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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 17.1864

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Nr. 2
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Burty, Philippe: De Paris à Bade
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https://doi.org/10.11588/diglit.18740#0182

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DE PARIS A BADE.

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chambre est encore revêtue de ses tentures primitives en velours
d’Utrecht, ou ornée d’oiseaux et de monstres japonais découpés en
silhouette. Dans le « boudoir aux glaces, » soixante-douze miniatures ré-
pètent l'image de la princesse, de son époux ou de ses enfants : en Labou-
reur, le margrave porte en guise de canne un petit fléau ; en Hiver, la
coquette princesse est coiffée d’un chalet couvert de neige; il est en Offi-
cier de Pandours rouges ; elle est en Odalisque, en Sultane, enLévantine...
Jamais l’amour de soi n’a produit semblable débauche, et Narcisse n’a
pas du se mirer plus de fois que ces aimables margraves ne se sont fait
peindre !

L’office vous fait descendre de cet Olympe rococo et chinois. Au mur
est accroché un tableau divisé en vingt compartiments dans lesquels sont
peints les mets différents de vingt dîners complets. La belle princesse
n’avait qu’à poser le doigt, après une réflexion, sur une de ces divisions,
et le maître d’hôtel avait compris. Une armoire renferme une fort nom-
breuse et belle collection de verreries de Bohême. Chacun des familiers
du château — l’histoire précise même leur fonction auprès de la belle
veuve — avait son nom gravé sur son vidrecome, au milieu d’une devise
généralement en latin. Sur une table est posé tout un service en
faïence, marqué au revers d’un g, ce qui fut, pensons-nous, une des
marques de Lunéville: faisan, canard, coq de bruyère, jambon entamé,
tortue et aussi des choux, des asperges, des artichauts. Le tout est mo-
delé et peint à tromper l’œil, sinon la dent.

Ce service fut pour nous comme la traduction visible, en faïence,
du conte de Ccnclrillon. Un vague sentiment d’inquiétude nous pour-
suivait en visitant ce château si mort et si vivant. Nous nous attendions,
à chaque nouvelle porte qu’on ouvrait, à voir fuir une robe de damas à
grands ramages, à entendre le craquement de mules à haut talon. En
entrant dans l’office, quand nous entrevîmes ces victuailles dans la
mi-ombre nous crûmes que le maître d’hôtel venait les enlever pour le
souper de la princesse et de ses galants... Mais tel est le positivisme du
siècle, que nous revînmes à Bade sans avoir attendu l’arrivée du Prince
Charmant et la fin du prodige.

PHILIPPE BURTY.
 
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