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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 8.1882 (Teil 3)

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CCCIII
Philosophie de l’art, par H. Taine (de l’Académie française).
Deux volumes in-18. Hachette et Cic, éditeurs.
(fin t)
Dans le passage relatif à l’architecture n’y a-t-il pas une
autre erreur de principes ou plutôt une pétition de principes
très grave ? L’architecture est un art assurément et .un grand
art, mais elle repose sur une science (contrairement à tous les
autres arts dans lesquels la science n’est que l’instrument).
D’autre part, elle répond à certaines nécessités inférieures, au
besoin de conservation de l’espèce humaine. Par là encore elle
diffère essentiellement des arts poétique, plastique, pittoresque,
et de l’art musical. En conséquence, ce qui doit primer la
manifestation esthétique en architecture, c’est l’appropriation
de l’édifice à certains besoins qu’il faut prévoir. L’architecte qui
concevrait à l’avance un certain caractère dominant, sérénité,
simplicité, force, élégance, etc., tomberait dans une erreur
commune d’ailleurs à la grande majorité des architectes
contemporains; ceux-ci ne s’inquiètent guère en effet de la
logique ni du rapport rigoureux qui doit exister entre la distri-
bution intérieure du monument et sa configuration extérieure.
Nos architectes concevant, comme le veut M. Taine, tel carac-
tère dominant sans consulter les nécessités essentielles de la
destination dans leurs édifices, il en résulte ces contresens
singuliers qui affligent nos regards tous les jours : des fenêtres,
par exemple, ouvertes en façade pour la symétrie et rebouchées
après coup ou coupées en deux parties par un plancher ou
bien encore traversées diagonalement par un escalier. Je
m’étonne que M. Taine ait laissé échapper cette erreur, lui
qui dans son Tite-Live avait écrit certaines pages dont l’esprit
s’applique avec tant de précision à l’architecture :
Jusqu'à présent nous n'avions que des matériaux inertes et des lois inactives.
Les voilà qui se meuvent au souffle divin de lame. La science devient art. —
Elle ne prend pas pour cela un habillement étranger et extérieur. Elle ne
reçoit que sa forme naturelle et définitive. Ses ornements sont inséparables
d’elle; ils la figurent aux yeux, comme les feuilles d’une plante manifestent la
force qui les produit.
C’est de l’histoire que parle ici l’écrivain ; mais ne faut-il
pas être averti! Suivons la citation, achevons cette page, que
le lecteur prenne soin de transposer légèrement quelques
termes et il trouvera défini d’une manière excellente le double
rôle de la science et de l’art dans l’architecture. Il y aurait
vraiment peu de chose à faire pour appliquer exactement à
l’architecture tout ce que M. Taine écrit de l’historien ( Tite-
Live, p. 181 à 185). Mais passons, et en passant constatons
précisément que par cette attache scientifique l’histoire et
l’architecture, n’étant pas désintéressées, ne peuvent prétendre
au rang des autres arts. En dépit de ces critiques de détail,
nous reconnaissons volontiers la justesse des idées générales
par lesquelles M. Taine rattache l’architecture et la musique
à la définition qu’il a donnée antérieurement des arts d’imi-
tation : la poésie, la peinture et la sculpture. Ce qui subsiste
de nos réserves, c’est l’objection fondamentale sur le but de
l’œuvre d’art, très différent à nos yeux de celui que lui assigne
le professeur. Dans la conclusion de sa première leçon « sur la
nature de l’œuvre d’art », il réduit de nouveau l’art à n’être
qu’une simple manifestation des causes permanentes, des lois
i. Voir l’Art, 8e année, tome III, page ciS.

génératrices desquelles dépend l’humanité; une constatation
des caractères dominateurs et essentiels qui régissent l’ensemble
des êtres et des choses; une expression de ces causes, de ces
lois, de ces caractères, s’adressant aux sens et au cœur de
l’homme; il réduit l’art en un mot au rôle de document et de
procès-verbal. J’ai dit le motif de cette erreur. M. Taine a
méconnu le principe primordial de l’art, qui est l’émotion
poétique, plastique ou pittoresque étroitement liée aux facultés
d’imagination. 11 s’ensuit qu’il méconnaît tout le côté réellement
enchanteur de l’art, la partie de dilettantisme, de jouissance,
et, ce qui est plus grave, la partie profondément humaine,
indépendantes l’une et l’autre de la qualité de l’objet représenté
qui n’est que le prétexte et non le but. S’il était réellement ce
que dit M. Taine, l’art nous replongerait dans ce milieu assez
triste, dans ce monde où nous nous agitons pendant un court
espace de temps, alors que le privilège de l’art est précisément
de nous arracher à ce milieu qui nous tient à l’étroit et de
nous enlever aux misères de la réalité, la réalité n’étant, je le
répète, que le prétexte et l’occasion, l’accident par lequel
s’éveille la faculté supérieure : l’imagination.
Après avoir examiné la nature de l’œuvre d’art, M. Taine
consacre la seconde partie de la Philosophie de l’art à étudier
la loi de sa production qu’il formule en ces termes- : « L’œuvre
d’art est déterminée par un ensemble qui est l’état général de
l’esprit et des mœurs environnantes. » Il établit cette loi par
deux sortes de preuves, l’une d’expérience, l’autre de raison-
nement. La première constate les cas nombreux dans lesquels
la loi se vérifie, la seconde démontre ce que la première a
constaté. Pour exposer cette action des milieux sur l’œuvre
d’art, l’auteur suppose un temps, une société dans un état
général déterminé. Il appuie ses affirmations d’exemples
nombreux, empruntés à la civilisation grecque produisant la
sculpture antique, à la civilisation du moyen âge produisant
l’architecture gothique, à la civilisation française du xvn» siècle
produisant la tragédie classique, à la civilisation contemporaine
produisant la poésie lyrique et philosophique et un art nouveau,
la musique, dont la floraison concorde avec le grand renouvel-
lement des idées modernes, dont l’expression vague et n’imitant
aucune forme vivante est, surtout dans la musique instrumen-
tale, assez semblable « aux rêves d’une âme incorporelle » et
convient par conséquent mieux que tout autre art pour expri-
mer les pensées flottantes, les songes sans forme, les désirs sans
objet et sans limites, le pêle-mêle douloureux et grandiose d’un
cœur troublé qui aspire à tout et ne s’attache à rien », les
agitations, les mécontentements, les mécomptes, les espérances
qui sont le fond du sentiment moderne.
Poussant l’examen de cette loi des milieux jusqu’en ses
dernières conséquences, M. Taine fait observer que dans les
divers cas qu’il a examinés on a dû remarquer d’abord une
situation générale, c’est-à-dire un ensemble de circonstances
heureuses ou malheureuses auxquelles les hommes se trouvent
pliés et assujettis :
Cette situation, dit-il, développe en eux des besoins correspondants, des
aptitudes distinctes, des sentiments particuliers, par exemple l’activité physique
ou le penchant au rêve, ici la rudesse et là-bas la douceur, tantôt 1 instinct de la
guerre, tantôt le talent de parler, tantôt le désir de jouir, entre autres dispositions
infiniment variées et complexes. Or ce groupe de sentiments, de besoins et
d’aptitudes constitue, lorsqu'il se manifeste tout entier et avec éclat dans une
même âme, le personnage régnant, c’est-à-dire le modèle que les contemporains
entourent de leur admiration et de leur sympathie.Mais comme ce personnage
est de tous le plus intéressant, le plus important et le plus en vue, c est lui que
les artistes présentent au public, tantôt concentré en une figure vivante lorsque
 
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