RECHERCHES SUR L’HISTOIRE DE LA TAPISSERIE EN ALLEMAGNE
D’APRÈS DES DOCUMENTS INÉDITS1
(SUITE)
III. — l’atelier de lauingen.
Les premiers renseignements que nous possédions sur les
fabriques de haute lisse établies en Bavière — je parle de
fabriques vraiment dignes de ce nom — remontent à l’an-
née 1540. Auparavant la maison palatino-bavaroise semble
avoir demandé à l’industrie flamande les tentures dont elle
avait besoin : lasse enfin de payer ce tribut à l’étranger, elle
résolut d’implanter des métiers dans ses propres États et fit
choix à cet effet de la ville de Lauingen. C’est là que furent
exécutées, probablement ' d’après les cartons du peintre
Mathias Gerung, de Nordlingen2, les tapisseries si élégantes
du château de Neubourg : les Ancêtres, les Cités saintes de la
Palestine, un Camp. Quelques-unes d’entre elles existent
encore à Neubourg; une autre a passé dans une collection
particulière; d'autres sont exposées au Musée national de
Munich. Nous étudierons en détail ces dernières.
Les tapisseries de Lauingen exposées au Musée national
de Munich sont au nombre de cinq. Si elles ne brillent point
par la richesse de la matière première — elles contiennent
peu de soie et encore moins d’or — en revanche il y a dans
leur simplicité je ne sais quel caractère de grandeur qui finit
par séduire. Les couleurs sont peu vives; cependant dans les
draperies les tons bleus et cramoisis ne manquent pas d’éclat;
on sent dans le modelé de celles-ci la main exercée des tapis-
siers flamands. Dans les trois premières3, l’auteur des cartons
semble avoir pris à tâche de montrer quel parti on peut tirer
des motifs héraldiques pour de grandes compositions décora-
tives. Ces arbres généalogiques —■ car en réalité ce n’est pas
autre chose —- avec les personnages étagés les uns au-dessus
des autres et ayant à côté d’eux leur écusson, leurs insignes,
les inscriptions relatant leurs noms et titres (les femmes
tiennent parfois une fleur à la main), forment un ensemble qui
frappe par son harmonie et sa sévérité. Un sentiment com-
mun celui de la solidarité de la famille, semble unir ces che-
valiers bardés de fer (probablement copiés sur de vieux por-
traits), dont les descendants devaient être appelés un jour à
ceindre la couronne royale. Les oiseaux représentés au pre-
mier plan, le feuillage aux tons conventionnels (tantôt d’un
vert bleuâtre, tantôt jaune), les bordures avec leurs fleurs ou
leurs fruits prenant naissance dans un vase placé dans le bas,
ajoutent encore à l’effet général.
L’auteur des cartons, évidemment, n’avait pas assez de
talent pour créer des scènes mouvementées, dramatiques;
ce n’est pas un peintre d’histoire, c’est un chroniqueur. Mais
dans ce domaine restreint il nous intéresse et nous charme
par la vérité des portraits, la précision des costumes et des
t. Voir l’Art, 8' année, tome II, page 194.
2. Sighart, Geschichte der bildenden Künste in Bayent, t. II, p. 60+, 658
hypothèse en certitude. - D'après le Künstler-lexicon de Nagler, Mathias Gerung vr
3. D'après le catalogue (éd. de 1868, p. 200), une quatrième pièce de la meme s,
4. Voy. les Jahrbücherfur Kunstivissenschaft, 1870, p. ~3i -34.
5. Les achats faits à Anvers comprenaient l'Historia Herculus (sic), de 441 aun
Wundergoes (Van der Goes), - Y Historia Cyripedi Perssia (sic, pour Re di Perst,
Boscaglie, de 632 aunes 1/4, à 1 thaler 1/2 chacune, acquises de Martin Stuerbant (n«
6. Archives royales de Munich, n» 21. Un autre document (n- 17) contient la list
marchands d’Anvers. Voy. mon Histoire de la Tapisserie italienne, p. 79- Voy. auss
7* Archives royales de Munich.
attributs, la netteté du groupement, enfin par le grand carac-
tère d’honnêteté et de sincérité.
Ces trois tentures portent dans la bordure inférieure la
date de 1540, et, au centre de la bordure verticale, à gauche,
le monogramme O. H. S. (Othon-Henri et Suzanne), à droite
M. D. Z. (Mit der Zeit, avec le temps).
Une quatrième pièce représente le pèlerinage fait à Jérusa-
lem, en 1521, par le comte palatin Othon Henri de Neubourg.
Elle nous montre au premier plan les pèlerins agenouillés,
plus loin la ville sainte avec les lieux où le Christ a souffert
la Passion.
La cinquième tenture, exposée dans la salle voisine, est
postérieure aux précédentes (elle porte la date de 1557) ; on y
voit l’arbre généalogique du même prince, devenu électeur de
Bavière. La bordure est d’un autre dessin.
IV. — LA PREMIÈRE MANUFACTURE DE MUNICH.
Le duc Albert V fit un pas de plus : il entreprit de fonder
dans sa capitale même une manufacture de haute lisse. Nous
possédons encore les lettres qu’il échangea à ce sujet avec
Jean Fugger, d’Anvers : au mois de février 1565, Fugger an-
nonce au prince qu’il vient de trouver deux maîtres-tapissiers
prêts à partir pour Munich b Mais là s’arrête malheureusement
la correspondance, et l’on en est réduit à ignorer si l’entre-
prise fut couronnée d’un plein succès.
Le duc Maximilien Ie1' le Grand (1573-1651) compte parmi
les protecteurs les plus éclairés de l’art de la tapisserie. Nous
le voyons, de i6o3 à 1615, commander, acheter ou négocier
des suites précieuses soit à Anvers5, soit à Venise. Le détail
de ces négociations nous entraînerait trop loin. Qu’il nous
suffise de dire qu’en i6o3 le duc acquit à Venise, de Jean van
der Goisz (Goes), par l’intermédiaire de Marx Fugger, une
Histoire d’Annibal en sept pièces, de 6 aunes brabançonnes
de haut et de 46 aunes de cours, soit, au total, 276 aunes
carrées i:.
Le duc encourageait en même temps la fabrique, ou plu-
tôt les ateliers qui avaient pris naissance dans une ville du
Palatinat, à Frankenthal. Une lettre du z3 mars i6o3 nous
apprend qu’il y négociait des tapisseries exécutées par Eberhart
de Orle (une Histoire de Josué en 8 pièces), et par Pierre de
Waeyere (quatre pièces de « von Poeterei » ) ; il est en outre
question d’une Histoire de Diana et Calixte, d’une Histoire
de Romulus et de Rémus, de verdures (Laubwerk7).
Les noms qui viennent d’etre prononcés prouvent que
nous avons, affaire à des Flamands ; on sait avec quelle facilité
les tapissiers de Bruxelles s’expatriaient et dressaient leurs
, 714. Le catalogue du Musée national de Munich transforme sans tarder celte
■ait encore en i55o.
lite fait aujourd’hui partie d’une collection privée.
es brabançonnes, à 3 « Churf, Philips Thaler», chaque aune, acquise de Johannes
z), 498 aunes, à 4 thalers chacune, acquises de Jame Sweertn le jeune; — les
26).
e des tapisseries offertes en vente, à Venise, par les frères Van der Goes et autres
i n° 80.
D’APRÈS DES DOCUMENTS INÉDITS1
(SUITE)
III. — l’atelier de lauingen.
Les premiers renseignements que nous possédions sur les
fabriques de haute lisse établies en Bavière — je parle de
fabriques vraiment dignes de ce nom — remontent à l’an-
née 1540. Auparavant la maison palatino-bavaroise semble
avoir demandé à l’industrie flamande les tentures dont elle
avait besoin : lasse enfin de payer ce tribut à l’étranger, elle
résolut d’implanter des métiers dans ses propres États et fit
choix à cet effet de la ville de Lauingen. C’est là que furent
exécutées, probablement ' d’après les cartons du peintre
Mathias Gerung, de Nordlingen2, les tapisseries si élégantes
du château de Neubourg : les Ancêtres, les Cités saintes de la
Palestine, un Camp. Quelques-unes d’entre elles existent
encore à Neubourg; une autre a passé dans une collection
particulière; d'autres sont exposées au Musée national de
Munich. Nous étudierons en détail ces dernières.
Les tapisseries de Lauingen exposées au Musée national
de Munich sont au nombre de cinq. Si elles ne brillent point
par la richesse de la matière première — elles contiennent
peu de soie et encore moins d’or — en revanche il y a dans
leur simplicité je ne sais quel caractère de grandeur qui finit
par séduire. Les couleurs sont peu vives; cependant dans les
draperies les tons bleus et cramoisis ne manquent pas d’éclat;
on sent dans le modelé de celles-ci la main exercée des tapis-
siers flamands. Dans les trois premières3, l’auteur des cartons
semble avoir pris à tâche de montrer quel parti on peut tirer
des motifs héraldiques pour de grandes compositions décora-
tives. Ces arbres généalogiques —■ car en réalité ce n’est pas
autre chose —- avec les personnages étagés les uns au-dessus
des autres et ayant à côté d’eux leur écusson, leurs insignes,
les inscriptions relatant leurs noms et titres (les femmes
tiennent parfois une fleur à la main), forment un ensemble qui
frappe par son harmonie et sa sévérité. Un sentiment com-
mun celui de la solidarité de la famille, semble unir ces che-
valiers bardés de fer (probablement copiés sur de vieux por-
traits), dont les descendants devaient être appelés un jour à
ceindre la couronne royale. Les oiseaux représentés au pre-
mier plan, le feuillage aux tons conventionnels (tantôt d’un
vert bleuâtre, tantôt jaune), les bordures avec leurs fleurs ou
leurs fruits prenant naissance dans un vase placé dans le bas,
ajoutent encore à l’effet général.
L’auteur des cartons, évidemment, n’avait pas assez de
talent pour créer des scènes mouvementées, dramatiques;
ce n’est pas un peintre d’histoire, c’est un chroniqueur. Mais
dans ce domaine restreint il nous intéresse et nous charme
par la vérité des portraits, la précision des costumes et des
t. Voir l’Art, 8' année, tome II, page 194.
2. Sighart, Geschichte der bildenden Künste in Bayent, t. II, p. 60+, 658
hypothèse en certitude. - D'après le Künstler-lexicon de Nagler, Mathias Gerung vr
3. D'après le catalogue (éd. de 1868, p. 200), une quatrième pièce de la meme s,
4. Voy. les Jahrbücherfur Kunstivissenschaft, 1870, p. ~3i -34.
5. Les achats faits à Anvers comprenaient l'Historia Herculus (sic), de 441 aun
Wundergoes (Van der Goes), - Y Historia Cyripedi Perssia (sic, pour Re di Perst,
Boscaglie, de 632 aunes 1/4, à 1 thaler 1/2 chacune, acquises de Martin Stuerbant (n«
6. Archives royales de Munich, n» 21. Un autre document (n- 17) contient la list
marchands d’Anvers. Voy. mon Histoire de la Tapisserie italienne, p. 79- Voy. auss
7* Archives royales de Munich.
attributs, la netteté du groupement, enfin par le grand carac-
tère d’honnêteté et de sincérité.
Ces trois tentures portent dans la bordure inférieure la
date de 1540, et, au centre de la bordure verticale, à gauche,
le monogramme O. H. S. (Othon-Henri et Suzanne), à droite
M. D. Z. (Mit der Zeit, avec le temps).
Une quatrième pièce représente le pèlerinage fait à Jérusa-
lem, en 1521, par le comte palatin Othon Henri de Neubourg.
Elle nous montre au premier plan les pèlerins agenouillés,
plus loin la ville sainte avec les lieux où le Christ a souffert
la Passion.
La cinquième tenture, exposée dans la salle voisine, est
postérieure aux précédentes (elle porte la date de 1557) ; on y
voit l’arbre généalogique du même prince, devenu électeur de
Bavière. La bordure est d’un autre dessin.
IV. — LA PREMIÈRE MANUFACTURE DE MUNICH.
Le duc Albert V fit un pas de plus : il entreprit de fonder
dans sa capitale même une manufacture de haute lisse. Nous
possédons encore les lettres qu’il échangea à ce sujet avec
Jean Fugger, d’Anvers : au mois de février 1565, Fugger an-
nonce au prince qu’il vient de trouver deux maîtres-tapissiers
prêts à partir pour Munich b Mais là s’arrête malheureusement
la correspondance, et l’on en est réduit à ignorer si l’entre-
prise fut couronnée d’un plein succès.
Le duc Maximilien Ie1' le Grand (1573-1651) compte parmi
les protecteurs les plus éclairés de l’art de la tapisserie. Nous
le voyons, de i6o3 à 1615, commander, acheter ou négocier
des suites précieuses soit à Anvers5, soit à Venise. Le détail
de ces négociations nous entraînerait trop loin. Qu’il nous
suffise de dire qu’en i6o3 le duc acquit à Venise, de Jean van
der Goisz (Goes), par l’intermédiaire de Marx Fugger, une
Histoire d’Annibal en sept pièces, de 6 aunes brabançonnes
de haut et de 46 aunes de cours, soit, au total, 276 aunes
carrées i:.
Le duc encourageait en même temps la fabrique, ou plu-
tôt les ateliers qui avaient pris naissance dans une ville du
Palatinat, à Frankenthal. Une lettre du z3 mars i6o3 nous
apprend qu’il y négociait des tapisseries exécutées par Eberhart
de Orle (une Histoire de Josué en 8 pièces), et par Pierre de
Waeyere (quatre pièces de « von Poeterei » ) ; il est en outre
question d’une Histoire de Diana et Calixte, d’une Histoire
de Romulus et de Rémus, de verdures (Laubwerk7).
Les noms qui viennent d’etre prononcés prouvent que
nous avons, affaire à des Flamands ; on sait avec quelle facilité
les tapissiers de Bruxelles s’expatriaient et dressaient leurs
, 714. Le catalogue du Musée national de Munich transforme sans tarder celte
■ait encore en i55o.
lite fait aujourd’hui partie d’une collection privée.
es brabançonnes, à 3 « Churf, Philips Thaler», chaque aune, acquise de Johannes
z), 498 aunes, à 4 thalers chacune, acquises de Jame Sweertn le jeune; — les
26).
e des tapisseries offertes en vente, à Venise, par les frères Van der Goes et autres
i n° 80.