples et par
les rites du culte qui se célébrait dans ses sanctuaires. A tous égards,
les Grecs de Cypre n'ont jamais été que des Grecs incomplets et, si
l'on peut ainsi parler, des demi-Grecs. En poursuivant l'étude des
monuments qu'ils nous ont laissés, nous comprendrons mieux encore
les effets singuliers de ce que l'on peut nommer, pour emprunter le
langage de la physiologie, un arrêt de développement.
1. On peut citer aussi, comme exécutée dans le calcaire cypriote et pourtant toute
grecque de style, une assez belle figure de femme jouant de la lyre qui a été décrite par
Stark dans YArchxologischc Zcitung, 1871, pp. G7-7(i. Stark y verrait volontiers une œuvre
contemporaine d'Évagoras, qui aurait été modelée dans l'île par un sculpteur formé à
l'école des maîtres athéniens.