Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (4. Pér. 7.1912)

LE NOUVEAU TABLEAU DE BELLINI

AU LOUVRE

a figure du Sauveur de Giovanni
Bellini, traitée en demi-nature,
que vient d’acquérir le musée du
Louvre, est une des peintures les
plus importantes qui, depuis plu-
sieurs années, soient entrées dans
une collection publique. Tout
d’abord, c’est une œuvre d’art
parfaitement belle et sérieuse; en
second lieu, c’est un spécimen
incontestable du maître qui a
peut-être été le plus grand peintre
de Venise, au moment le plus intéressant de son développement
artistique.

L’authenticité du tableau est si claire, si évidente, qu’il est à
peine nécessaire de la démontrer par des rapprochements; qu’on se
contente de jeter les yeux sur le sévère petit tableau de Bellini à
la National Gallery (n° 1 233), Le Sang du Rédempteur. Ce sont
deux chefs-d’œuvre de la même main. Chaque détail anatomique
vaut une signature; j’en dirai autant du paysage, des nuages, de la
lumière, du traitement tout sculptural de la forme — héritage de
l’éducation padouane de Bellini, dont il devait se dépouiller un peu
plus tard.

Bien plus : non seulement les peintures sont du même artiste,
mais elles reflètent l’une et l’autre le même sentiment, le même
état d’âme. Et c’est en cela même que réside, à mon avis, l’intérêt
le plus significatif du nouveau tableau : dans le développement d’une
grande nature d’artiste, il se place au moment où l’art lui-même était
le plus apte à rendre le sentiment qui déborde de ce panneau : cette