ET DE LA CURIOSITÉ
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de l'affirmer. Gomme dessinateur, comme peintre,
comme lithographe ou même comme aquafortiste,
Forain s'est montré maintes et maintes fois. Mais
peut-être saisit-on mieux devant une pareille réu-
nion ce qu'est sa verve, ironique jusqu'à sembler
cruelle, ce qu'est son esprit endiablé, aigu et mor-
dant. Dans l'universalité de ses techniques, il a
scruté les bas-fonds de l'âme dos hommes, dévoilé
avec un scepticisme dédaigneux toutes les petites
turpitudes, montré des êtres falots, d'une canaille-
rie sans prestige, également méprisables lorsque
le désir bestial les guide dans des chambres de
bonnes ou les égare dans quelque tripot. Ce sont
de petites passions, sans élan ni éloquence,, des
désirs et des appétits sournois, sans violence et
sans orgueil, qu'il s'est plu à souligner d'un trait
incisif, caustique, presque méchant. Les habitudes
et les instincts ravalés, unifiés par une vie sans
idéal, sans témérité, sans vision fière, ont en lui
un transcripteur implacable. Monde des courses,
monde des valets, et cet autre monde que l'on
nomme « le monde » où errent tant de valets sans
livrée, partout où sont les infirmités morales, les
êtres que les affronts laissent insensibles, dont
l'échiné est prête à toujours s'incliner, c'est aux
lieux où ils errent que Forain s'est arrêté avec un
visible et surprenant plaisir.
Sur cette pente M. Forain devait fatalement,
comme Daumier, à qui on l'a comparé, pour cela
peut-être, bien qu'ils soient d'esprit très dissem-
blable, aboutir au prétoire et s'attarder devant les
juges, à ces tribunaux où les hommes viennent
étaler sans vergogne toutes leurs âpretés, toutes
leurs haines et toutes leurs sottises. Et voilà
parmi les scènes de huis-clos que sa pitié S'est
éveillée. Elle est allée vers tous ceux à qui. la vie
fut implacable, vers ceux qui trouvèrent en nais-
sant la misère installée à leur chevet et qui l'eurent
comme compagne assidue à toutes les heures que
la destinée leur infligea : bambins qui ignorent qu'il
peut y avoir quelque douceur à vivre, femmes dont
les détresses furent sans nombre, pauvres gueux
dont chaque réveil apporte le problème du pain
quotidien. C'est pour les montrer, victimes dési-
gnées des vindictes sociales, affalés, échoués sur
ces bancs qui, pour eux, ne sont pas plus infâmes
que tout autre, que M. Forain a point quelques-
unes de ses plus belles pages, éloquentes et sobres,
dans leur gamme sévère comme un réquisiloiiv.
Dès lors, l'évolution dernière de M. Forain,
celle dont quelques-uns se sont étonnés, devient
très naturelle. Sa pitié pour les déchus devait
l'amener vers la noblesse consolante du christia-
nisme. Il devait s'éprendre do celui qui, par
amour de ses frères, vint échouer devant le tribu-
nal de Pilate ; il devait se rattacher aux légendes
qui le prophétisent ou le racontent, aller vers cette
victime sans cesse flagellée qui impose sa rési-
gnation en exemple et dont la douleur, immense
et sans cesse renouvelée, s'offre comme nue con-
solation.
Que le souvenir de Rembrandt s'impose devant
des scènes comme Le Fils prodigue, il n'y a là
que rencontre de deux sensibilités émues par le
même thème, et qui expriment leur émotion par des
nuances qui se rejoignent à travers le temps. C'est
son époque qui a créé Forain, dans ses bonnes et
ses mauvaises productions. Il participe du mou-
vement de réalisme aigu que suscita la vogue du
japonisme et dont M. Degas demeure la personna-
lité la plus complète ; en même temps il rejoint la
tendance idéaliste qu'exprime à l'heure actuelle
un groupe important d'artistes de tout ordre :
peintres, littérateurs ou musiciens.
Exposition Lucien Bonvallet
(Musée des Arts décoratifs)
C'est l'œuvre d'un artiste qui décora avec
mièvrerie le pourtour des assiettes, se passionna
un instant, dans les dernières années du xrx° siè-
cle, pour la broderie et la traita avec un sûr ins-
tinct de la couleur, dessina de belles pièces pour
un orfèvre, et linit par manifester ses goûts et son
besoin de créer dans ces beaux vases de forme
vigoureuse et franche où se détache, en un relief
puissant, une ornementation prise presque tou-
jours à la flore ou au monde marin. Le cuivre
est maintenant la matière préférée de M. Bon-
vallet. C'est lui qu'il emploie pour exprimer le
plus pleinement son besoin d'harmonie et de
beauté.
Exposition de « La Femme et l'Enfant »
(Galerie Reitlinger)'
Le titre promet beaucoup. Le thème dont il se
réclame est un de ceux qui inspira aux artistes de
tous les temps les plus parfaits chefs-d'œuvre.
L'exposition qui s'en est parée est, hélas ! réduite
à bien peu. Si l'on met à part les scènes spiri-
tuelles de M. Pierre Brissaud, un dessin de M.
Ghahine qui s'apparente par sa pose à la Maja
desnuda de Goya, les fantaisies gracieuses de
M. Lepape, les études de M. Xavier Gosé, les
précieux et adorables bonshommes do M. Ray
qui ont des gestes de grandes personnes, ceux
de M. Poulbot, naïfs, ingénus et véridiques, les
toiles de M. Eugène-Paul Ullmann qui sont d'un
Stevens dont la palette se serait éclaircie, et
encore les notes délicates et pleines de charme de
M. Cosson, les deux tableaux de M. Richard Mil-
ler d'une correction un peu froide, que restc-t-il
qui soit au-dessus du médiocre ?
Exposition Josué Gabokiaud
(Galerie Druet)
On démêle aisément plusieurs influences dans la
peinture de M. Gaboriaud. Son plafond pour
M. SanchoUe-IIeuraux ne peut renier les ligures de
M. Besnard, et son admiration pour M. Roussel
est manifeste dans maint paysage et dans cer-
taines scènes qui ont le charme subtil des lé-
gendes mythologiques. Mais M. Gaboriaud reste
personnel par son émotion, son sens du rythme,
son amour de l'harmonie. Certains panneaux, par
leur richesse, appellent l'interprétation de la ta-
pisserie, et quelques paysages s'étendent joyeu-
sement jusqu'aux confins bleutés où, pour la joie
des rêves, le ciel s'unit à l'horizon terrestre.
René Jean.
Académie des Beaux-Arts
Séance du 18 janvier
Le. crâne de Descartes. — M. Paul Richer sou-
met à l'Académie les résultats de ses recherches
relatives au crâne hypothétique de Descartes
conservé au Muséum et qu'il a comparé aux
différents portraits du philosophe, notamment à
celui do Frans Hais au Louvre. Il explique en
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de l'affirmer. Gomme dessinateur, comme peintre,
comme lithographe ou même comme aquafortiste,
Forain s'est montré maintes et maintes fois. Mais
peut-être saisit-on mieux devant une pareille réu-
nion ce qu'est sa verve, ironique jusqu'à sembler
cruelle, ce qu'est son esprit endiablé, aigu et mor-
dant. Dans l'universalité de ses techniques, il a
scruté les bas-fonds de l'âme dos hommes, dévoilé
avec un scepticisme dédaigneux toutes les petites
turpitudes, montré des êtres falots, d'une canaille-
rie sans prestige, également méprisables lorsque
le désir bestial les guide dans des chambres de
bonnes ou les égare dans quelque tripot. Ce sont
de petites passions, sans élan ni éloquence,, des
désirs et des appétits sournois, sans violence et
sans orgueil, qu'il s'est plu à souligner d'un trait
incisif, caustique, presque méchant. Les habitudes
et les instincts ravalés, unifiés par une vie sans
idéal, sans témérité, sans vision fière, ont en lui
un transcripteur implacable. Monde des courses,
monde des valets, et cet autre monde que l'on
nomme « le monde » où errent tant de valets sans
livrée, partout où sont les infirmités morales, les
êtres que les affronts laissent insensibles, dont
l'échiné est prête à toujours s'incliner, c'est aux
lieux où ils errent que Forain s'est arrêté avec un
visible et surprenant plaisir.
Sur cette pente M. Forain devait fatalement,
comme Daumier, à qui on l'a comparé, pour cela
peut-être, bien qu'ils soient d'esprit très dissem-
blable, aboutir au prétoire et s'attarder devant les
juges, à ces tribunaux où les hommes viennent
étaler sans vergogne toutes leurs âpretés, toutes
leurs haines et toutes leurs sottises. Et voilà
parmi les scènes de huis-clos que sa pitié S'est
éveillée. Elle est allée vers tous ceux à qui. la vie
fut implacable, vers ceux qui trouvèrent en nais-
sant la misère installée à leur chevet et qui l'eurent
comme compagne assidue à toutes les heures que
la destinée leur infligea : bambins qui ignorent qu'il
peut y avoir quelque douceur à vivre, femmes dont
les détresses furent sans nombre, pauvres gueux
dont chaque réveil apporte le problème du pain
quotidien. C'est pour les montrer, victimes dési-
gnées des vindictes sociales, affalés, échoués sur
ces bancs qui, pour eux, ne sont pas plus infâmes
que tout autre, que M. Forain a point quelques-
unes de ses plus belles pages, éloquentes et sobres,
dans leur gamme sévère comme un réquisiloiiv.
Dès lors, l'évolution dernière de M. Forain,
celle dont quelques-uns se sont étonnés, devient
très naturelle. Sa pitié pour les déchus devait
l'amener vers la noblesse consolante du christia-
nisme. Il devait s'éprendre do celui qui, par
amour de ses frères, vint échouer devant le tribu-
nal de Pilate ; il devait se rattacher aux légendes
qui le prophétisent ou le racontent, aller vers cette
victime sans cesse flagellée qui impose sa rési-
gnation en exemple et dont la douleur, immense
et sans cesse renouvelée, s'offre comme nue con-
solation.
Que le souvenir de Rembrandt s'impose devant
des scènes comme Le Fils prodigue, il n'y a là
que rencontre de deux sensibilités émues par le
même thème, et qui expriment leur émotion par des
nuances qui se rejoignent à travers le temps. C'est
son époque qui a créé Forain, dans ses bonnes et
ses mauvaises productions. Il participe du mou-
vement de réalisme aigu que suscita la vogue du
japonisme et dont M. Degas demeure la personna-
lité la plus complète ; en même temps il rejoint la
tendance idéaliste qu'exprime à l'heure actuelle
un groupe important d'artistes de tout ordre :
peintres, littérateurs ou musiciens.
Exposition Lucien Bonvallet
(Musée des Arts décoratifs)
C'est l'œuvre d'un artiste qui décora avec
mièvrerie le pourtour des assiettes, se passionna
un instant, dans les dernières années du xrx° siè-
cle, pour la broderie et la traita avec un sûr ins-
tinct de la couleur, dessina de belles pièces pour
un orfèvre, et linit par manifester ses goûts et son
besoin de créer dans ces beaux vases de forme
vigoureuse et franche où se détache, en un relief
puissant, une ornementation prise presque tou-
jours à la flore ou au monde marin. Le cuivre
est maintenant la matière préférée de M. Bon-
vallet. C'est lui qu'il emploie pour exprimer le
plus pleinement son besoin d'harmonie et de
beauté.
Exposition de « La Femme et l'Enfant »
(Galerie Reitlinger)'
Le titre promet beaucoup. Le thème dont il se
réclame est un de ceux qui inspira aux artistes de
tous les temps les plus parfaits chefs-d'œuvre.
L'exposition qui s'en est parée est, hélas ! réduite
à bien peu. Si l'on met à part les scènes spiri-
tuelles de M. Pierre Brissaud, un dessin de M.
Ghahine qui s'apparente par sa pose à la Maja
desnuda de Goya, les fantaisies gracieuses de
M. Lepape, les études de M. Xavier Gosé, les
précieux et adorables bonshommes do M. Ray
qui ont des gestes de grandes personnes, ceux
de M. Poulbot, naïfs, ingénus et véridiques, les
toiles de M. Eugène-Paul Ullmann qui sont d'un
Stevens dont la palette se serait éclaircie, et
encore les notes délicates et pleines de charme de
M. Cosson, les deux tableaux de M. Richard Mil-
ler d'une correction un peu froide, que restc-t-il
qui soit au-dessus du médiocre ?
Exposition Josué Gabokiaud
(Galerie Druet)
On démêle aisément plusieurs influences dans la
peinture de M. Gaboriaud. Son plafond pour
M. SanchoUe-IIeuraux ne peut renier les ligures de
M. Besnard, et son admiration pour M. Roussel
est manifeste dans maint paysage et dans cer-
taines scènes qui ont le charme subtil des lé-
gendes mythologiques. Mais M. Gaboriaud reste
personnel par son émotion, son sens du rythme,
son amour de l'harmonie. Certains panneaux, par
leur richesse, appellent l'interprétation de la ta-
pisserie, et quelques paysages s'étendent joyeu-
sement jusqu'aux confins bleutés où, pour la joie
des rêves, le ciel s'unit à l'horizon terrestre.
René Jean.
Académie des Beaux-Arts
Séance du 18 janvier
Le. crâne de Descartes. — M. Paul Richer sou-
met à l'Académie les résultats de ses recherches
relatives au crâne hypothétique de Descartes
conservé au Muséum et qu'il a comparé aux
différents portraits du philosophe, notamment à
celui do Frans Hais au Louvre. Il explique en