DANS LES
TRAGÉDIES DE SÉNÈQUE
Mémoire lu à l’Académie des inscriptions et belles-lettres
dans la séance du 21 octobre 186Zr-
La poétique a des lois naturelles, nécessaires, inhérentes à la na-
ture des choses mêmes; elle a aussi des règles conventionnelles, va-
riables, nées de l’usage, consacrées par la tradition. Les lois natu-
relles n’ont presque pas besoin d’être énoncées, elles s’entendent
assez d’elles-mêmes; mais, faciles à saisir, elles n’en sont pas moins
difficiles à observer : le génie les suit instinctivement, le talent vul-
gaire a beau les entendre proclamer, il ne réussit pas à s’y conformer.
Les règles conventionnelles peuvent aussi avoir leur raison d’être;
mais elles n’ont qu’un temps et deviennent bientôt une gêne, une en-
trave plutôt qu’un frein salutaire pour les artistes : elles ne sauraient
se deviner par instinct, il faut qu’elles soient formulées pour avoir
force de loi : elles n’en sont que plus superstitieusement obéies dans
les siècles de décadence, quand l’esprit d’imitation succède à l’inspi-
ration première.
Je trouve un exemple de ce fait général dans certaines particula-
rités des tragédies de Sénèque, et je demande la permission d’en en-
tretenir un instant cette savante assemblée,
Horace veut qu’il n’y ait jamais plus de trois interlocuteurs dans
une scène tragique, nec quarto, loqui persona laboret, et on sait qu’en
formulant cette règle, le poète latin n’a fait qu’ériger en précepte ce
TRAGÉDIES DE SÉNÈQUE
Mémoire lu à l’Académie des inscriptions et belles-lettres
dans la séance du 21 octobre 186Zr-
La poétique a des lois naturelles, nécessaires, inhérentes à la na-
ture des choses mêmes; elle a aussi des règles conventionnelles, va-
riables, nées de l’usage, consacrées par la tradition. Les lois natu-
relles n’ont presque pas besoin d’être énoncées, elles s’entendent
assez d’elles-mêmes; mais, faciles à saisir, elles n’en sont pas moins
difficiles à observer : le génie les suit instinctivement, le talent vul-
gaire a beau les entendre proclamer, il ne réussit pas à s’y conformer.
Les règles conventionnelles peuvent aussi avoir leur raison d’être;
mais elles n’ont qu’un temps et deviennent bientôt une gêne, une en-
trave plutôt qu’un frein salutaire pour les artistes : elles ne sauraient
se deviner par instinct, il faut qu’elles soient formulées pour avoir
force de loi : elles n’en sont que plus superstitieusement obéies dans
les siècles de décadence, quand l’esprit d’imitation succède à l’inspi-
ration première.
Je trouve un exemple de ce fait général dans certaines particula-
rités des tragédies de Sénèque, et je demande la permission d’en en-
tretenir un instant cette savante assemblée,
Horace veut qu’il n’y ait jamais plus de trois interlocuteurs dans
une scène tragique, nec quarto, loqui persona laboret, et on sait qu’en
formulant cette règle, le poète latin n’a fait qu’ériger en précepte ce